Sci-Néma 149

par Hugues MORIN [ HM ], Christian SAUVé [ CS ]et Daniel SERNINE [ DS ]

Exclusif au Volet en ligne (Adobe Acrobat, 873Ko) de Solaris 149, Printemps 2004

La Peau Blanche

Disons-le d’emblée, La Peau blanche est un bon film. Adapté d’un roman de Joël Champetier, c’est l’histoire d’amour entre Thierry, un étudiant à l’université, et Claire, une superbe et mystérieuse rousse au teint très pâle. Thierry partage un appartement avec Henri, qui se remet d’une agression subie lors d’une soirée avec une prostituée au centre-ville. Leurs deux histoires apparemment sans lien finiront par se croiser alors que le comportement de Claire devient étrange et qu’il se produit des phénomènes curieux.

Le film est aussi difficile à résumer que le roman si on veut éviter de dévoiler des éléments qui gâcheraient le suspense. Car La Peau blanche , c’est d’abord et avant tout un suspense. Le mystère est d’ailleurs mis en place dès la scène d’ouverture, celle où Henri est attaqué par une prostituée. Mais le réalisateur Daniel Roby a choisi l’option de prendre son temps. Le film ne roule donc pas à la vitesse grand V au détriment du reste. Après le démarrage intense, la tension se crée lentement, à un rythme qui permet de développer les personnages de manière crédible et efficace, tension soutenue tout le long du film. Et ce rythme lent, cette tension et cette ambiance intrigante sont les points forts du film.

Les scénaristes Joël Champetier et Daniel Roby méritent des félicitations pour la justesse des dialogues. Il est rare d’entendre au cinéma québécois des dialogues sonner aussi juste sans tomber dans le joual extrême ou les sacres excessifs. Les répliques sont naturelles, les conversations sonnent vraies. Il n’est pas difficile de croire et de s’identifier à Thierry et Henri, joués respectivement par Marc Paquet et Frédéric Pierre, tous deux excellents. Marianne Farley joue également avec beaucoup de subtilité une Claire intrigante et touchante, qui doit passer par divers états émotifs sous le regard de Thierry et des spectateurs. Son visage elfique convient parfaitement à ce personnage pivot de l’intrigue. Enfin, Jessica Malka interprète une Marquise inquiétante et effrayante avec une énergie qui offre un excellent contraste au personnage de sa sœur Isabelle, froide et en contrôle, interprétée avec talent par Julie LeBreton. En réalité, c’est tout le casting de La Peau blanche qui est absolument impeccable.

Et comme si tous ces éléments ne suffisaient pas, j’ajouterais que c’est aussi un beau film. La direction photo est léchée et soignée, tout est filmé avec une subtilité que j’apprécie beaucoup en cinéma fantastique et qui, avouons-le, est plutôt rare. En terme d’ambiance, on peut penser à The Sixth Sense , de M. Night Shyamalan, par exemple.

Les lecteurs du roman remarqueront certains changements importants au niveau de l’histoire. Le personnage de Thierry est québécois plutôt que français, mais on en a fait un Gaspésien pour conserver le thème du décalage culturel. Une bonne partie des références littéraires ont été éliminées et certains personnages secondaires se sont vus mis à l’écart. Le personnage de Marie-Pierre, la tante d’Henri, et tout l’aspect vaudou, sont donc moins présents, mais ce sont là des conséquences normales lorsqu’il y a changement de médium. Malgré tout, la réflexion que l’on retrouve dans le roman sur les frontières (entre les genres, les races, les langues) transparaît en filigranes dans certaines scènes et certaines lignes de dialogues bien placées ; on a surtout conservé l’humour, essentiel pour équilibrer et varier le ton de l’histoire, ce qui semble plus important encore au cinéma.

Très peu de films étant parfaits, j’ai quelques réserves mineures. à un moment, Henri effectue une recherche sur Internet avec un mot-clé qui lui permettra de mieux comprendre ce qui se passe avec Thierry et Claire. à ce moment du film, pourtant, on ne saisit pas vraiment pourquoi ses soupçons portent dans cette direction. Le spectateur n’ayant pas lu le roman pourrait se demander ce qui a justifié ce soudain intérêt. Dans le même ordre d’idée, lorsqu’Henri confie à Thierry qu’il se sait poursuivi par Marquise, ce n’est pas si évident pour le spectateur.

