Lectures 135

Exclusif au supplément Web de Solaris 135, automne 2000

Lois McMaster Bujold
A Civil Campaign

Riverdale, Baen, 1999, 534 p.

Cette nouvelle aventure de Miles Vorkosigan s’éloigne un peu plus du cadre accoutumé des exploits de Miles. L’auteure s’attache plutôt à dépeindre une fois de plus l’aristocratie militaire de la planète Barrayar, classe sociale en proie à des transformations de plus en plus marquées. L’intrigue verse surtout dans le genre de la comédie sentimentale, mais les personnages conservent toute leur richesse psychologique. Ainsi, cette suite directe de Komarr permet à Miles de retrouver Ekaterin, l’objet de ses affections, à la veille du mariage de l’Empereur. C’est l’occasion pour lui de faire sa cour à la veuve pas si éplorée, cour qu’il va mener tambour battant… mais sans juger bon d’informer l’intéressée de ses intentions, pourtant fort honorables.

Bujold tire de la situation tout son potentiel comique, en y greffant plusieurs intrigues secondaires, mais l’ensemble illumine aussi les soubresauts du machisme agonisant de la société de Barrayar. Roman de moeurs, roman sentimental, A Civil Campaign est le récit d’une collision d’intrigues diverses et l’auteure les agence avec une habileté que n’aurait pas désavouée un Molière. Si la narration est un peu lente, car Bujold a besoin de temps pour placer tous ses pions, les péripéties qui en résultent ne ratent pas leur cible. Le rire ou l’émotion est au rendez- vous, tandis que les personnages acquièrent un peu plus de consistance psychologique en vue d’un prochain épisode. Et tout est bien qui finit bien. [JLT]

 

Stéphane Nicot, anthologiste
Hyperfuturs

Nancy, Galaxies, 2000, 208 p.

Le projet était méritoire, mais le résultat ne répond pas exactement à nos attentes. Si l’on doit gratitude et reconnaissance à l’anthologiste, car cela fait du bien de lire une anthologie de sciencefiction francophone d’un aussi bon niveau, on peut juger qu’Hyperfuturs n’a aucun mal à surclasser une anthologie comme Musées, des mondes énigmatiques, également ouvert à la relève, dans la mesure où Hyperfuturs compte sur plus d’un auteur qui n’est pas exactement un néophyte. Pourtant la préface précise bien : «Hyperfuturs vise – même si quelques noms déjà appréciés des happy few figurent au sommaire – à donner leur chance aux débutants.» Or, l’anthologie offre un éventail assez large d’auteurs plus ou moins connus, plus ou moins expérimentés, plus ou moins jeunes. En moyenne, ils ont quarante ans, en fait. Le plus jeune est Claude Mamier, 27 ans, le plus âgé, Raymond Iss, 55 ans.

De fait, Hyperfuturs ne suffit pas à établir l’existence d’un renouveau – ou si l’on préfère, de l’avenir d’un renouveau avéré – de la SF française, soit du côté des personnes, soit du côté des idées. Plusieurs textes exploitent des tons, des thèmes et des sous- genres déjà familiers. Ce qui ne veut pas dire que l’anthologie manque d’auteurs prometteurs ou de textes novateurs, mais les uns et les autres côtoient des écrivains confirmés et des récits d’une facture désormais classique.

