Daniel Church, The Hollows (Fa)

Daniel Church

The Hollows

Londres, Angry Robot, 2022, 460 p.

The Hollows est le premier roman de Daniel Church (auteur britannique à ne pas confondre avec son homonyme américain). Le récit se déroule en Angleterre, dans le district de Peaks, dans le Derbyshire. Le village de Barsall vit d’agriculture et de tourisme : les montagnes avoisinantes attirent des randonneurs pédestres et de temps en temps des archéologues amateurs. Bon an, mal an, il s’en perd quelques-uns qui doivent être recherchés, souvent sans succès, par la police locale.

Or, un dix-neuf décembre, à la veille d’une énorme tempête de neige (dans une contrée sans souffleuses !), la policière Ellie Cheetham se porte au secours de deux jeunes promeneurs qui sont tombés en forêt sur le cadavre d’un homme mort de froid. Ce dernier s’avère être Tony Harper, l’un des célèbres semeurs de trouble de la région, membre d’une famille de tarés locaux. Les Harpers vivotent sur leur ferme à l’écart du village, menés par leur matriarche, la redoutable Liz. Tous connus de la police et maniaques d’armes à feu illégales, ils sont universellement haïs par les villageois, en particulier Paul, le fils sociopathe et violeur en série.

Le corps policier se limite à Ellie et son supérieur Tom, paresseux notoire ne songeant qu’à sa retraite prochaine… Tom ne voit dans le cas de Tony Harper qu’une simple histoire d’ivrogne mort d’hypothermie, mais Ellie a des raisons de croire que Tony a tenté de se défendre contre plusieurs agresseurs qui l’ont encerclé et laissé mourir de froid. C’est à elle qu’incombe la déplaisante tâche d’annoncer à Liz Harper le décès suspect de son garçon. La réaction de Liz sera extrêmement violente et étrange. Ellie se sortira de justesse de la situation…

Le lendemain, on trouve une résidence et un bar en périphérie de Barsall complètement saccagés. À part Kate, une jeune fille retrouvée en état de choc dans une cave, tous les résidents ont disparu… On retrouve des traces de lutte et les agresseurs se sont particulièrement acharnés sur les appareils ménagés et électroniques.

À la tombée de la nuit suivante, la tempête prend de l’ampleur. Barsall se retrouve sans contact avec l’extérieur : la ville voisine n’envoie personne déblayer les routes. Des secteurs du village se retrouvent sans électricité, les lignes téléphoniques et internet sont coupées. L’inquiétude des villageois grandit. On se remémore de vieilles légendes et la disparition de presque tous les habitants du village lors d’un terrible hiver du Moyen-Âge…

Si vous aimez les romans policiers avec des éléments surnaturels, ce livre vous charmera à coup sûr !!! Il contient tous les ingrédients d’un bon roman de « folk-horror »: un milieu rural isolé (je serai toujours fascinée par la peur de la campagne que ressentent les citadins !), une nature hostile et déchaînée, ainsi que des superstitions concernant des forces occultes anciennes. La dualité entre les gens de la place et ceux de l’extérieur, les uns gardiens d’anciens savoirs et les autres « raisonnables » et incrédules, est fort bien campée. Quelques gens de la ville, lassés par la violence de celle-ci, sont venus s’installer à Barsall recherchant une vie plus paisible. Ellie, la policière venue oublier la mort de son jeune garçon et un divorce subséquent, est une des femmes fortes de l’histoire, racontée principalement du point de vue de trois personnages féminins : Ellie qui veut protéger la population, Liz qui mène sa famille de délinquants d’une main de fer, et Jess, sa fille adolescente et monoparentale qui doit apprendre à protéger son bébé contre de multiples dangers… Ces trois femmes sont des figures guerrières qui doivent survivre à l’impensable. Les personnages secondaires sont aussi fort intéressants : Milly, doctoresse de village, qui verra sa grande foi en Dieu testée par les évènements ; la vicaire Madeleine, fascinée par l’archéologie et les traditions païennes…

L’auteur met en place l’action sur quatre jours, incluant le solstice d’hiver. Trois camps s’affrontent : les villageois, les Harpers et de terribles forces de destruction oubliées depuis des siècles. À saveur lovecraftienne, l’ennemi est terrifiant à souhait. Le rythme du récit est enlevé et on a de la difficulté à déposer le livre !!!

Seul petit défaut de l’œuvre, lue en version originale anglaise : certaines phrases doivent être relues et semblent un peu bancales (verbes absents, entre autres…). Est-ce un effet voulu de l’auteur ou une erreur de révision ? Je suis curieuse de voir ce que donnera la traduction…

Mais le roman n’en reste pas moins palpitant et glaçant ! Bref, un début fracassant pour Daniel Church, dont je compte suivre la carrière assidûment.

Valérie Bédard

Grace L. Dillon (dir.), Walking the Clouds, An Anthology of Indigenous Science Fiction (SF)

Grace L. Dillon (dir.)

Walking the Clouds, An Anthology of Indigenous Science Fiction

University of Arizona Press, 2012, 260 p.