J’expliquerais ces deux raccourcis par des contraintes de minutage, puisque dans les deux cas j’ai eu l’impression que l’on avait coupé une scène au montage, scène qui, je suppose, devait préparer le terrain pour ces agissements d’Henri. Enfin, je n’ai pas été convaincu par la scène finale à l’université avec la directrice du département, mais ici c’est une scène vraiment secondaire.

Il s’agit donc de réserves infimes, cent fois compensées par la qualité du scénario, de la réalisation et de l’interprétation, ainsi que par l’intensité de plusieurs scènes, dont une scène finale qui visse littéralement le spectateur sur son siège.

Comme j’ai œuvré dans le milieu de la distribution de films pendant plusieurs années, je me permettrai un commentaire sur l’exploitation commerciale du film, dont la sortie en salle est annoncée pour le 9 avril prochain.. Il s’agit après tout du second film d’importance en SFFQ à être adapté d’un roman de notre corpus contemporain, après Sur le seuil . à la différence du film d’éric Tessier, le film de Daniel Roby ne profite pas de la machine promotionnelle d’un gros distributeur ; il ne fera donc probablement pas autant de recettes dans ces premières semaines. Même si je suis personnellement d’avis qu’en terme cinématographique, La Peau blanche est un meilleur film que Sur le seuil (que j’ai beaucoup aimé aussi), les deux films ne jouent pas sur les mêmes registres et mon expérience de programmateur me fait croire que ce ne sont pas nécessairement les films les plus subtils qui font recette. Le choix du rythme lent mais intense peut jouer contre lui face aux amateurs de suspenses frénétiques ; à moins que cela ne lui permette de se démarquer, comme ce fut le cas de The Sixth Sense ? Dans tous les cas, l’amateur de bons films de genre ne saurait être déçu par le visionnement de La Peau blanche . [ HM ]

Paycheck: le «pour» (?)

étrangement, j’ai vu Paycheck avec de bonnes dispositions d’esprit et, au moment de sortir de la projection, j’étais satisfait. Attention, je ne dis pas que c’est un bon film de SF, je ne dis même pas que c’est un bon film tout court. J’ai tout de même eu l’impression qu’on avait livré la marchandise. Un film de John Woo, pour ce cinéphile-ci, signifie une réalisation qui ne brille pas par sa cohérence, axée sur l’action et les explosions au détriment du scénario. Le film met en vedette Ben Affleck, acteur compétent ( Good Will Hunting, Shakespeare in Love ) mais dont les choix semblent privilégier des films au scénario insignifiant, voire nul ( Gigli, Pearl Harbour, Armageddon ). Le scénario de Paycheck est adapté d’une nouvelle de Philip K. Dick, ce qui pour moi mettait déjà la barre trop haute pour le duo Woo/Affleck.

Malgré tous ces handicaps, l’intrigue est bien menée et le premier tiers du film est pratiquement dépourvu d’incohérence majeure si on est un tant soit peu indulgent. Le film raconte l’histoire d’un ingénieur informatique qui effectue des copies de technologies avancées en démontant les produits concurrents. Après chaque contrat, très bien payé, on lui fait subir un effacement de la mémoire pour éviter les fuites. Il tombe sur une offre très alléchante mais dont la durée, trois ans, est inhabituelle et risquée. évidemment, après le contrat, il se retrouve impayé, des tueurs à ses trousses, trois ans de sa vie effacés, et comme seul piste pour retrouver ce qui s’est passé, une collection d’étranges objets. Typiquement dickien : on joue avec la mémoire, l’identité et le temps, trois concepts très difficile à maîtriser sans incohérence. Apportez une bonne dose de «suspension d’incrédulité» ou débranchez tout simplement votre cerveau d’amateur de SF, et vous risquez alors d’apprécier Paycheck , même si vous risquez aussi de l’oublier très rapidement.