Le premier texte de l’anthologie est la nouvelle d’Emmanuel Levilain- Clément, «Adieux à Genêts». Le hic, c’est que tout son attrait, toute sa force de frappe et presque toute sa puissance d’évocation tiennent dans la première phrase. Le reste du texte ne fait que développer et amplifier ce début, de manière plus ou moins attendue. L’auteur fait d’ailleurs l’impasse sur la part d’altérité que pourrait comporter un univers virtuel pour personnes décédées ; a priori, il se contente d’appliquer des aspects de notre monde familier à la situation qu’il a imaginés. Ainsi, lors du déménagement, l’extraction des meubles et autres biens des grands- parents semble répondre plutôt à l’analogie trouvée par l’auteur qu’à une nécessité pratique du logiciel. Cet asservissement du contexte au texte rattache la nouvelle aux univers mous de la SF française il fut un temps. Ce n’est pas un compliment. Certes, la nouvelle souligne que même l’existence virtuelle pourrait avoir ses moments forts et ses moments tragiques. Cependant, l’auteur s’acharne tellement à nous proposer une vision du futur prosaïque – ce qui n’est pas dénuée d’au dace en soi – que la vie après la mort devient une sorte de retraite infiniment étirée, avec l’espoir d’une résurrection en prime. La notion même de littérature du changement en prend pour son grade et on se demande pourquoi ce texte a été écrit sur le mode sciencefictif alors qu’il évacue à peu près toute altérité essentielle.

La seconde nouvelle, «Le Deuxième Portique», de Raymond Iss, un écrivain aguerri, est un fort beau texte. La prose de l’auteur sait isoler les détails concrets qui parlent à l’imagination du lecteur. Elle procède parfois de manière allusive ou elliptique, mais sans abuser, ce qui conserve à ses allusions et ellipses tout leur impact. à mi- chemin entre la recréation du passé et le véritable retour dans le passé, la technique mise au point pour un milliardaire nostalgique éveille de dangereux souvenirs, dont l’incomplétude même condamnera la quête du protagoniste… Il émane toutefois un parfum suranné de ce texte. Le personnage principal est un inventeur génial – dont certaines inventions censément futuristes font déjà l’objet de recherches – qui est devenu l’homme le plus riche de la planète. Or, de nos jours, le personnage de l’inventeur à la fois génial, polyvalent et riche à milliards n’est pas aussi convaincant qu’il y a un siècle, lorsqu’Edison avait fourni la substance de ce stéréotype. Quant à la technologie des Portiques, elle importe peu à l’histoire et semble se réduire au fruit d’un caprice sans conséquence.

Si ces deux premiers textes sont plutôt tournés vers le passé, cela n’a rien à voir avec la modernité des thèmes ou l’âge des auteurs, puisqu’à 32 ans Levilain- Clément est un des plus jeunes de l’antho. Il s’agit peut- être d’un choix de l’anthologiste, puisque les textes suivants nous emmènent de plus en plus loin. La troisième nouvelle, de Denis Ketels, un véritable débutant, s’intitule «D. R. E. E.». Il s’agit d’un texte parfaitement accompli dans son genre. Le récit combine le nihilisme (de surface, à tout le moins) propre au cyberpunk d’il y a dix ans et une description acérée des possibilités d’une technologie de réalité virtuelle que l’auteur sait rendre plausible. Rien à redire, c’est un sans faute, même si c’est un texte réservé aux amateurs d’une science- fiction plus cérébrale.

Vient ensuite «Homo ludivaguens» de Claire et Robert Belmas, une autre nouvelle parfaitement réussie dans son genre, avec une petite touche d’horreur finale fort efficace. Ce monde futuriste dominé par l’attrait de grands jeux publics, qui sert d’outil de contrôle social, rappelle un certain nombre de textes d’avant 1980. La surpopulation et la crise du logement, dans une Europe du futur que les tendances actuelles condamneraient plutôt au dépeuplement et à l’étalement urbain, semblent également sorties de la SF du tournant des années 70. En revanche, cette quatrième nouvelle de l’anthologie est la première à mettre en scène des personnages qui nous font vibrer. Les personnages de LevilainClément étaient trop clairement arché typaux, le héros d’Iss manquait de personnalité et les protagonistes de Ketels n’étaient guère plus que des points de vue ambulants. L’inspectrice Melvyne familière des petites misères de son quartier, Greg le joueur impénitent obsédé par la finale qui approche, Sara sa compagne qui le quitte pour assurer un avenir à l’enfant qu’elle porte : voilà des personnages qui nous touchent. Là où plusieurs textes donnent la vedette à des individus centrés sur leur individualité, peu enclins à s’intéresser aux autres, les Belmas osent mettre en doute l’aliénation et faire miroiter l’espoir d’y échapper.