Ce livre, mélange d’essais, de fictions et d’extraits de fictions, date de 2012, mais il n’est jamais trop tard pour bien faire. Comme l’afro-futurisme en son temps, l’« indian futurism », ou « indigenous futurism » comme l’appellent les responsables de l’ouvrage, fait lentement son chemin à la fois dans les supports de publications (revues, collectifs, anthologies, maisons d’éditions « parallèles » ; on en a signalé quelques-uns dans Solaris au cours des dernières années) et dans le milieu de la recherche plus ou moins universitaire. Il semble cependant que l’effet de synergie soit plus lent à se déclencher pour le second « genre » que pour le premier. Les raisons en sont peut-être sociétales, la situation des Autochtones, d’où qu’ils soient, étant un peu différentes de celle des Afro-Américains, par exemple ; par ailleurs, la question de la survie physique individuelle et collective est peut-être plus pressante pour les uns que pour les autres, sans parler de celle du rapport au territoire. Je ne me risquerai pas plus loin dans ces questions, c’est d’abord aux Autochtones de les explorer. Ce qu’ils font du reste avec vigueur dans plusieurs essais et textes du présent ouvrage, divisé en cinq parties – chiffre symbolique dans les cultures autochtones américaines (au sens géographique du terme) : The Native Slipstream (Le slipstream indigène) ; Contact ; Native Science et Sustainability (Science et durabilité indigènes) ; Native Apocalypse ; “Biskaabiiyang”, Return to Ourselves (Revenir à nous). Chaque partie consiste en un article de fond suivi de textes ou extraits de textes illustrant le propos de l’essai ; on trouvera quelques noms un peu plus connus (Gerald Vizenor, Sherman Alexie, Celu Amberstone, Andrea Hairston, et Nalo Hopkinson, car il y a une intersectionnalité évidente, et nécessaire, entre afro-futurisme et futurisme autochtone). Le tout est fort clairement résumé dans l’introduction générale, « Imaginer le futurisme autochtone ».

Il est tout à fait fascinant de constater les convergences de tropes classiques de la SF avec les questionnements vécus par les auteurices indigènes, en particulier celui du contact (insérer ici le fil postcolonial) et celui de la Catastrophe – l’une découlant de l’autre en ce qui concerne tous les indigènes de la planète. La réflexion va cependant plus loin que cette évidence, avec la partie consacrée à la science indigène, des modes de connaissance divergents mais qui rejoignent souvent, dans un autre vocabulaire, les intuitions et découvertes de la physique moderne. Presque tous les textes critiques s’entendent, en tout cas, pour célébrer la science-fiction comme l’agent d’une libération par l’imagination, un territoire offrant la possibilité d’échapper au registre réaliste, nécessaire, certes, mais prisonnier du couple binaire désespérant accablement/colère. Les voix marginales ou marginalisées ont toujours été un espoir de renouveau pour la SF – ainsi, en leur temps et depuis, celles des femmes et des « minorités sexuelles », tout comme depuis quelques années les SFs non occidentales du monde dit développé, en particulier asiatiques. S’agit-il d’un de ces accès d’exotisme qui balaie de temps à autre le milieu éditorial anglophone, milieu encore principal du genre puisque la très grande majorité des fictions nous arrive le plus souvent d’abord en anglais ou en traduction anglaise ? L’avenir nous le dira. En attendant, on peut avoir l’œil et l’esprit à l’affût.

Élisabeth VONARBURG

Christian Chavassieux, Les Nefs de Pangée (Fy)

Christian Chavassieux

Les Nefs de Pangée

Saint-Laurent-d’Oingt, Mnémos, 2015, 400 p.

Le peuple de Ghiom vit sur l’immense continent de Pangée, au milieu de l’océan Unique. La tradition veut qu’à la fin de chaque cycle d’une vingtaine d’années, les nations s’unissent malgré leurs éventuels différends pour la chasse à l’Odalim, un monstre marin gigantesque : sa mort garantit le retour à la paix et à la prospérité. Après l’échec accablant de la neuvième chasse, le fils aîné d’une des plus grandes familles de la capitale, Plairil, lance l’idée d’une dixième chasse avec des vaisseaux de vraiment toutes les nations, encore plus nombreux, encore plus énormes, encore mieux armés. Vingt ans plus tard, on a trouvé par divination le capitaine de la Chasse, le jeune Bhaca, qui s’embarque avec sa conteuse, Hammassi, chargée d’enregistrer l’histoire de la dixième chasse pour la postérité. Mais les temps vacillent, et Plairil, secrètement animé par une prophétie mystérieuse, a l’intention de les faire changer à son avantage, en unissant toute la planète sous sa férule. Son frère, Logal, d’abord écarté par leur mère à la recherche du futur capitaine, est maintenant en fuite sur les routes du continent pour échapper à la tyrannie de son frère, enfin révélée sous le couvert d’une nouvelle religion dont Plairil est le dieu sur terre. Mais l’Unique contient plus de terreurs et de mystères que la seule race des Odalim. Il y a le peuple honni des Flottants, qui vivent sur des îles artificielles et qu’on massacre chaque fois qu’on les rencontre – en fait, on veut les éradiquer totalement et c’est un des buts de Plairil. Y parviendra-t-il ? Quelle sera l’issue de la dixième chasse ? Et le mystère de la prophétie qui a poussé Plairil à devenir un tyran sera-t-il élucidé ?

