Sci-Néma 162

par Hugues MORIN [HM] et Christian SAUVé [CS]

Exclusif au Volet en ligne (Adobe Acrobat, 1 123Ko) de Solaris 162, Printemps 2007

 

Stranger than Fiction: vraie fiction ou réalité fictive?

Harold Crick est un personnage taciturne et routinier, qui travaille pour l’inspection fiscale américaine. Un jour, Harold se met à entendre une voix. Et cette voix ne raconte pas n’importe quoi, elle ne s’adresse même pas à lui; elle effectue la narration de sa vie. D’abord incommodé, puis intrigué, Harold panique lorsqu’il entend la narratrice annoncer sa mort prochaine. Voulant comprendre ce qui lui arrive – et éviter la mort –, il finit par consulter Jules Hilbert, un professeur de littérature.

Kay Eiffel est une auteure bloquée aux trois quarts de son roman. Elle doit mettre en scène la mort de son personnage principal, mais n’arrive pas à trouver la façon idéale de mettre fin à son roman. Elle cherche donc comment tuer Harold Crick.

Qui réussira à atteindre son but le premier? La vie de Harold en dépend.

Stranger Than Fiction, de Marc Forster, est une fable où se mélangent les mondes réels et fictifs, sans trop savoir lequel est lequel et si la distinction est vraiment importante. Ce film est donc d’abord une réflexion sur le processus créatif, sur l’art et sur notre responsabilité par rapport à la création littéraire. Ces thèmes étaient déjà abordés dans le précédent film de Forster, Finding Neverland, et cette fois encore, le réalisateur nous offre un bon petit divertissement fantaisiste.

Le film démarre comme une comédie, puis pivote habilement vers la tragédie, alors même qu’Harold tente d’identifier s’il se trouve dans l’un ou l’autre genre. Pendant toute la première moitié, on se demande comment Kay va tuer son personnage, mais alors qu’il tente de comprendre ce qui lui arrive, Harold fait des choix qui lui feront apprécier la vie et le spectateur se surprend alors à espérer que c’est lui qui remportera cette course de réalité-fiction et qu’il évitera son destin. Car enfin, comment l’auteure réagira-t-elle si elle apprend que son personnage fait partie de la même réalité qu’elle?

Toutes ces questions sont abordées avec un sérieux surprenant sans jamais que le film ne devienne ennuyant, didactique ou présomptueux. Mieux encore, c’est un divertissement fascinant et bien ficelé du début à la fin. Le choix des interprètes s’avère particulièrement réussi. Will Ferrell compose un Harold parfait, désorienté et pourtant combatif, tandis qu’Emma Thompson est excellente en auteure introvertie, obstinée et poussée par son éditeur à finir son livre. Quand à Maggie Gyllenhaal, en cuisinière tatouée ex-étudiante à Harvard, elle compose le parfait contrepoids au personnage d’Harold.

C’est toutefois par le personnage de Hilbert, interprété avec une grande justesse par Dustin Hoffman, que viennent les répliques les plus marquantes du film («Harold, you have to die, it’s her masterpiece»). C’est aussi Hilbert qui pousse les réflexions les plus profondes sur notre rapport à la création littéraire. Certaines de ses répliques m’ont rappelé Bullets over Broadway de Woody Allen («Let’s say there was a burning building and you could rush in and you could save only one thing: either the last known copy of Shakespeare’s plays or some anonymous human being. What would you do?»).

La réalisation de Marc Forster est fluide et peu encombrante, et ses choix d’effets sont judicieux, particulièrement l’apparition de nombres et d’axes autour de Harold pour illustrer sa vision de la vie et de l’univers qui l’entoure.

Stranger Than Fiction apparaît ainsi comme une jolie petite réussite sur tous les plans, qui a un peu passé inaperçue à travers les films à divertissement plus retentissant, mais qui vaut nettement le détour par votre club vidéo. [HM]

 

Children of Men: Apocalypse soon

Le réalisateur mexicain Alfonso Cuarón est l’auteur de Y tu Mama También, succès du cinéma indépendant, mais il est désormais connu des cinéphiles du monde entier à cause de son superbe Harry Potter and the Prizoner of Azkaban. Il nous revient avec Children of Men, un autre film tourné en anglais situé dans un monde post-apocalyptique dont l’action se déroule en 2027.

Nous sommes en Angleterre, un des rares endroits sur la planète où l’anarchie n’a pas ravagé entièrement la société. Depuis près de vingt ans, l’humanité n’a vu naître aucun nouveau-né, l’être humain est devenu stérile. L’espèce fait donc face à l’extinction à long terme et l’anarchie a pris le dessus sur la civilisation. En Angleterre, le gouvernement totalitaire a décidé de procéder à l’arrestation et l’évacuation de tous les immigrants illégaux. Le régime militaire en place ne fait pas l’affaire de tous et divers groupes d’activistes affrontent les autorités en pleine ville, transformant Londres et les environs en véritable zone de guerre.