L’aliénation est certes condamnée dans «Joker» de Thierry di Rollo, mais c’est par rapport à une normalité qui est située dans le monde du lecteur, ou même dans son imaginaire, et non dans le monde de la nouvelle où il ne semble exister aucune possibilité de rapports véritablement humains. Ce qui entre sans doute dans les intentions de l’auteur. En fait, ce texte nous tend la perche lorsqu’un personnage s’exclame : «C’est de la mauvaise science- fiction (…) C’en est même consternant».

Pour «Joker», le diagnostic semble juste, en raison de son excès d’optimisme et de son manque d’originalité. Son ressort dramatique se réduit à une énième version de celui du Ender’s Game d’Orson Scott Card, ressort qui était déjà un peu fatigué à l’époque. Faire de la cible des immigrants illégaux au lieu d’extraterrestres ne renouvelle pas exactement le genre. De plus, la conclusion est carrément gentillette dans la mesure où c’est une nouvelle qui décolle à peine du présent : les immigrants illégaux, on les laisse déjà crever dans des camions blindés, des wagons à bestiaux, des conteneurs de navires… ou on les renvoie dans leur pays, ce qui n’est pas toujours mieux. De ce point de vue, la science- fiction de di Rollo est peut- être bien la littérature du présent, comme le revendiquent d’aucuns, mais elle n’est guère plus. Serait- ce trop demander que la science-fiction aille un peu au- delà ? évidemment, la part d’altérité de la nouvelle tient au fait que le massacre est intentionnel dans l’univers qu’imagine di Rollo. Est- ce suffisant pour la démarquer du monde que nous connaissons ? Ou n’est- elle en fin de compte qu’une très laborieuse allégorie de celui- ci ? En tout cas, malgré sa chute aisément éventée, ses personnages utilitaires, sa mécanique primaire, ses intentions moralisatrices, c’est une nouvelle qui fait réagir et cela ne saurait être entièrement mauvais.

La nouvelle «Polyphème» de Patrice Lussian – un autre débutant – n’est pas aussi achevée que certaines autres, mais elle combine l’intensité des meilleurs auteurs de l’anthologie et un rare sens du réalisme. La pertinence du texte pour notre présent est indirecte et ne se réduit pas à une pénible allégorie. Cela lui confère une force certaine, même si elle est dramatiquement un peu brouillonne. Ce qu’on peut surtout lui reprocher, c’est d’hésiter entre plusieurs tonalités, de l’emphase mélodramatique («L’enfer ! L’enfer nous vomit dessus !») au froid réalisme de la conclusion.

«Le Retour des Dieux», de Claude Mamier, a la saveur classique de certains textes de Ray Bradbury et Gérard Klein. L’histoire oppose le visiteur venu de la Terre moderne, héros esseulé et emblématique, aux indigènes martiens dotés de corps de glaise, contemplatifs religieux. La nouvelle raconte, d’une part, l’odyssée de cet astronaute en route pour Mars qui choisit de continuer même si son appareillage de recyclage à l’eau a fait défaut et, d’autre part, l’histoire de ces habitants quasi- minéraux de Mars qui attendent le retour des Dieux en s’apprêtant à offrir de l’eau à ceux- ci. De chaque bord, il faut se battre pour aller à la rencontre de l’autre, mais le point culminant de ces deux cheminements aveugles est la déception tragique et dérisoire.