La lecture de quatre cents pages de texte serré nous l’apprendra, avec en cours de route des méditations sur l’origine et la chute des civilisations, sur le temps long, seule échelle véritable du cosmos, sur les rapports funestes du pouvoir et de la religion, sur la force et le mensonge des mythes. Sans compter de l’Aventure, de l’Action, du récit de voyage et d’exploration, et un glossaire qui est un petit précis d’exo-anthropologie, biologie, littérature et Histoire ghiom. L’assiette est bien pleine. Mais justement, peut-être parce que j’ai lu ce roman sur écran de liseuse, il m’a souvent paru long, très long, trop long. Certes, le registre choisi est clairement celui, nécessaire et justifié, de l’épopée, avec le haut style bellement travaillé à la française. Je me disais, en lisant, que l’auteur ne s’était jamais remis d’avoir lu Les Travailleurs de la Mer, de Hugo, et surtout Salambô de Flaubert. De fait, la postface leur rend explicitement hommage. Ce ne sont pas les seuls, Moby Dick d’Herman Melville (également cité) vient immédiatement à l’esprit, sans parler d’Homère ! La chasse à l’Odalim, très longuement réitérée – on le cherche sans le trouver, on le cherche et on le trouve, on l’attaque et on le perd, on le retrouve et on l’attaque encore, vaincu on se sauve, il reparaît et attaque, etc. – y est pour quelque chose, comme dans mon impression de longueur. Heureusement, une relative alternance des chapitres-points de vue (Logal, Hammassi, Plairil, Bhaca, et quelques autres) ainsi que des dialogues bien placés viennent redonner du ressort au rythme général. Et de toute manière, pour qui n’a pas lu les ouvrages auxquels le texte rend hommage, les références absentes ne retirent rien – simplement, on admirera innocemment et à juste titre le style bien relevé de l’auteur et le caractère épico-mythique de la Chasse. C’est de la fantasy surdimensionnée, et ça en met plein la vue, en grand écran et cinémascope, dirais-je pour respecter le caractère un peu rétro du style. Tout est immense, gigantesque, surhumain, quasiment essoufflant dans les (longues) descriptions de la capitale, de ses murailles, des vaisseaux, de l’Odalim, et plus tard, dans celles des batailles sanglantes que vont se livrer les Ghiom et leurs ennemis.

Je dois pourtant dire que le retournement de l’intrigue, environ à la moitié du récit, m’a moins coupé le souffle qu’il ne l’aurait dû : je l’attendais du moment où j’avais vu le nom « Pangée ». Effet de lectrice, cependant : je connais ce nom donné au supercontinent créé en d’autres ères géologiques par l’agglomération des diverses plaques continentales. (Une fois le livre terminé, on peut d’ailleurs s’interroger sur la vraisemblance de l’usage de ce terme grec à l’époque où se situe l’action, mais passons. Ça fait un beau titre.) Il n’en demeure pas moins que, après le semis d’indices éparpillés dans le texte, la soudaine (re)mise en perspective aussi bien temporelle qu’historique et mythique est vraiment, épiquement, impressionnante. Et il faut aussi apprécier la richesse de la création de monde, en arrière (par exemple les modes de reproduction des Ghiom) ; j’aurais quant à moi volontiers cédé à ces fascinants détails une bonne partie de l’espace accordé à la Chasse et aux batailles. Mais rien n’empêche de rêver sur le Glossaire, à la fin…

Élisabeth VONARBURG

Adriana Lorusso, Sonde cérébrale (SF)

Adriana Lorusso

Sonde cérébrale

Amazon

Sur Neudrakren la planète-capitale de la Fédération galactique humaine, Moïse Rasser, dit Mo, est le mouton noir de sa riche famille : il boit, il baise, il se drogue, il n’est bon qu’à dépenser de l’argent, au contraire de ses frères travailleurs assidus et bons citoyens, surtout Bilal, l’aîné. Là où tout le monde marche de plus en plus droit, dans cette société raidement patriarcale dont les deux piliers sont l’Église Unitariste et l’Armée (son père ex-militaire, est ambassadeur), il marche de travers. Ce n’est pas vraiment une révolte, simplement une tendance paresseuse à se laisser aller à sa propre pente, qui consiste à ne pas aimer s’ennuyer. Mais voilà que sa sœur cadette revient mariée à un autochtone du dernier assignement de leur père, la planète Ta-Shima [NDR : cadre de l’excellent diptyque SF publié chez Bragelonne et d’un recueil de nouvelles, également disponibles maintenant sur Amazon] – une planète rébarbativement « arriérée » (lire : non technologique), et la seule à ne pas appartenir à la Fédération. À partir de là, l’existence de Mo bascule. Il se découvre avec son étrange étranger de beau-frère des goûts érotiques qu’il ne connaissait pas, y devient accro, et se retrouve un jour arrêté par la police religieuse. Après un travesti de jugement, on l’envoie à l’hôpital de la Divine Providence, en réalité une abominable prison centre d’expériences « scientifiques » de l’Église. On lui greffe alors dans le cerveau une sonde qui réagit à ses pensées « perverses » en lui infligeant de terribles douleurs (une note en préface de l’auteure signale qu’une technologie semblable a été mise au point plusieurs années après son roman). Soumis à des tortures sadiques, il deviendrait un légume si son père ne le retrouvait et ne le faisait sortir de là, avec l’aide d’une faction secrète de l’armée, inquiète du pouvoir grandissant de l’Église. À ce stade, Mo se moque bien de la politique, même si le contact avec son beau-frère avait déjà commencé à éveiller ses curiosités : tout ce qu’il veut, c’est qu’on lui retire la sonde, et retrouver sa vie insouciante et dorée. Hélas, la biotechnologie impliquée rend l’opération impossible. Son père fait ce qu’il peut pour lui faciliter la vie, mais en vain. Finalement, après une mission secrète où le père disparaît, Mo totalement handicapé par la sonde se retrouve en proie au sadisme de son frère Bilal, furieux que Mo ait été nommé seul héritier. Abandonné de tous, suicidaire, Mo s’accroche au seul espoir qui lui reste : se rendre dans un endroit où la sonde ne pourra pas fonctionner. À cette fin, il va mettre en branle un plan complexe pour utiliser Bilal et ses deux épouses.