C’est en fait le film américain de John Woo qui m’a le moins tapé sur les nerfs, même si on y retrouve à peu près tous ses tics habituels: les gros plans au ralenti sur les regards au moment où les deux personnages qui tombent en amour se voient pour la première fois (personnages qui sont trop en carton pour que l’on y croit à leur intense histoire d’amour), les explosions injustifiées, la poursuite en moto et évidemment, la colombe qui s’envole en contre-jour au ralenti. Impossible de ne pas faire la comparaison avec Minority Report , autre film récent à gros budget adapté d’une nouvelle de Dick, sauf que cette comparaison ne tient pas la route longtemps : Paycheck n’est pas du tout dans la même ligue et tout le monde n’est pas Steven Spielberg…

Je terminerai en mentionnant que, pour ma part, l’élément le plus intéressant demeure peut-être la présence de Uma Thurman, toujours agréable à regarder. Avouez que c’est un peu mince pour justifier le prix d’un billet en salle. [ HM ]

Paycheck: le «contre» ?

Hollywood nous livre ce type de film avec une régularité déprimante. Vous savez, le «gros» film de SF prometteur, mariant un bon réalisateur (ici ; John Woo) avec du matériel source bien coté («Paycheck», une nouvelle de Philip K. Dick), des acteurs connus (Ben Affleck et Uma Thurman), une bande-annonce intéressante et quelques précritiques ravies. Puis le film arrive… et s’avère n’être qu’un nouvel exemple de ce type particulièrement agaçant de science-fiction média : le film qui ne laisse aucun souvenir impérissable. Car, ironiquement pour un film qui joue sur l’amnésie artificielle, il est difficile de se rappeler des détails de Paycheck ne serait-ce que quelques jours après l’avoir vu (et sans qu’il soit nécessaire de recourir à une technologie sophistiquée…).

Ben Affleck y joue le rôle de Michael Jennings, un ingénieur qui se spécialise en rétro-ingénierie : il est très bien payé pour ses services, mais pour préserver les secrets industriels qu’il perce, ses employeurs lui effacent la mémoire après chaque contrat. Ce n’est pas une mauvaise façon de gagner sa vie jusqu’à ce que Jennings se réveille pour constater qu’après un long contrat aucun chèque ne l’attend. Seule compensation, dix-neuf objets hétéroclites qu’il ne reconnaît pas. Il se met à enquêter… ce qui s’avère dangereux quand on commence à lui tirer dessus. Que s’est-il passé durant les années perdues ? Et pourquoi les objets assemblés se mettent à être utiles dans toutes sortes de situations désespérées ?

De thriller , Paycheck devient un film à puzzle où le suspense consiste à voir le protagoniste placer les pièces au bon endroit. Ce n’est tout de même pas un très mauvais film. Malgré quelques moments particulièrement bêtes, ça se laisse regarder, au moins jusqu’à la conclusion longue et sans relief. Mais à travers tout cela, il est impossible d’échapper à un fort sentiment de déjà-vu. Même les séquences d’action sont identiques à ce qui a été fait des douzaines de fois auparavant. Ceux qui iront voir ce film pour la touche de John Woo en ressortiront stupéfait ; sans son nom au générique, il aurait été impossible de deviner qu’il s’agissait de son œuvre tant sa touche habituelle est absente. Et n’y voyez pas là une bonne chose, car si ses tics de réalisateur n’y sont pas, la clarté légendaire de ses scènes d’action «chaotiques» semble également manquer à l’appel. Ce qui reste n’est que confusion, à un point tel que le troisième acte est un exercice en exaspération. Dommage. [ CS ]

The Butterfly Effect

Ne pas être au fait de la culture populaire de l’instant présent peut parfois avoir ses avantages. Si l’amateur moyen de science-fiction ignore qui est Ashton Kutcher, il ignore sans doute tout des origines de la célébrité de l’acteur, de sa prestation remarquée dans la série américaine That ’70s Show , de son animation de Punk’d! et de sa liaison avec la vénérable Demi Moore. Tout au plus l’auront-ils remarqué dans l’amusante comédie science-fictionnelle Dude, Where’s my Car? Alors que les critiques mainstream affûtaient leurs couteaux pour discuter de ce film comme un jalon dans la carrière d’une célébrité, le simple amateur de SF a eu (et possède toujours) le privilège d’aborder le film sans préjugés, seulement comme une œuvre de science-fantasy .

Evan Treborn (Kutcher) est un étudiant de psychologie brillant, mais avec un passé trouble. Dès son tout jeune âge, il a été victime de trous de mémoire gênants, coïncidant souvent avec des événements traumatiques. Jeune adulte, il découvre cependant qu’il a noté ces événements dans ses volumineux journaux intimes et que la seule lecture de ces périodes de black-out peut le ramener dans le temps, prêt à changer le cours des événements avec des conséquences dramatiques.