C’est donc un récit qui parle aux émotions, car les esprits positifs risquent d’avaler avec peine ces Martiens végétant depuis des centaines de millions d’années dans l’attente des Dieux. Difficile d’accepter aussi qu’on ait envoyé un seul astronaute, même pour une mission de pur prestige, destinée à «ramener la photo d’une trace de botte», car où serait le prestige de faire atterrir sur Mars un lunatique au terme d’un voyage de douze mois ? De plus, la cause du manque d’eau ainsi que la solution adoptée sont bien arbitraires. L’astronaute tient six mois grâce à un strict rationnement et ne manque vraiment d’eau que depuis six jours lorsqu’il atteint Mars. Il faut supposer que l’astronaute n’aurait pas récupéré par condensation une partie de l’eau exhalée par lui, que les réserves auraient été calculées au plus juste, qu’il n’y avait pas d’autre moyen de filtrer l’eau présente dans les déjections de l’astronaute, etc. Enfin, lorsque les Martiens attendent l’astronaute avec un bol plein d’eau, au pied de la calotte glaciaire du pôle Sud, c’est difficile de ne pas songer qu’une pareille quantité d’eau, exposée aux très basses pressions de l’atmosphère martienne, se serait évaporée (ou aurait gelé avant de se sublimer) en quelques instants.

Vient ensuite «Bifurcation fatale» de Thierry Lévy- Abégnoli : si on fait abstraction de l’absurdité de ses prémisses, le résultat est prenant, voire passionnant. Cette histoire de voyage interstellaire où les voyageurs se font cloner à répétition afin de survivre aux millénaires souffre du même problème que la nouvelle de Mamier : on conçoit mal qu’on ait envoyé un équipage aussi réduit. Ils sont huit, mais le voyage dure des millénaires. De plus, il y a une contradiction implicite entre le niveau de la technologie au service des personnages (qui dépendent d’intelligence artificielle, maîtrisent le clonage et la nanotechnologie, en plus de pouvoir transférer les esprits d’un corps à l’autre) et les contraintes sur lesquelles repose l’histoire. Les faiblesses du texte de Mamier étaient rachetées par la poésie qui s’en dégageait. Même si Lévy-Abégnoli tente de susciter un certain sense of wonder en décrivant la nef interstellaire, il y a chez lui un goût pour la précision qui ne produit par tout à fait l’effet voulu. Sa force se situe plutôt au niveau de l’agencement des narrations dédoublées des deux clones. Il sait alterner les surprises et ménager les suspenses. Le résultat est assez cérébral, mais fort bien fait, même s’il y triomphe un certain narcissisme qui rappelle celui de Heinlein. L’accident est le fait d’un déréglé qui aime maladivement la protagoniste, mais celle- ci va préférer faire l’amour avec elle-même et voit ensuite son esprit transplanté dans le cerveau de son fils à l’état de foetus.

«Le Bar du naufrageur» est de Daniel Paris, «un des auteurs les plus prometteurs de la jeune SF française entre 1980 et 1985», qui a figuré au sommaire de journaux comme Libération, Solaris, Mouvance, etc. On goûte dans cette histoire d’Irène, une jeune Pilote de l’Espace obligée à la chasteté par sa vocation, un romantisme qui rappelle celui de Nathalie Henneberg. Le résultat est charmant, voire attendrissant. Dans cet univers où les voyages interstellaires doivent être guidés par des êtres d’exception et où le vide est investi par les créatures des mythes de la Terre, la question qui se pose, c’est bien de savoir si le romantisme que l’auteur évoque, c’est celui des mers exotiques et des voyages au long cours vers des rivages fabuleux – ou si c’est celui propre à l’espace que nous découvrons actuellement. Hélas, j’ai bien l’impression que c’est le premier des deux, et que la nouvelle de Paris se rapproche plus d’un hommage à la littérature des grandes explorations que d’une tentative de nous faire ressentir le romantisme de l’espace. Peut- être faut- il y voir une tentative de prêter à l’espace le romantisme propre à une autre époque et à d’autres lieux, mais ce romantisme d’emprunt à tout de la greffe qu’il faut inonder de drogues anti- rejet. Certes, il faudrait pour cela être sensible au sublime des espaces froids et déserts, mais il faut un temps où l’Arctique était un lieu absolument romantique (voir Frankenstein). Et Kim Stanley Robinson a montré ce qu’on pouvait faire de l’Antarctique. De ce point de vue, le texte de Paris me semble marquer une hésitation, voire un recul face au silence de ces espaces infinis…