Théo est un activiste rangé qui se voit contacté par son ex-femme afin d’aider un groupe opposé au gouvernement à obtenir des documents légaux pour permettre à une jeune immigrante illégale de voyager librement. Quand il s’avère que la jeune femme est enceinte et que les événements tournent au vinaigre, tous les intervenants désirent avoir le contrôle sur ce futur enfant et Théo doit choisir entre sa sécurité et ce qu’il croit juste. Peut-être la solution réside-t-elle dans le «Human project», ce projet mythique, voire légendaire, qui regrouperait sur une île des scientifiques cherchant à sauver l’humanité.

Basé sur de solides arguments science-fictifs, ce film ambitieux réussi le pari d’être tout à fait crédible, cohérent, intéressant et poignant. Le scénario est bien construit, les dialogues sonnent juste, les interprètes sont parfaitement convaincants et la réalisation est bien maîtrisée. Le monde du proche futur qu’il décrit est tout à fait plausible et fascinant au niveau des détails – même si le réalisateur ne s’y attarde pas nécessairement. Je suis persuadé qu’un second visionnement serait bénéfique. Quelques personnages secondaires plus excentriques, comme Jasper – admirablement interprété par Michael Caine, qui a fait de ce genre de rôle sa marque de commerce ces dernières années –, apportent un contrepoids au réalisme de la violence qui baigne le film et le rend, justement, encore plus réaliste.

Et pourtant, malgré toutes ces qualités, Children of Men n’est pas le grand film que j’espérais, surtout à la suite d’une bande-annonce frappante et de Cuaron aux commandes. Je m’aperçois à la réflexion que cette bande-annonce en montrait beaucoup, et que le film suit exactement le tracé que l’on imagine dès le début. Ce serait un exemple de bande-annonce qui affaiblit la force dramatique du film lui-même. Ce n’est pas non plus le premier film à aborder une thématique similaire ou ce genre d’univers – on pense à 28 Days Later ou à V for Vendetta). Ce n’est par le film de référence sur la question, ni même le meilleur, mais il vaut la peine d’être vu en DVD si vous l’avez manqué en salle. Ce serait dommage de manquer le plan séquence de la fin, digne de De Palma! [HM]

 

Eragon

Il y a ceux pour qui Eragon s’avérera un film de fantasy irréprochable, un bon divertissement qui leur fera passer un agréable 104 minutes. L’amateur éclairé de genres risque malheureusement de ne pas faire partie de ce groupe de personnes. Il se pourrait même qu’il considère Eragon comme un exercice particulièrement laborieux. Un conseil tout simple suffirait ici – ignorer cette production de tâcheron –, mais les mauvais films de fantasy ont tendance à surgir là où on ne s’y attend pas et à des moments où toute tentative de fuite est impossible: réunions de famille, vol transatlantique, soirée pluvieuse sans télécommande, etc. Pour ces situations critiques où ne pas regarder le film appartient au domaine de l’impossible, Solaris vous propose quelques façons de survivre à l’expérience en préservant toutes vos facultés mentales.

1. Le défi Tolkien/Lucas! Dès les premières minutes, l’aspect dérivé d’Eragon pue au nez. Alors qu’un jeune fermier aux origines mystérieuses s’embarque dans un grand voyage en compagnie d’un homme âgé qui en connaît beaucoup sur lui, voici qu’un grand combat s’amorce entre les forces du bien et du mal. Des dragons tentent de faire croire que tout n’est pas nécessairement emprunté du Seigneur des Anneaux et de Star Wars. Votre premier défi est de déterminer de qui Christopher Paolini a le plus emprunté durant l’écriture d’Eragon: Tolkien ou Lucas? Les joueurs les plus avancés pourront ajouter Anne McCaffrey et ses dragons télépathes et remonter jusqu’à Kurosawa et les légendes celtiques comme sources d’inspiration. Des points supplémentaires seront accordés à ceux qui peuvent distinguer entre les emprunts aux auteurs, Tolkien et Lucas, et ceux aux réalisateurs, Jackson et Lucas.

2. Devenez le devin! à quoi bon reconnaître les emprunts si on ne met pas à profit cette source d’informations pour briller en société? Servez-vous en pour prédire les répliques du film avant même qu’elles ne soient prononcées par les acteurs! Dans le cas d’Eragon, ce n’est pas très difficile: les joueurs les plus astucieux pourront profiter de leurs pouvoirs divinatoires pour convaincre les membres de leur famille qu’ils ont déjà vu le film et ainsi échapper au reste du supplice.