Une des premières surprises de The Butterfly Effect est de voir à quel point l’intrigue est développée sur le modèle d’un film d’horreur. Le prologue, introduisant le protagoniste comme enfant, regorge de moments inquiétants et de black-out périodiques ponctués de «réveils» brutaux. Bruits soudains, images chocs et thèmes dérangeants sont au menu, qu’il s’agisse de pédophilie, de rage jalouse, de morts accidentelles ou de traumatismes profonds. Le premier quart d’heure n’est pas facile à regarder, mais le ton est donné : ceci ne sera pas un film léger, ce qui pourra décontenancer ceux qui connaissent surtout Kutcher comme un acteur comique.

Dès qu’il réalise ce dont il est capable, Evan s’évertuera à retourner changer son passé pour aboutir dans un meilleur présent. Mais il apprendra vite que chaque action a une réaction : si le sort d’une personne peut être amélioré dans une réalité parallèle, ça peut être le contraire pour une autre. Sa première tentative lui redonne une autre chance avec son ex-amie, mais aux dépens d’un affrontement mortel avec le frère de celle-ci. Il retournera à nouveau dans le passé, pour faire un autre changement, avec d’autres conséquences… Le tout s’accélère, chaque changement causant des lésions dans son cerveau. Risque-t-il d’être enfermé dans des réalités de plus en plus cauchemardesques ?

Ce n’est pas un accident si le générique du film cite Toby Emmerich comme producteur, car ce film est dans la veine de Frequency et Final Destination , c’est-à-dire une science-fiction qui n’en a pas l’air, une sorte d’introduction sans douleur aux concepts avec lesquels les lecteurs de Solaris sont familiers. Ce n’est sans doute pas un accident si, pendant un bref instant, le mur de la chambre du protagoniste révèle le fanion d’un collège nommé… Bradbury. En tant que suspense, il y a peu de choses à redire au sujet de The Butterfly Effect : scénario, réalisation et autres aspects techniques sont tout à fait adéquats. Ceux à la recherche d’un nouvel épisode de la légendaire série télévisée The Twilight Zone ne seront pas déçus.

Ceci dit, les amateurs de science-fiction plus rigoureuse seront légèrement agacés. Le mécanisme qui permet à Evan de retourner dans le temps n’est pas particulièrement solide. Et n’abordons même pas la question des paradoxes temporels : si un black-out est créé par un traumatisme et qu’une intervention antérieure résout le traumatisme, comment le black-out peut-il encore exister ? Aaargh ! : trop penser à ce film peut causer des maux de têtes et une appréciation diminuée.

Mais ce serait dommage d’être trop sévère. The Butterfly Effect est une surprise agréable, un film beaucoup plus noir et relativement plus satisfaisant que ce à quoi on pourrait s’attendre. Et ce même si, en pop-culture, on reste incapable de distinguer Ashton Kutcher de Seann William Scott. [ CS ]

Les belles surprises du «deux pour un»

Le film Willard, deuxième mouture, avait vite disparu des écrans en 2003. Je n’avais pas eu l’intention de le voir et j’avoue que je ne l’aurais peut-être pas choisi au club vidéo si ce n’avait été une journée «deux pour un». Bénissons les dieux du mardi, car j’aurais manqué… non pas une perle, mais à mon avis un bon petit film qui ne mérite ni d’être oublié ni d’être ignoré.

Le ton est donné dès l’élégant générique, inventif et ingénieux… ou devrais-je dire «la couleur est donnée». Presque tout le film, en effet, est une étude en brun en en vert. Des bruns chauds et variés pour la demeure ancestrale des Stiles, y compris sa cave infestée de rats, puis des verts glauques pour le bureau et le couloir de l’usine où travaille Willard Stiles, le personnage éponyme.