Ce long résumé ne couvre qu’une moitié environ de toutes les péripéties de ce roman pourtant court mais solidement ficelé et qui se lit d’une traite – j’ai essayé de ne pas trop en révéler. Mais autant et plus qu’à l’intrigue, j’ai pris un plaisir constant au ton allègrement désinvolte de la narration, au traitement sarcastique des divers personnages, y compris le protagoniste principal, et de la société où ils vivent, bien reconnaissable ; le tableau des relations familiales, en particulier, est d’une férocité à la fois épouvantable et réjouissante. Et j’ai aimé la manière habile, dépourvue de sentimentalité, dont on nous amène à empathiser avec Mo, qui n’est pas des plus avenants tout du long mais qui vit un terrible calvaire aux mains de ceux qui sont les véritables monstres. Par ailleurs, l’aspect science de cette histoire est fort intéressant et bien maîtrisé. Bref, tout pour une lecture SF qui n’« interpellera » pas votre vision de l’univers, certes, mais qui traite de sujets graves sans appuyer, ce qui est bien satisfaisant en ces temps de longueurs trop souvent prétentieuses. Que ce roman n’ait pas été publié chez un éditeur en règle, qu’une auteure, francophone, de science-fiction pure et dure déjà publiée avec succès (il y en a tellement en France, n’est-ce pas…) doive avoir recours à l’autopublication sur le site d’Amazon me paraît un signe des temps et en dit long aussi sur les œillères de l’édition française de genre(s).

Élisabeth Vonarburg

Prix Solaris 2023 : dévoilement du texte lauréat

COMMUNIQUÉ

PRIX SOLARIS 2023

Lévis, le 24 mai 2023 – Le prix SOLARIS 2023 a été attribué à Isabelle Piette, pour sa nouvelle « Ce qu’on laisse derrière ».

Montréalaise d’adoption, Isabelle Piette partage son temps entre son travail dans une boîte de développement de logiciels, ses deux ados, la course à pied, la lecture… et l’écriture ! Diplômée en génie électrique de l’École polytechnique, elle marie ses intérêts pour la science et la littérature avec la science-fiction dont elle est une grande fan. L’impact de la technologie au quotidien et l’influence de celle-ci sur les relations humaines sont les thèmes qui inspirent son écriture. Avec son immense curiosité, impossible de prédire où son imagination l’emportera… au grand plaisir des lecteurs et lectrices de Solaris.

Les membres du jury ont choisi « Ce qu’on laisse derrière » pour sa manière humaniste d’aborder un sujet d’actualité souvent traité par le biais de la dystopie. Ici, enjeux personnels et enjeux éthiques s’entremêlent au cœur d’un récit à la narration bien maîtrisée. L’auteure nous offre un personnage complexe aux prises avec une situation poignante.

La gagnante se mérite une bourse de 1000 $. Sa nouvelle sera publiée dans SOLARIS 227, à l’été 2023.

Le jury du prix SOLARIS 2023, appelé à délibérer selon un processus de sélection anonyme, était composé de :

Pascal Raud, écrivain, traducteur et directeur littéraire, membre du comité de rédaction de Solaris ;

Jonathan Reynolds, écrivain, éditeur et coordonnateur (technique) de Solaris ;

Philippe Turgeon, éditeur et directeur de la production aux éditions Alire.

Les nouvelles participantes appartenaient en majorité à la science-fiction. Environ un tiers des textes relevaient du fantastique, quelques-uns de la fantasy, tandis que quelques soumissions se situaient « sur les marges » des genres.

Toute l’équipe de Solaris remercie chaleureusement les participant·e·s et les membres du jury de leur collaboration et prie ses lectrices et lecteurs de bien noter que la date limite de participation pour la prochaine édition est le lundi 18 mars 2024.

