Antoine Volodine, Des anges mineurs (SF)

Antoine Volodine

Des anges mineurs

Seuil, Paris, 2001, 217 p.

Après une fin de la civilisation, de vieilles immortelles, résultat de peut-être expériences scientifiques, et parquées dans un hospice quelque part en Sibérie ou par là (tous les noms des personnages et des lieux ont une consonance slave ou asiatique), jugent leur petit-fils, créé à l’aide de rebuts divers et de formules magiques. Elles lui avaient donné pour mission de sauver le monde, mais il les a trahies en réintroduisant le capitalisme et ses ravages, « abominations mafiogènes ». Des voix multiples, hommes, femmes, musiciens, chamanes, vagabonds, écrivains, tous ces « anges mineurs » que sont les humains déchus, racontent de brèves histoires tronquées, des tranches de vie qui se déroulent dans des lieux indistincts, immeubles en ruines ou prisons. Ces voix sont peut-être seulement celle de Will Scheidmann, le petit-fils maudit qui, pour passer le temps de sa torture et satisfaire les grands-mères féroces, égrène ces histoires, morceaux flottants de biographies, ces « narrats » : des instantanés romanesques qui fixent une situation, des émotions, un conflit vibrant entre mémoire et réalité, entre imaginaire et souvenir. C’est une séquence poétique à partir de quoi toute rêverie est possible, pour les interprètes de l’action comme pour les lecteurs, comme l’indique l’auteur.

Je ne peux évidemment pas résumer ces 49 textes brefs un par un, seulement tenter de donner une idée approximative de leur ambiance. Et surtout souligner que j’effectue en 2023 cette lecture d’un livre publié en 2001 (mieux vaut tard que jamais, toujours). Le ranger dans la catégorie actuellement à la mode du post-apo serait quasiment un anachronisme. De toute manière, l’œuvre entière de Volodine se situe plutôt, selon lui-même, dans le « post-exotisme ». Qu’on examine bien cette formule, d’un point de vue SF, et on en appréciera le tranchant. Je me rappelle (oui, Mémé, on sait) son premier roman publié en 1985, Biographie comparée de Jorian Musgrave (Denoël), et la critique sidérée que j’en avais faite pour Solaris. Volodine a toujours été non pas un « marginal », non pas un « inclassable » mais un dissident, situé nulle part et partout à la fois, littérature internationaliste, engagement politique acerbe, onirisme, chamanisme, « réalisme magique », réflexion sur l’histoire sombre du XXe siècle (qui se poursuit sans interruption depuis, comme on sait), les génocides, l’échec des révolutions… Les univers SFantastiques parallèles où se déploient ses fictions sont les refuges imaginaires édifiés par des rescapés de tous les camps, hantés par le passé. L’écriture faussement romanesque est précise, immersive, hypnotique par son aspect lisse comme par les échos qu’elle nous invite sournoisement à établir entre plusieurs textes (personnages ou situations apparemment récurrents, mais c’est un leurre). Chacun des livres de Volodine parus chez Denoël/Présence du Futur – il a ensuite effectué sans effort le passage à des éditeurs non spécialisés – a été pour moi une claque. Je la retrouve ici, et l’effet de sidération, intacts.

NB : Les quatre premiers romans de Volodine dans la collection Présence du Futur ont été réédités en bloc sous le titre Des heures durant. Ça comprend Biographie comparée de Jorian Murgrave (1985), Un navire de nulle part (1986), Rituel du mépris (1987, Grand prix SF française), Des enfers fabuleux (1988). Recommandé.

Élisabeth VONARBURG

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