Incarné par un Crispin Glover au visage aussi singulier que son prénom, Willard est un ado dans la trentaine, pathologiquement gauche et timide, célibataire vivant avec sa vieille mère accaparante et malade. Au travail, il est constamment humilié par le patron, M. Martin, ancien partenaire d’affaire de son père, de qui il a racheté l’entreprise en des circonstances ambiguës. Obligé d’affronter le problème de la vermine chez lui, Willard se prend d’affection pour un rat blanc particulièrement intelligent, qu’il baptise Socrate, et se découvre bientôt capable de communiquer ses volontés aux rongeurs. Se multipliant de manière fantastique (ou de façon monstrueuse, si l’on entretient une phobie des rongeurs bruns), les rats deviennent l’instrument de la vengeance de Willard. De douce revanche au début, de l’ordre du vandalisme contre la voiture de l’odieux patron, l’intention devient criminelle lorsque le tyran congédie Willard, complote pour le forcer à vendre la maison ancestrale et tue le seul ami de Willard, son rat blanc. Ajoutons au tableau un rat géant, Ben, sorte de parrain de la meute, une vraiment vilaine bestiole.

Meilleur que l’original (1971) selon certains critiques, ce film a été réalisé par Glen Morgan, coproduit par James Wong et Glen Morgan… Ces noms vous sont familiers ? Si j’ajoute que la chatte rousse qui fait une brève et tragique incursion chez Willard est nommée Scully, vous reconnaîtrez les scénaristes de certains épisodes des X-Files , de Millenium et de Space Above and Beyond . Morgan avait aussi réalisé le film Final Destination .

Saluons la direction photo, très soignée (on doit au directeur photo, Robert McLachlan, les images de l’inoubliable série Millenium ) qui exploite habilement les lentilles à courte focale. Mais il faut surtout signaler le talent des acteurs. La très âgée Jackie Burroughs (dont je me rappelle le rôle savoureux de Mother Mucca dans les Tales of the City d’Armistead Maupin) fait une vieille mère à la fois sénile, attachante, odieuse et répugnante – ça fait peur tant elle excelle.

Et, à l’égal d’Anthony Perkins dans Psycho , Crispin Glover vole la vedette (enfin, il ne la vole pas puisqu’il a le rôle-titre !) en incarnant un refoulé tantôt quasi-catatonique, tantôt hystérique dans ses colères, tantôt pathétique dans ses supplications. Surtout, il soutient la comparaison avec n’importe quel acteur mieux connu, dans sa représentation de la folie : des éclairages pointus font naître dans ses yeux souvent mouillés l’authentique lueur de folie . L’ultime visite au bureau du patron, l’arrivée de l’ascenseur avec son véritable déferlement de rats, font figure de petites gemmes dans une éventuelle anthologie du suspense et de l’horreur. Même sa voix brisée lorsqu’il hurle (oui, l’histoire finit mal pour lui) a quelque chose de remarquable.

Si vous n’avez rien contre les films au rythme posé, où la montée de tension est linéaire plutôt qu’en dents de scie, si vous préférez une image soignée à un déluge de gore , louez Willard , ne serait-ce que pour le visage crispé de Crispin. [ DS ]

Big Fish, small Burton

Si vous imaginez les sombres ambiances gothiques de Batman ou de Sleepy Hollow , oubliez ça. Si vous pensez à l’humour décapant de Mars Attacks , de Beetlejuice ou d’ Ed Wood , oubliez ça. Si vous avez en tête le mordant d’ Edward Scissorhands ou de Nightmare Before Christmas , oubliez ça. Oubliez aussi Planet of the Apes (mais sans doute est-ce déjà le cas).

Bref, si vous allez voir Big Fish en vous attendant à du Tim Burton, vous resterez pour le moins perplexe. Qu’on ne se méprenne pas : il s’agit d’un bon film, agréable à regarder, touchant, avec de savoureux brins de folie. Mais Tim Burton signant un film de bons sentiments («feel good movie ») ? Je n’ai pu m’empêcher d’être un peu déçu.

Voici l’histoire. Un jeune homme, joué par Billy Crudup, retourne auprès de son père, qui va bientôt mourir du cancer. Ils ne se sont pas parlé depuis quelques années car le jeune ne supportait plus la mythomanie et la grande gueule de son père après avoir été subjugué, enfant, par les mensonges paternels. Ed Bloom, qui a gagné sa vie comme voyageur de commerce au retour de la Guerre de Corée, a passé sa vie à raconter des histoires hénaurmes. à coup de flash-back , le film nous en raconte quelques-unes, où un Ewan McGregor assez banal incarne Ed Bloom jeune (tandis qu’Albert Finney l’incarne à ses derniers jours, marié à une Jessica Lange radieuse mais trop jeune pour son rôle).