Francine Pelletier, coordonnatrice (textes)

fpelletier@revue-solaris.com

Contact médias :

Jonathan Reynolds

(418) 837-2098

reynolds@revue-solaris.com

Antoine Volodine, Des anges mineurs (SF)

Antoine Volodine

Des anges mineurs

Seuil, Paris, 2001, 217 p.

Après une fin de la civilisation, de vieilles immortelles, résultat de peut-être expériences scientifiques, et parquées dans un hospice quelque part en Sibérie ou par là (tous les noms des personnages et des lieux ont une consonance slave ou asiatique), jugent leur petit-fils, créé à l’aide de rebuts divers et de formules magiques. Elles lui avaient donné pour mission de sauver le monde, mais il les a trahies en réintroduisant le capitalisme et ses ravages, « abominations mafiogènes ». Des voix multiples, hommes, femmes, musiciens, chamanes, vagabonds, écrivains, tous ces « anges mineurs » que sont les humains déchus, racontent de brèves histoires tronquées, des tranches de vie qui se déroulent dans des lieux indistincts, immeubles en ruines ou prisons. Ces voix sont peut-être seulement celle de Will Scheidmann, le petit-fils maudit qui, pour passer le temps de sa torture et satisfaire les grands-mères féroces, égrène ces histoires, morceaux flottants de biographies, ces « narrats » : des instantanés romanesques qui fixent une situation, des émotions, un conflit vibrant entre mémoire et réalité, entre imaginaire et souvenir. C’est une séquence poétique à partir de quoi toute rêverie est possible, pour les interprètes de l’action comme pour les lecteurs, comme l’indique l’auteur.

Je ne peux évidemment pas résumer ces 49 textes brefs un par un, seulement tenter de donner une idée approximative de leur ambiance. Et surtout souligner que j’effectue en 2023 cette lecture d’un livre publié en 2001 (mieux vaut tard que jamais, toujours). Le ranger dans la catégorie actuellement à la mode du post-apo serait quasiment un anachronisme. De toute manière, l’œuvre entière de Volodine se situe plutôt, selon lui-même, dans le « post-exotisme ». Qu’on examine bien cette formule, d’un point de vue SF, et on en appréciera le tranchant. Je me rappelle (oui, Mémé, on sait) son premier roman publié en 1985, Biographie comparée de Jorian Musgrave (Denoël), et la critique sidérée que j’en avais faite pour Solaris. Volodine a toujours été non pas un « marginal », non pas un « inclassable » mais un dissident, situé nulle part et partout à la fois, littérature internationaliste, engagement politique acerbe, onirisme, chamanisme, « réalisme magique », réflexion sur l’histoire sombre du XXe siècle (qui se poursuit sans interruption depuis, comme on sait), les génocides, l’échec des révolutions… Les univers SFantastiques parallèles où se déploient ses fictions sont les refuges imaginaires édifiés par des rescapés de tous les camps, hantés par le passé. L’écriture faussement romanesque est précise, immersive, hypnotique par son aspect lisse comme par les échos qu’elle nous invite sournoisement à établir entre plusieurs textes (personnages ou situations apparemment récurrents, mais c’est un leurre). Chacun des livres de Volodine parus chez Denoël/Présence du Futur – il a ensuite effectué sans effort le passage à des éditeurs non spécialisés – a été pour moi une claque. Je la retrouve ici, et l’effet de sidération, intacts.

NB : Les quatre premiers romans de Volodine dans la collection Présence du Futur ont été réédités en bloc sous le titre Des heures durant. Ça comprend Biographie comparée de Jorian Murgrave (1985), Un navire de nulle part (1986), Rituel du mépris (1987, Grand prix SF française), Des enfers fabuleux (1988). Recommandé.

Élisabeth VONARBURG

Christine Renard, L’Enfance des dieux (SF)

Christine Renard

L’Enfance des dieux

Éditions GandahaR (Patrimoine de l’Imaginaire, 5), 2020, 231 p.

Anne est une jeune fille plutôt sage, très douée, mais dont le groupe d’amis, tous des gars, est des plus intéressants. Elle les trouve si fascinants qu’elle ne peut envisager d’épouser personne d’autre que l’un d’entre eux – ce qu’elle fera, deux fois. Ils semblent pourvus de capacités pour le moins particulières. Elle découvre peu à peu que ce sont tous des mutants, résultats d’une expérience génétique secrète et massive, touchant des milliers de naissances. Mais si elle n’est elle-même qu’une simple humaine, pourquoi la gardent-ils avec eux, pourquoi la protègent-ils ? Que lui cachent-ils de la vie, et de la mort, de son premier mari ? Quels sont leurs projets (au départ plutôt bien intentionnés) pour le reste de l’humanité ? Et ces milliers de mutants masculins n’ont-ils donc pas de contrepartie féminine ?