La nouvelle «L’Humain visible», de Jean- Jacques Girardot, est la meilleure du recueil. Histoire d’un informaticien qui découvre qu’il subsiste une conscience dans la simulation complète d’un être humain réalisée à partir d’un modèle réel. Histoire d’une rencontre qui laisse le protagoniste sur un doute angoissant. Même si j’ai entretenu certains doutes face à la possibilité de la survie d’une conscience aussi développée dans une simulation qui semble voir tout de même gommé le détail des connexions interneuronales, on embarque. En partie, c’est sans doute parce que, suite au nombrilisme des personnages de plusieurs des nouvelles précédentes, on apprécie l’empathie que finit par développer Thomas Sheffer, au point de s’interroger sur les formes les plus métaphysiques de la souffrance. En partie, c’est parce que l’interrogation en vaut la peine…

«La Peau du monde», de Johan Heliot, lui aussi de la jeune génération, est un texte qui propose un romantisme pour notre temps, bien loin de la nostalgie mal assumée de Daniel Paris. C’est une histoire sévère, qui a quelque chose de l’étrangeté majestueuse des textes de van Vogt – le retour du Terre d’un être humain devenu autre chose et qui découvre peu à peu quel est son rôle dans la rencontre des humains et des extraterrestres Ishkiss. Compacte et efficace, cette nouvelle nous convie au chevet d’une transformation qui échappe à l’intervention du narrateur. Heliot distille la quintessence du romantisme propre au rôle de témoin en faisant mieux ressortir que Paris la terrifiante grandeur de l’impuissance de l’humain qui revient ensuite témoigner de ce qui l’a dépassé. Ce n’est pas par hasard que l’auteur cite Nietzsche en épigraphe : «Vous êtes tellement étrangers à la grandeur, dans votre âme, que le Surhumain vous paraîtrait terrible dans sa bonté…»

Changement de registre : «Zone franche» de Philippe Heurtel est une histoire policière futuriste, lointain avatar des Caves of Steel d’Isaac Asimov et de Blade Runner. La narration est efficace et les enjeux sont clairs. Seuls les coups fourrés sont gardés dans les coulisses. Nicole Kepler est une enquêtrice fédérale appelée à faire son boulot dans une enclave privée, une zone franche sous le contrôle de la GeniTic, compagnie spécialisée en manipulations génétiques. Heurtel essaie de mettre en place un huis clos et d’abuser les lecteurs quant à la nature du coupable, mais le subterfuge qu’il utilise est un peu grossier. En tout cas, j’ai deviné tout de suite l’identité du coupable direct, à défaut de prédire qui se tenait derrière lui et quelle était la nature exacte de l’arme. Néanmoins, c’est une enquête menée dans les règles de l’art, avec fausses pistes, coupables insoupçonnables et tout le bataclan. Du travail léché et satisfaisant.

La dernière nouvelle du collectif, «Isobel et le jeu du ruban», de Christo Datso, est éblouissante de maestria. Datso joue avec les boucles temporelles et les futurs sophistiqués, et ne trébuche pas. Une fois revenu de son éblouissement, on apprécie aussi la maîtrise des différentes voix de l’histoire, celle de l’aristocratique cogniticienne Isobel et celle d’Auggie, l’humble hacker de Brooklyn. Les scènes où se réalisent certains vieux phantasmes cyberpunks pratiquement archétypaux ont une charge de réalité qui leur font transcender le cliché. Curieusement, pour un texte aussi technologique, c’est une atmosphère onirique qui se dégage des chassés- croisés dans le temps d’Isobel et des découvertes d’Auggie, qui se débat avec des mythes de l’informonde. C’est bien sûr un texte fermé, en forme de boucle, qui contient sa fin à l’intérieur de son début, et vice- versa, mais Datso a l’intelligence de finir en donnant sa chance à la liberté. Un excellent choix en guise de conclusion de la nouvelle, et aussi de l’anthologie.