Rapporter ici ces histoires inventées ou exagérées serait fastidieux. Disons que le motif de l’eau y revient souvent (entre autres autour du poisson géant que Bloom prétend avoir pêché le jour où naquit son fils) de même que le monde du cirque et du spectacle. Il y a un géant, un ou deux nains (ça dépend où vous situez Danny DeVito), une sorcière dont l’œil de verre révèle les destinées, un loup-garou, des jumelles siamoises (effet très réussi), une (plus ou moins) sirène, un village fantôme et des emprunts évidents à Forrest Gump .

Le personnage de Crudup prie son père de lui révéler une fois pour toutes le vrai Ed Bloom, plutôt que ce Baron Munchausen des temps modernes à l’ombre de qui il a dû grandir. Il soupçonne même (avec raison) que cet homme si souvent absent de chez lui a vécu une double vie à une certaine époque.

La vérité, comprendra-t-il, celle de Bloom et de sa vie, se trouve à l’intérieur de ses histoires, c’est-à-dire qu’il y a une part d’authentique dans chacune, et une parcelle du vrai Ed Bloom dans chacune de ses incarnations quasi-mythiques.

Quelques trop rares scènes se réclament de l’imaginaire fantastique de Tim Burton, mais de façon générale la folie qui se déploie dans cet Alabama rural est trop sage, trop saine. Albert Finney est émouvant, cependant on cherche en vain chez McGregor l’intensité de Moulin Rouge ou des films de Danny Boyle. Il n’est pas aussi beige que dans les récents Star Wars , mais disons qu’une abondance de beaux sourires francs ne lui redonne pas la présence qu’il avait dans Velvet Goldmine ou The Pillow Book .

Toutefois vous n’êtes pas obligés de me croire. Peut-être que toute cette critique est une grosse menterie ! [ DS ]

Complexe, Peter Pan?

En voyant ce nouveau Peter Pan , je me suis rendu à l’évidence que je connaissais mal la «véritable» histoire du garnement volant, n’ayant jamais lu le roman pour enfants de James Matthew Barrie (1860-1937). Le chef-d’œuvre de cet écossais émigré à Londres fut d’abord une pièce de théâtre, créée en 1904, pour ne devenir roman qu’en 1911. J’écris «chef-d’œuvre» avec une connotation de notoriété plutôt que de qualité car, à dire vrai, il ne s’agit pas d’une œuvre littéraire scintillante.

Outre la curiosité de savoir si le «Pan» en question avait rapport avec le dieu grec et sa flûte de roseaux, mon but était de démêler l’authentique de l’image altérée par des générations d’albums illustrés, de dessins animés et de… Mais saviez-vous que ce Peter Pan -ci est la première adaptation cinématographique avec de vrais acteurs depuis le cinéma muet? (J’exclus ici les films produits pour la télé, de même que le Hook de Steven Spielberg avec Robin Williams, Dustin Hoffman et Julia Roberts, qui offrait plutôt une variation contemporaine sur l’œuvre classique.)

Verdict? Rien au sujet du divin satyre, mais disons que le premier tiers du film est assez fidèle au roman, hormis l’âge du personnage éponyme. Car bien que Peter – qui ne veut point vieillir – affirme plus d’une fois n’avoir pas d’âge, J.-M. Barrie écrit clairement que l’enfant avait encore ses dents de lait (donc moins de dix ans). Au théâtre, il a longtemps été de mise de faire incarner Peter Pan par une comédienne adulte de petite stature (j’ignore si c’est encore le cas ; en Angleterre, la pièce n’a semble-t-il jamais cessé d’être jouée depuis un siècle !). Dans le film de 1924 et dans diverses versions tournées pour la télévision, c’étaient des actrices adultes, dont Mia Farrow dans celle de 1976. Dans le dessin animé de Walt Disney (1953), c’était Bobby Driscoll, alors âgé de seize ans, qui donnait sa voix à un Peter Pan distinctement adolescent. Paradoxe amusant, qu’un gamin refusant de vieillir ait été incarné jusqu’à aujourd’hui par des adultes ou des adolescents…

Dans ce film-ci c’est Jeremy Sumpter (l’un des fils dans le Frailty de Bill Paxton) qui a joué le rôle de l’agile gamin ; il avait douze ou treize ans lors du tournage. Et ma foi, quand on sait que le personnage est décrit comme effronté, imbu de lui-même et cabotin, Sumpter l’incarne parfaitement. Il croque dans le rôle avec une jubilation qui fait plaisir à voir. On lui a conféré une allure pastorale – un costume de feuilles, certes plus chaste que celui des faunes – plutôt que le petit habit à la Robin des Bois du film de 1924 ou de celui de Disney.