3. Imaginez le slash! Pour les esprits tordus, il y a toujours la possibilité salvatrice d’ébaucher un scénario slash au fur et à mesure qu’avance le film, et de trouver dans cette fan-fiction romantico/ subversive instantanée des éléments bien plus intéressants que ceux offerts par le film. étant donné le jeu particulièrement passif de l’acteur Ed Speelers, il faut certes faire un effort d’imagination pour réussir à le lier romantiquement à son mentor Brom, son ami Murtagh ou bien à son dragon Sephira. Et à constater le manque d’étincelles entre lui et Arya, on soupçonne par ailleurs que celle-ci est sa sœur. Ce que nous découvrirons dans une suite cinématographique tout aussi improbable que futile. (Si vous ignorez tout de la fan-fiction slash, restez innocents et ne demandez pas à votre mère.)

4. Répondez à l’écran! Finalement, il y a toujours le dernier refuge du cinéphile frustré: exprimer avec véhémence ce qu’il pense du film alors même qu’il défile. Décors en carton-pâte? Retournements forcés? Rythme boiteux? Répondez, invectivez, manifestez votre déception sarcastique! Mais attention: ne faites pas pleurer les enfants, n’offensez pas vos parents plus âgés et ne vous arrangez pas pour que l’hôtesse de l’air vous inscrive sur la liste des passagers dangereux.

Si vous ne réussissez pas à vous divertir malgré ces suggestions, votre situation sera désespérée. Dépourvu d’intérêt, d’originalité ou même de charme, Eragon est une triste copie d’une copie qui a plus à voir avec d’infâmes films de série B tels Krull et Dragonheart, un fantasme d’investisseurs désireux de naviguer dans la rivière des profits post-Seigneur des Anneaux. Oui, certaines personnes assez chanceuses pour ne pas être critiques ne verront rien de particulièrement mal à ce film. Quant aux autres, elles méritent mieux. [CS]

 

Le Labyrinthe de Pan

[couverture] Comme plusieurs réalisateurs qui ont des intentions artistiques évidentes, Guillermo del Toro alterne entre des films à tendance commerciale et des projets plus personnels. Si la plupart des cinéphiles le connaissent pour les films d’action Blade II et Hellboy, son film le plus réussi jusqu’ici est sans doute El Espinazo Del Diablo (L’épine du diable), un film d’épouvante beaucoup plus restreint et nuancé.

Film après film, del Toro a su prouver qu’il sait livrer la marchandise, peu importe l’ambition de ses projets. On attendait donc Le Labyrinthe de Pan (El Laberinto Del Fauno) avec impatience, celui-ci étant annoncé comme un scénario original mélangeant Seconde Guerre mondiale, fable et drame familial.

Dès les premières minutes, on est happé par la puissance d’une œuvre bien maîtrisée. Alors que notre jeune héroïne emménage dans un domaine de campagne, entourée de soldats et de partisans, d’une mère malade et d’un beau-père foncièrement mauvais, personne ne pourra la blâmer de fuir cette déprimante réalité pour explorer ce qui semble au départ être un monde fantastique né de son imagination. Mais est-il vraisemblable qu’elle puisse imaginer des créatures aussi grotesques que celles qui se trouvent dans le labyrinthe, ou bien les tâches qu’on lui demande d’accomplir?

Les choses ne s’améliorent pas par la suite. Car malgré le jeune âge de l’héroïne et la tendance des critiques à décrire le film comme une «fable», El Laberinto del Fauno n’est pas plus un film pour jeunes que l’était El Espinazo del Diablo. Mort, maladie et torture imprègnent l’atmosphère du film, pour ne rien dire des visions cauchemardesques de l’univers magique tel que nous le représente del Toro.

Cette noirceur se retrouve sur tous les plans: personnages meurtris et condamnés, décors clairs-obscurs, densité et complexité du symbolisme du film. Car s’il est possible de voir cette histoire comme une aventure dans laquelle une petite fille est coincée entre des fascistes sanguinaires et un diablotin capricieux, une profusion de détails signifiants saura certainement intéresser à d’autres niveaux le public plus adulte et cultivé.

Le film se permet même une certaine ambiguïté au niveau de son appartenance au domaine fantastique. La frontière entre les fantaisies de l’héroïne et le réel n’est jamais tout à fait tracée; indécision qui fait partie de la trame narrative, du propos même de l’œuvre. Et sans doute est-ce une bonne chose si l’on tient compte de la conclusion déprimante à laquelle une interprétation trop rationnelle du film pourrait mener.