Les anthologies originales en français ne sont pas si nombreuses pour qu’on puisse se permettre de faire la fine bouche, mais celle- ci vaut particulièrement le détour. Moins pour découvrir une nouvelle génération que pour goûter les oeuvres d’auteurs talentueux et qui ne sont pas si connus qu’on aurait déjà épuisé leur réserve de surprises. [JLT]

 

Ayerdhal
L’Homme aux semelles de foudre

Christophe Lambert
Les étoiles meurent aussi

Jean-Michel Riou
Les Voleurs d’ouragan

Joëlle Wintrebert
Lentement s’empoisonnent

Paris, Flammarion (Quark Noir) 1999- 2000 (223, 266, 200, 234 p.)

La collection Quark Noir de Flammarion a vécu. Située dans le futur proche, elle avait pour héros Mark Sidzik, redresseur de torts scientifiques et financiers, enquêteur toujours à l’affût des manigances un peu troubles dans le monde de la haute technologie ou du grand capitalisme. à l’instar des séries du Poulpe et de Macno, cette collection avait la particularité d’enrôler des auteurs différents pour signer chaque nouveau livre. Elle aura aussi incité un certain nombre d’auteurs français à s’intéresser aux possibilités du futur proche, avec des résultats forcément inégaux lorsqu’on constate la diversité des talents et des imaginaires des participants.

L’Homme aux semelles de foudre commence bien, placé dès les premières pages sous le signe de la dualité. Ayerdhal annonce en filigrane un face à face entre Mark Sidzik, d’inclinaison naturellement pacifiste même quand il pousse l’enquête dans un monde pourri, et Markus Weinmar, un ancien collègue qui a choisi la violence pour épurer ce même monde. Mais tout se gâte très vite.

En effet Sidzik commence par douter de la culpabilité de son ami Markus, pourtant impliqué jusqu’au cou dans des attentats. Or, l’auteur a saboté toute possibilité de suspense en montrant Markus en action dès le début. Il s’écoule ensuite plusieurs chapitres durant lesquels l’enquête tarde à démarrer. Et le tout culmine avec une grande séquence hollywoodienne : raid de commando terroriste armé jusqu’aux dents et démonstration de tir par une héroïne superbarbouze. Le brio d’écrivain Ayerdhal permet néanmoins de camoufler les raccords un peu grossiers d’une intrigue dont la logique laisse à désirer.

Christophe Lambert est plus connu comme auteur pour jeunes et scénariste. Si Les étoiles meurent aussi témoigne d’un très bel effort de documentation, il succombe aussi à un certain goût pour les séquences cinématographiques, parfois dans ce qu’elles ont de plus éculé. Le combat final de Sidzik, par exemple, ne déparerait pas un film d’Hollywood, jusque dans le dénouement à double détente. L’enjeu de ce roman est la fusion contrôlée. Sidzik se déplace en Australie pour expertiser un projet en lice pour une subvention d’importance et découvre peu à peu qu’on essaie de le manipuler. Le résultat est un récit moyennement prenant, globalement satisfaisant, mais qui ne renouvelle rien.

La météorologie de l’avenir – et le temps qu’il risque de faire, et les moyens pour le contrôler – est au coeur du roman de Jean- Michel Riou, Les Voleurs d’ouragan. Si l’écriture a quelque chose d’appliqué, le montage de l’intrigue a été fait avec une logique qu’on ne retrouve pas toujours dans les autres volumes de la collection. Sidzik fait toutefois preuve d’une stupidité insondable en ne comprenant qu’à la toute fin à quoi cela pourrait servir de connaître le temps qu’il va faire avant tout le monde. Ce singulier manque de sens pratique, ainsi que la conclusion bouclée trop vite, affaiblit ce qui aurait pu être un thriller acceptable, placé sous le signe d’une reprise menaçante de la grande tempête qui a frappé la France en décembre 1999. La force du livre, c’est surtout l’idée développée assez rigoureusement d’une sorte d’OPA tentée par un baron des médias sur la météorologie de toute un hémisphère. Et sa faiblesse, c’est sans doute de ne pas mettre assez tôt en présence Sidzik et ses ennemis.