Ce résumé vous a fait sourire ? « Mais quel âge a l’auteure ? » dites-vous, si vous ne connaissez pas son nom. « Lui a-t-on signalé, et à l’éditeur, que la SF a un peu évolué depuis les années 50 ? » Ma foi, vous auriez vu juste : il s’agit du premier roman de Christine Renard, une des auteures importantes de la SF française, publié en 1960, et rédigé, en gros, pendant les années 50 (il y a eu des réécritures – l’histoire de ce texte est bien compliquée, comme le raconte la préface). Et, comme le nom de la collection l’indique, les éditions GandahaR se consacrent à exhumer et conserver des Ur-textes de la SF française. Est-ce à dire que ce roman n’est lisible que dans une perspective historique ? Non. D’abord, l’écriture en est assez fluide et « moderne » pour ne pas sembler datée, et ensuite, malgré certaines thématiques et surtout certains aspects de son arrière-monde, l’écart temporel le transporte dans une sorte d’univers parallèle où régneraient encore des règles sociales de notre passé. Un passé – les années 60 – qui n’est pas si lointain pour certaines et certains d’entre nous, mais qui semblera bien étrange, presque steampunk, à d’autres, par exemple, le statut des femmes et les objets usuels (téléphone…).

La préface donne bien les outils nécessaires à ce voyage dans le temps, sur le plan de la divergence la plus patente, la lecture féministe. C’est là que la perspective historique permet d’apprécier la modernité et l’originalité, en son temps, de Christine Renard. Certes, Anne est souvent renvoyée par ses compagnons à un rôle de dispensatrice de café, mais il n’en demeure pas moins qu’elle est la protagoniste principale, le centre du roman, et que son insatisfaction profonde devant le fait qu’elle s’est toujours conformée et n’a jamais agi par elle-même est tout à fait typique de la prise de conscience féminine/féministe de l’époque. Par ailleurs, l’origine des mutants est un détournement du rôle traditionnellement porteur des femmes, et la revendication du droit à disposer de son corps, chez les femmes, en particulier le refus de la maternité, était à l’époque assez inouï, au sens propre du terme. Car ce sont des bébés-éprouvette trafiqués, qu’on a fait adopter par des parents plus ou moins au courant (et pas implantés, justement). Et la véritable nature d’Anne est le ressort de l’intrigue. Oui, bien sûr, c’est une mutante, et elle n’est pas la seule, et son pouvoir est très différent de celui des hommes – pas supérieur, différent, et d’une redoutable efficacité, même s’il ne dénoue pas totalement l’intrigue : une domination totale par l’amour et le désir de protection qu’il déclenche chez les mutants masculins, d’abord à l’insu d’eux-mêmes. Ce qui causera une scission fatale chez les mutants, ceux qui veulent se débarrasser des mutantes – à distance sécuritaire –, et les autres : ils s’extermineront plus ou moins entre eux (survivront quelques femmes, et quelques mutants moins rigides).

J’ai surtout été fascinée quant à moi par tout le non-dit, et peut-être le non consciemment su, qui parcourt le texte en filigrane quant aux rapports de l’auteure à la féminité, au féminisme (on était entre deux vagues, à l’époque, rappel : les grandes manifestations pour le droit à l’avortement auront lieu dans les années 70), aux hommes et aux autres femmes. Les mutants-dieux masculins fascinent Anne : ils sont terrifiants dans leur super-intelligence et leurs autres pouvoirs, ils sont devenus durs et sans pitié dans leur projet d’amélioration de l’humanité (avec une guerre d’extermination d’abord secrète, puis ouverte, contre les humains obsolètes) mais en même temps, avec eux, c’est la promesse du progrès, de la paix et de l’abondance pour une humanité qui se dépasserait elle-même (« on irait dans les étoiles »). Elle les envie tout le temps qu’elle ignore leur nature réelle, elle les admire quand elle l’apprend – mais elle les juge, aussi, même si elle leur revient toujours et qu’elle les regrette après leur quasi-disparition, à jamais blessée, à jamais incomplète. Elle voudrait être eux [mutant = homme] tout en le refusant… elle est autrement… Ces balancements sont caractéristiques de la position ambivalente des femmes dans la patriarchie (et encore maintenant pour beaucoup, ne nous faisons pas trop d’illusions). L’excuse d’Anne, si l’on peut dire, c’est qu’elle est elle-même une mutante, et que cette mutation – cet appel aux étoiles, à une humanité meilleure, ailleurs – est de quelque manière conçue comme transcendant le sexe et le genre. Une aspiration touchante, dont la SF des décennies suivantes est beaucoup revenue, mais dont on peut encore ressentir l’attrait en lisant ce roman venu d’un autre univers.

Élisabeth VONARBURG

Cécile Duquenne et Étienne Barillier, Les Chiens de porcelaine (Les Brigades du Steam -2) (SF)

Cécile Duquenne et Étienne Barillier

Les Chiens de porcelaine (Les Brigades du Steam-2)

Chambéry, Actusf (Les Trois Souhaits), 2022, 322 p.

1912. Deux ans se sont écoulés depuis les événements du premier tome. Solange Chardon de Tonnerre et Auguste Genovesi sont toujours mobilards, défendant la France contre le crime. Si le temps n’a fait que renforcer leur relation mentore-apprenti, ils se connaissent mieux maintenant et sont d’autant plus efficaces. Seule ombre au tableau ? La presse, qui les traque. Le bras mécanique de Solange attire l’attention et les journalistes collent à leurs basques, redoublant d’éloquence dans leurs grands titres. Attention dont Solange se passerait bien, car en plus de devoir gérer les regards sur son bras qui la transforment en une sorte de bête de foire, la magnifique création fait des siennes, la mettant parfois en danger. L’administration affirme ne rien pouvoir faire, ce qui remet en question sa loyauté envers le pays qu’elle sert depuis près de vingt ans. De son côté, Auguste aussi a ses doutes. Cependant, ceux-ci sont davantage tournés vers sa condition de fils d’ouvrier ; alors que la France est secouée par une vague d’attentats anarchistes, est-il vraiment du bon côté, lui qui lutte pour écraser les révoltes causées par les conditions affreuses de travail des ouvriers ?