On ne pourra dire trop de bonnes choses sur le plan de la direction artistique, domaine qui a assuré au film un total de six nominations aux Oscars. La cinématographie à elle seule est parfaitement réalisée, œuvrant entre deux mondes pour livrer plusieurs niveaux d’inconfort. Finalement, le jeu des acteurs est à la hauteur du reste. On se souviendra longtemps des personnages de l’histoire, malgré quelques raccourcis évidents quand vient le moment de révéler toute la fourberie de l’antagoniste.

Ceci étant dit, comme pour plusieurs films de bon niveau, on sort d’El Laberinto Del Fauno plus impressionné que charmé. S’il est facile de reconnaître les qualités de l’œuvre, il ne s’agit peut-être pas d’un film que l’on aimera revoir souvent. Le parti pris de livrer une fantaisie pour adulte à travers les yeux d’une adolescente n’est pas des plus intuitifs, et plusieurs spectateurs auront été pris à contre-pied. Mais l’art authentique n’est pas toujours confortable et, peu importe ce que l’on dira sur le dernier film de Guillermo del Toro, il est impossible de nier qu’il s’agit d’un rare exemple de film fantastique qui réussit à combiner la rigueur artistique au succès commercial. [CS]

 

Idiocracy

[couverture] Une des histoires les plus célèbres de la science-fiction américaine des années 1950 est «The Marching Morons» de Cyril M. Kornbluth, une nouvelle qui met en scène un homme contemporain transporté dans un futur où la population est composée d’imbéciles et où l’élite dirigeante tente de gérer le problème posé par une si grande quantité de déficients intellectuels.

étant donné le penchant élitiste des fans de SF, la nouvelle est devenue une référence du genre, et ce même si la lecture contemporaine du texte est déplaisante à plus d’un niveau. à la fois trop long et repoussant par son eugénisme, le texte de Kornbluth n’a pas bien survécu au demi-siècle qui a suivi sa parution.

Mais l’attrait de l’idée ne s’estompe pas, ce qui explique peut-être pourquoi Mike Judge (King of the Hill) a décidé d’en faire le sujet d’Idiocracy, son premier retour au grand écran depuis Office Space (1999). Cette fois, c’est à cause d’un projet militaire qui tourne mal qu’un homme et une femme «parfaitement ordinaires» se retrouvent dans un futur où le quotient intellectuel a dramatiquement chuté après des générations de reproduction sélective entre les membres moins doués de l’espèce (le passage le plus réussi du film compare le destin généalogique d’un couple intelligent à celui d’un couple nettement moins doué). L’évolution, nous rappelle Judge, favorise l’adaptabilité, pas l’intelligence.

C’est supposé être une comédie. Le futur où se réveillent nos deux quidams est dominé par la vulgarité, la pornographie, les ordures et une émission de télévision au titre peu subtil, «Ow, My Balls!». Ici, aucune élite: le monde continue de fonctionner (pas très bien) grâce à des systèmes automatisés qui n’ont pas besoin d’intelligence humaine pour fonctionner. Dans ce contexte, la Maison Blanche est dirigée par un lutteur, les ordures font avalanche et la nation est menacée de famine. Des tests élémentaires révèlent que le protagoniste est de facto l’homme le plus intelligent de la planète… ce qui n’est pas très utile ni glorifiant puisque personne ne veut entendre ce qu’il a à dire quand on lui demande de régler les problèmes.

Disons-le tout de suite, c’est le concept d’Idiocracy qui s’avère l’élément le plus fascinant du film. Handicapé par un budget minuscule et une écriture sans grande rigueur, le scénariste/ réalisateur Judge se contente d’un effort minimal et recourt aux gags les plus faciles (pour ne pas dire débiles) une fois passée la mise en situation. Il y a de quoi s’offusquer à voir l’action tourner presque exclusivement autour du protagoniste (Luke Wilson, toujours sympathique) plutôt que de sa compagne de voyage (Maya Rudolph, qui se débrouille avec ce qu’on lui donne), pourtant tout aussi intelligente que lui. Rempli à ras bord de jurons et d’humour juvénile, Idiocracy s’expose de façon bien imprudente à une critique qui vient facilement à l’esprit, celle de ne pas être nécessairement plus brillant que les idiots qui dominent le film.

On ne sera donc pas surpris de constater que le film s’est tranquillement faufilé vers le club vidéo après une sortie en salle à très petite échelle. Cela n’en fait pas nécessairement un film à éviter (surtout quand on voit le nombre réduit de films de science-fiction réalisés ces temps-ci), mais d’un qu’il faut aborder sans attentes démesurées. [CS]

Mise à jour: Mars 2007 –

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