Lentement s’empoisonnent témoigne, encore plus que le roman d’Ayerdhal, de la patte d’un véritable écrivain. Si Joëlle Wintrebert donne l’impression de s’ennuyer au moment d’écrire certains passages plus platement descriptifs (sans parler de ses tentatives d’évoquer la franche camaraderie virile de Mark et de son copain journaliste Fred !), elle se fait aussi plaisir en signant des intermèdes plus poétiques.

Ici, Mark Sidzik se mêle d’une affaire de bananes transgéniques à la suite d’une paire de meurtres mystérieux. Son enquête le mène en Afrique, où il finit par découvrir le pot aux roses dans une oasis du Sahara. L’aventure est mouvementée et ne manque pas de rebondissements. De fait, Wintrebert fait preuve d’un sens de l’intrigue qui a manqué à certains autres auteurs, même si quelques péripéties (dont la dernière) sont plutôt tirées par les cheveux. Et si le volet scientifique du livre est irréprochable, il aurait gagné à être vulgarisé plus longuement. Sur le plan de l’action, en tout cas, il s’agit sans doute d’un des meilleurs volumes de la série et contribue – comme le panorama technologique du roman d’Ayerdhal, témoignage d’un véritable effort de recherche – à nous faire regretter la disparition de la collection.

Jean- Louis TRUDEL

Autres titres parus dans la collection Quark Noir :

Jean- Pierre Andrevon
Requiem pour dix cerveaux en fugue

Pierre Bordage
Graine d’immortels

Richard Canal
Cyberdanse Macabre

Gérard Lecas
Cosmic Blues

 

Sharman DiVono
Blood Moon

New York, DAW, 1999, 441 p.

En ces temps troublés où les genres doivent composer avec l’existence de cette mystérieuse «fusion» des barrières thématiques, on assiste à la parution d’hybrides fort étranges. Un des plus remarquables est sans doute Blood Moon, de Sharman DiVono, qui introduit des éléments d’horreur dans un contexte hard SF avec des résultats intéressants.

Le roman débute avec assez de détails techno- scientifiques pour établir la crédibilité SF de l’auteure. Des acronymes et des procédures détaillées accompagnent l’alunissage d’une équipe américaine près d’une base où la mission précédente a disparue en coupant toute communication avec la Terre. C’est à leur entrée dans la base que l’étrange vient gruger la patine grise techno- rationelle du roman : des astronautes sont découverts assassinés, les murs de la station sont couverts de graffitis occultes sanglants, une rescapée meurt de peur en apercevant les astronautes et le seul survivant est fou à lier. Des mouches ont envahi la station, et en moins de temps qu’il ne faut pour penser «Belzébuth», le roman passe en mode procédural pour résoudre l’énigme.

Les lecteurs avec une bonne culture cinéma auront reconnu des ressemblances thématiques avec le film de 1997 Event Horizon. Comme le film, ce roman risque de susciter des réactions partagées. (Discuter des failles du livre demande de révéler des éléments de la fin. Certains lecteurs préfèreront sans doute ne pas lire le paragraphe suivant.)

Blood Moon joue (trop) longtemps avec le lecteur en ce qui a trait à l’ambiguïté du mystère, et tente finalement d’arriver à une résolution rationnelle avec des éléments inexpliqués mais pas inexplicables. Par ailleurs, les tentatives pour résoudre le mystère avec des moyens occultes (par déductions religieuses, logiciel ouija et recours envisagé à des voyants) ne sont pas traitées avec le dédain que l’on pourrait attendre d’une attitude purement rationnelle. Certains y verront là un juste milieu ; d’autres ne seront pas satisfaits par ce compromis. Quoi qu’il en soit, la paraphysique ultimement imaginée par DiVono est intéressante et mériterait d’être explorée de nouveau. Le thème du rationnel face à l’irrationnel semble tout à fait approprié pour un roman de fusion.