Le scénario suit tour à tour le roman et le dessin animé de 1953, en plus d’offrir ses propres innovations. On a par exemple ajouté une tante Millicent qui incarne les exigences de rectitude et de conformisme britanniques, ce qui permet de laisser à Mme Darling toute la douceur maternelle requise. Le roman offre une mine de détails surprenants. Ainsi, la fée Clochette, Tinker Bell, était censée être grassette ! («She was slightly inclined to embonpoint », ce que les scénaristes de Disney semblaient avoir relevé car leur pixie avait les hanches trop fortes pour se faufiler par le trou d’une serrure !) Fée charnue… ce n’est vraiment pas le cas de l’actrice française Ludivine Sagnier.

Dans le roman comme dans le film, la nounou des enfants Darling est une chienne Saint-Bernard ; dans le film de 1924, le rôle était tenu par un comédien adulte marchant à quatre pattes dans un costume de peluche !

Le rôle du trop sérieux et trop pragmatique M. Darling est joué par Jason Isaacs (Lucius Malfoy dans les Harry Potter ). Le même acteur (qui incarne le général Wolfe dans Nouvelle France qu’on verra en 2004) joue aussi un Capitaine Hook assez fidèle mais qui ne restera pas gravé dans les mémoires.

La thématique centrale est bien sûr respectée : les fées qui n’existent que par la foi des enfants, le refus de vieillir, de se couler dans le moule des conventions adultes, le goût des aventures fictives, le désir de vivre dans l’insouciance et l’immédiateté de l’enfance, tout est là, dans un décor et des couleurs délibérément oniriques (je pense à ces nuages dodus, ourlés de rose). Mais ces enfants, du moins Wendy, Peter et la princesse indienne Tiger Lily, sont au seuil de l’adolescence ; une certaine sensualité épidermique, et le thème du premier baiser qui fait rougir, nous le rappellent de temps à autre.

Une fois dans l’île de Neverland, le film, tout en restant fidèle à l’esprit et souvent à la lettre du roman, prend des libertés que lui autorise Sir Barrie qui, dans le livre, disait explicitement ne pouvoir narrer tout ce qui se passait durant le séjour de Wendy et de ses petits frères sur l’île, ajoutant que son choix des péripéties racontées était arbitraire. à ce point de vue, le film de p. J. Hogan s’avère pas mal plus captivant, truffé qu’il est de périls, de duels et de cabrioles dans les grottes, la jungle et à bord du bateau pirate. Les enfants, que ce film vise en premier lieu, seront comblés, puis émus par les retrouvailles familiales de la fin et l’adoption des Enfants perdus.

Le roman, lui, investissait ailleurs sur le plan émotionnel. D’une certaine manière, Peter Pan est une figure tragique, solitaire en ce que ses compagnons de jeu sont toujours éphémères, prisonnier d’un présent éternel qu’il a lui-même choisi mais qui s’accompagne d’une amnésie quasi systématique (c’est lui qui oubliera de visiter annuellement Wendy comme promis, bien avant qu’elle, devenue adulte, ne cesse de croire en Peter Pan). Seul son retour pour emmener la fille de Wendy, Jane, nous rassure sur le fait qu’il vit toujours dans le bonheur insouciant de Neverland (où l’on sait toutefois qu’il pleure, la nuit, lorsqu’il rêve à sa mère inconnue).

Le thème du garçon qui veut rester éternellement enfant revient plus d’une fois dans l’œuvre de J. M. Barrie, qui s’était entre autres lié d’amitié avec les cinq enfants d’une famille de Kensington Park, les Llewellyn-Davies, lesquels gamins allaient servir à la fois de premiers auditeurs pour ses contes et de modèles pour les «Lost Boys» de Peter Pan . Pour quiconque vit année après année le deuil des enfances révolues, le fait de savoir que Peter Pan lui-même est triste derrière son allégresse enfantine représente un petit supplément de tragédie. Ce film-ci, destiné en premier lieu à un public juvénile, n’aborde pas ces rivages ; en fait ce serait la matière d’un tout autre film. [ DS ]

Mise à jour: Mars 2004 –

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