C’est dans ce contexte que la paire se rend à Limoges où un artisan de la ville pourrait réparer la main mécanique de Solange. Artisan qu’ils trouvent mort, visiblement torturé. Ce qui les mène à une double piste : celle des anarchistes et celle d’une étrange société d’augmentés, ceux qui comme Solange ont vu des parties de leur corps remplacées par des systèmes mécaniques. Qui ment, qui dit vrai, quelles sont les intentions cachées ?

Comme le premier tome, l’action commence au tout début du livre et nous plonge dans une atmosphère de steampunk à la Belle époque, dans le milieu des brigades mobiles françaises. Le duo d’auteur nous plonge dans cette époque avec une foule de détails réalistes en y mettant juste assez d’éléments pour rendre leur paradis de la vapeur crédible. Les deux personnages principaux, Solange et Auguste, ont évolué depuis le premier tome. Certes, Solange est toujours celle qui va foncer dans le tas et Auguste est toujours naïf et maladroit, mais reste que leur duo a gagné en efficacité. Les doutes auxquels ils font tous les deux face dans ce tome creusent dans leurs propres cheminements par rapport à leur rôle dans la brigade mobile. La manière dont ceux-ci s’articulent autour de l’intrigue et même la nourrissent est bien développée. Ils sont mobilards certes, mais ils sont aussi et avant tout des humains.

Les scènes d’actions ont gagné en précision depuis le premier tome. Alors qu’on avait parfois l’impression de s’embrouiller dans les mouvements des scènes de bagarres, elles coulent avec fluidité dans ce tome. Cependant, une autre faiblesse apparaît : comme dans le premier opus, l’antagoniste final ne se dévoile qu’à la toute fin, empêchant une montée en tension tout au long du livre. Les motivations de ce personnage restent donc surfaites. On comprend mal son engagement envers un projet qui s’avère à la fois grandiose et dangereux quand on croise son chemin aux deux tiers du récit surtout que la plupart de ses intentions sont résumées en un dialogue qui tient en une poignée de pages. Dommage pour la cohérence du récit, surtout que l’on aurait au moins pu donner quelques indices en cours de route.

N’empêche, le plaisir de lecture est là, bien réel. On plonge dans cette aventure et on suit avec délice les péripéties de nos deux mobilards alors qu’ils affrontent encore une fois les ennemis de la France, tant intérieurs qu’extérieurs. Le duo d’auteurs se permet d’ailleurs quelques références à l’actualité de l’époque (oui, le Titanic coule quand même !), ce qui nous garde dans l’esprit du temps. La fin laisse espérer un troisième tome et même plus. Et on l’espère aussi !

Mariane CAYER

Dan Simmons, Le Nez-Boussole d’Ulfänt Banderõz (SF)

Dan Simmons

Le Nez-Boussole d’Ulfänt Banderõz

Paris, Robert Laffont, 2022, 192 p.

Trad. de l’anglais (États-Unis) par Sébastien Guillot

Dan Simmons est un auteur que nous n’avons plus à présenter. Depuis près de 40 ans, il a publié nombre d’œuvres classiques dans nos genres préférés. Les Cantos d’Hypérion, Nuit d’été ou Terreur sont autant de livres qui sont très bien placés dans mon panthéon personnel. D’une efficacité redoutable, l’auteur passe facilement d’un genre à l’autre : fantastique, science-fiction, policier, historique… Toutefois, à ma connaissance, avec Le Nez-Boussole d’Ulfänt Banderõz il s’attaquait à la science-fantasy pour la première fois.

Cette novella est un hommage à la Terre Mourante de Jack Vance. D’ailleurs, elle est d’abord parue en version originale dans une anthologie dirigée par George R. R. Martin (Songs of the Dying Earth). Pour ceux qui ne connaissent pas l’univers, voici un résumé en quelques lignes : dans un futur très lointain, la Terre est mourante, la Lune a quitté son orbite depuis des millions d’années et le grand soleil rouge devient plus léthargique que jamais.

Ainsi, on se retrouve dans une ambiance particulière : un brin de décadence, une forte dose de fatalisme et, pourtant, il y a un soupçon de bonne humeur. C’est dans ce contexte que Shrue le diaboliste apprend la mort d’Ulfänt Banderõz. Ce dernier était le gardien d’une bibliothèque à nulle autre pareille qui contient les plus grands savoirs magiques. Seulement, personne ne peut lire les documents qui y sont préservés, mais Shrue a bon espoir d’y parvenir. De toute façon, la fin du monde approche… en fait elle semble plus imminente que jamais. Il lui reste maintenant à traverser une bonne partie du monde pour atteindre la bibliothèque et à vaincre les sortilèges qui protègent les lieux. Ces derniers sont venus à bout des premiers magiciens qui s’y sont essayés.