Le livre a d’autres défauts, plus communs. Les personnages ne sont pas suffisamment différenciés, l’action n’est pas soutenue de façon constante, les passages explicatifs sont parfois maladroits et deux sous- histoires romantiques semblent ajoutées un peu à la hâte. Des erreurs parsèment le livre, qu’elles soient factuelles (un marteau n’a pas besoin d’être plus massif sur la Lune ; même si son poids est moindre, c’est son inertie qui permet d’enfoncer un clou), terminologiques (une Lune n’est pas une planète), ou résultent possiblement du manque de vigilance des lecteurs d’épreuves (ce sont les astronautes d’Apollo 1 qui sont morts brûlés à l’intérieur de leur capsule, pas d’Apollo 7).

Néanmoins, ces problèmes n’enlèvent rien à l’intérêt du roman et de son méta- texte. Est- il vrai que la SF d’aujourd’hui est en train d’acquérir des résonances irrationnelles ? La fusion produit- elle inévitablement des romans insatisfaisants ? Est- il possible de combiner hard SF et horreur ? Blood Moon est assez divertissant pour plaire à un certain public, mais les étudiants sérieux des genres y trouveront en plus beaucoup de matériel à réflexion. [CS]

 

Joe Haldeman
Forever Free

New York, Ace, 1999, 277 p.

Toujours difficile pour un auteur d’écrire une suite à une oeuvre entretemps devenue classique. D’un côté, les critiques, qui voient là un exercice purement mercantile. De l’autre, les milliers de fans qui voudront bien revisiter une oeuvre qui leur est chère.

The Forever War, de Joe Haldeman, est définitivement un roman classique de SF. Publié en 1974 comme une réponse post- Vietnam à l’attitude militariste de Starship Troopers, autre classique de Robert A. Heinlein, The Forever War a remporté les récompenses SF les plus prestigieuses, vendu beaucoup et mérité une place dans les bibliothèques de tous les amateurs du genre. Après la «suite thématique» Forever Peace de 1998, voici que Haldeman présente une vraie suite, Forever Free.

La première moitié du livre se présente très bien : William Mandella, protagoniste du roman original, supporte mal sa retraite et planifie un dernier coup d’éclat contre une humanité qui ressemble de plus en plus à ses anciens ennemis. Il veut prendre d’assaut un vaisseau spatial et utiliser les particularités de la physique relativiste pour «voyager dans le temps» et revenir quelques milliers d’années dans le futur. Pourquoi pas, si ça lui permet de voir la fin de l’Histoire ?

Un accident étrange le force à changer de plan et de revenir seulement vingt-quatre ans après son départ. Surprise, il retrouve une planète complètement déserte. Où sont passés tous les gens ? Mystère. Le reste du livre est consacré à l’enquête. Mais n’espérez pas de réponse satisfaisante. Le livre s’autodétruit une vingtaine de pages avant la fin, avec l’apparition fantaisiste – et inutile – d’une race de métamorphes, ainsi que d’un deus ex machina (presque littéral) qui volatilise immédiatement tout vestige de bonne volonté qui restait au lecteur.

Lire Forever Free est une expérience mémorable parce qu’il est difficile d’imaginer qu’un auteur professionnel peut saborder un livre avec une finale si monstrueusement inappropriée. Pour avoir une idée, imaginez un roman d’Arthur C. Clarke qui se terminerait avec un sketch de Monty Python. On se perd en conjectures sur la raison de cette bévue. Caprice d’auteur ? Date de remise du manuscrit trop hâtive ? Intention de faire taire à tout jamais ceux qui demandaient une suite ? Faudra demander.

Aucun doute, Forever Free acquerra aussi une réputation, mais ce sera celle d’un livre manqué. Dommage. [CS]

 

Arthur C. Clarke & Michael Kube- McDowell
The Trigger

New York, Bantam Spectra, 1999, 447 p.

C’est avec un soupir de soulagement que les amateurs de «bonne vieille SF» liront la collaboration Clarke/ Kube-McDowell. The Trigger est un retour à l’attitude de la SF classique : perso

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