Dans sa quête, Shrue est accompagné d’alliés improbables : un démon contraint de lui obéir, une amazone qui n’est pas insensible à ses charmes et, plus tard, un homme-souris et même un capitaine de bateau volant. La quête sera corsée par une rivalité avec un puissant magicien, Faucelme, qui veut lui aussi percer le mystère de la bibliothèque.

Le premier qualificatif qui me vient en tête pour parler de Vance est qu’il possédait « un imaginaire foisonnant ». Simmons lui rend hommage en poursuivant dans la même lignée. Il y a plus d’idées dans les 192 pages de ce livre que dans bien des sagas de fantasy interminables.

C’est un livre qui se lit rapidement et avec plaisir. Ce n’est pas un chef-d’œuvre, mais c’est un hommage réussi et, mieux encore, un tour de manège très agréable. Les auteurs de l’âge d’or de la science-fiction (Vance s’est fait un nom à la fin de cette période et au début de la suivante) excellaient à créer le Sense of Wonder, le sentiment d’émerveillement. Eh bien, c’est ce que l’on retrouve dans cette novella. Aucun temps mort, de l’action et bien du plaisir pour le lecteur. Parfois, il ne faut pas demander plus.

Pierre-Luc Lafrance

David Beaudoin, La Signature rouillée (Fa)

David Beaudoin

La Signature rouillée

Montréal, Annika Parance (Coûte que coûte), 2022, 154 p.

Musée Carnavalet, Paris. Un homme vêtu d’une robe de marié appose sa signature à l’encre noire sur la toile Le sauvetage des malades de l’Ancienne Charité, effaçant du même coup celle de l’artiste, un peintre méconnu du nom d’A. Bélanger. Pour réparer les dégâts, la directrice du musée engage Antoine G., restaurateur d’œuvres d’art québécois résidant dans la Ville Lumière. Rapidement, Antoine G. développe une véritable obsession pour le tableau et une de ses protagonistes, une femme en blanc qui semble implorer son aide.

La Signature rouillée, premier roman de David Beaudoin, se situe à la frontière du polar et du récit fantastique. Le restaurateur d’œuvres d’art se métamorphose en enquêteur et cherche à percer les motivations du vandale. Pourquoi altérer une toile peu connue ? Pourquoi attirer précisément l’attention sur la signature d’A. Bélanger ? Pour répondre à ses questions, Antoine G. bascule littéralement dans le tableau et est assailli de visions mettant en scène la femme en blanc. On reconnaît facilement ici l’influence et l’amour de l’auteur pour les récits canoniques du genre – les nouvelles d’Edgar Allan Poe ou de Théophile Gautier, pour ne nommer que celles-là.

La Signature rouillée est un roman que j’aurais réellement souhaité apprécier. L’histoire se veut féministe et expose une diversité de thématiques encore trop peu abordées en littérature fantastique : homosexualité et transsexualité, effacement des femmes artistes, violences misogynes, internement forcé des personnes LGBTQ+. Antoine G. entretient ainsi une relation amoureuse avec un psychiatre, tandis que toute son investigation n’aura finalement pour objectif que de sortir de l’ombre le nom d’A. Belanger – reconnu à tort comme un homme, selon les visions du protagoniste. À travers quelques flash-back, on découvre aussi l’histoire de Zéléma, la grand-mère d’Antoine G, internée par son mari peu après avoir développé une liaison avec une femme au Mexique. Je suis cependant restée sur ma faim de lectrice : une multitude d’histoires tragiques s’entrecroisent et pourtant, je n’ai eu l’impression de n’en vivre aucune de l’intérieur. Le roman reste à la surface des choses, manque d’organicité.

En tant que femme queer, j’ai aussi ressenti un malaise face à certaines descriptions qui me sont apparues parfois maladroites. Le recours au vocabulaire et aux théories psychanalytiques, souvent misogynes, est-il réellement nécessaire pour parler des liens entre folie et orientation sexuelle et/ou identité de genre ? (J’avoue être demeurée dubitative devant l’expression « homosexualité refoulée » et la description d’un sexe féminin dont « l’odeur de mort » […] « semblait tout droit sortie des abysses ».) J’ai parfois été troublée par le regard que pose le roman sur la violence faite aux femmes : « Antoine G. se dit que, si elle avait trouvé la mort de la plus horrible des façons, la femme en blanc avait tout de même réussi à éviter le viol. Son assassinat avait déjà été au-delà de tout ce qu’il pouvait supporter. » Peut-on vraiment mettre deux actes aussi ignobles que le viol et le meurtre sur une balance, et dire que l’absence de l’un rend l’autre plus tolérable ? Je crois que toute hiérarchisation des violences est une pente glissante, qui peut facilement se changer en dévalorisation et incompréhension du ressenti des victimes.

S’il n’évite pas plusieurs écueils, La Signature rouillée a du moins la volonté d’exposer les liens entre art et identité de genre et de dénoncer les horreurs du passé.

Anaïs PAQUIN