Lectures 1999

1999: Solaris 129-132

Solaris 129

Raphaël Reclus
La Table d’Hadès

Paris, CyLibris éditions, 1997, 189 pp.

La maison CyLibris utilise l’Internet pour commercialiser ses publications et se consacre exclusivement aux premières œuvres. établie à Paris, elle a déjà fait paraître un certain nombre d’ouvrages relevant des genres de l’imaginaire, dont celui-ci. Les livres sont produits le plus simplement possible: pas d’illustration, couverture en carton mince, reliure collée. Les textes ne sont pas exempts de petites confusions typographiques.

La Table d’Hadès est un polar versant dans le fantastique horrifique. Le protagoniste est un tueur à gages, un ancien avocat prometteur dont la vie a été bouleversée par une rencontre avec l’inexplicable. Une richissime vieille à la fortune mal acquise fait appel à cet Auffret pour protéger son fils. Pourtant, même en s’y mettant à six ou sept, les tueurs de madame Klain n’arrivent pas à éliminer le petit avocat résolu à venger sa femme et sa fille, violées puis assassinées par le fils Klain. Un phénomène surnaturel fait échouer leur première tentative mais réveille des souvenirs chez Auffret. Maître Krall, leur cible, capterait-il une puissance d’origine occulte?

Le lecteur, en remontant dans le passé d’Auffret, puis en adoptant le point de vue du commissaire Contura, finira par saisir les contours de l’affaire avant l’affrontement final entre Auffret et Krall, dans le château de la vieille Madame Klain.

Le roman se lit d’une traite, un peu dans la ligne de certains romans du Fleuve Noir. Si les explications des bases fantastiques du roman peuvent paraître embrouillées, elles témoignent tout de même d’un louable désir de renouveler les motifs habituels du fantastique. Même si certains personnages sont caricaturaux, Reclus rend avec beaucoup de réalisme les décors et les situations. L’intensité de quelques épisodes relance l’intérêt de la narration, au risque d’écœurer certains lecteurs. Bref, pour un premier roman, c’est un effort respectable, axé sur l’action et non la réflexion, qui se prête à une lecture rapide grâce à l’humour viril de mise dans un polar et à l’originalité modérée.

 

Philippe Ward
Artahe

Paris, CyLibris éditions, 1997, 259 pp.

La maison CyLibris utilise l’Internet pour commercialiser ses publications et se consacre exclusivement aux premières œuvres. établie à Paris, elle a déjà fait paraître un certain nombre d’ouvrages relevant des genres de l’imaginaire, dont celui-ci. Les livres sont produits le plus simplement possible: pas d’illustration, couverture en carton mince, reliure collée. Les textes ne sont pas exempts de petites confusions typographiques.

Artahe est un premier roman prometteur, malgré quelques longueurs. Le retour de Paris d’Arnaud, un enfant du pays, dans un petit village des Pyrénées semble coïncider avec le réveil d’une puissance presque oubliée. Après la mort de ses parents, Arnaud a été élevé par sa grand-mère, avec l’aide de Berthe Galy, désormais invalide. à Raynat, Arnaud retrouve non seulement Berthe mais la jeune Cathy, une amie d’autrefois qu’un accident a rendue aveugle. Dans ce pays autrefois voué au culte de l’ours, la réapparition d’un ours mythique, Artahe, est accueillie avec hostilité, surtout par les éleveurs dont les moutons se font massacrer.

Au fil des jours, la tension monte. Arnaud découvre un culte souterrain de l’ours qui s’enracine dans la préhistoire du pays, qui a perduré dans la clandestinité… et dont il pourrait bien être l’héritier prédestiné.

Les incidents sanglants s’accumulent. La vieille Berthe tire-t-elle les ficelles? Que cherche-t-elle à obtenir? Cathy sent qu’elle est appelée par Artahe lui-même à devenir la nouvelle grande prêtresse de son culte. Pendant ce temps, l’ours qui rôde dans les montagnes est traité comme un animal bien réel, à la fois par les partisans de sa présence, prétexte de la fondation d’un parc régional, et ses ennemis, attachés à leurs exploitations agricoles désormais menacées.

Les surprises et les coups fourrés se succèdent, amenant Arnaud à se défier de Berthe. La conclusion est peut-être la meilleure trouvaille du livre, mais elle aurait gagné à être développée. En tout cas, Ward dépeint avec succès le petit milieu villageois de Raynat sans verser dans la caricature. On sent bien l’isolement – relatif – du lieu. Quelques scènes d’action versent dans le grotesque propre à l’horreur; les amateurs apprécieront, je suppose, ainsi que le style très appuyé propre au genre.

Toutefois, après une première montée du suspense jusqu’au point culminant de la page 157, l’intrigue a du mal à redémarrer et s’alourdit de retours en arrière et de scènes intercalaires à l’utilité discutable. Çà et là, Ward abuse de certaines ficelles romanesques, comme lorsque Cathy adhère en un tournemain à un culte archaïque. Enfin, la conclusion est minée par l’inébranlable assurance de Berthe, qui soutient que ce dénouement était inévitable et qui se pose un peu trop en maîtresse absolue de la situation.

 

Candas Jane Dorsey
Black Wine

New York, Tor, 1997, 285 pp.

Ce roman a déjà remporté de façon tout à fait méritée le prix Tiptree, décerné à l’ouvrage qui explore le mieux la problématique des rôles sexuaux. Il a aussi obtenu le prix IAFA/Crawford accordé au meilleur premier ouvrage de fantasy, ce qui est un peu plus curieux puisque les éléments de fantasy sont très discrets.

Le plus surprenant peut-être, de la part de Candas Jane Dorsey, c’est de lire ici un roman dominé par les rebondissements de son intrigue. Malgré les surprises, révélations et prises de conscience qui ne cessent de se glisser comme autant de pelures de banane sous les pas du lecteur, pour l’inciter à marcher moins pesamment, on finit par démêler les fils principaux de l’intrigue, sans être jamais tout à fait certain d’avoir bien reconstitué la pelote originelle.

Le plus déroutant pour le lecteur coutumier de science-fiction ou de fantasy , c’est l’absence de repères géographiques et la généralité des décors. Ici, l’environnement n’est pas le personnage qu’il devrait pourtant être dans un roman de SF canadienne à la croisée d’Atwood et des impératifs de la SF. Dorsey s’intéresse beaucoup plus aux personnes qu’aux personnalités ou aux personnages. Cette démarche nous prive de plaisirs indéniables, mais elle présente l’avantage de nous rendre intimement solidaires des tribulations des héroïnes. Par moments, l’approche de l’auteure rappelle d’ailleurs celle de Delany dans sa série de Nevèrÿon, mais en plus austère, en moins baroque.

Le post-modernisme de Dorsey est discret et bien maîtrisé, mais il l’a inspirée bien mal à propos au moment d’écrire la fin. D’ailleurs, la narration s’essouffle un peu dans le dernier quart du livre, et la conclusion donne l’impression d’avoir été équarrie à la hache, afin d’en finir avec le roman… Bref, Dorsey nous invite à faire la connaissance de trois femmes exceptionnelles, dans un monde à leur taille, où le présent répond au passé et l’écriture d’une vie est une chose puissante…

 

James Alan Gardner
Commitment Hour

New York, Avon Books, 1998, 343 pp.

Après un premier roman plus ou moins original, Gardner signe ici un ouvrage qui combine habilement des paysages ontariens et l’exploration poussée d’une communauté humaine sortant de l’ordinaire. L’ancienne société humaine s’était désintégrée lorsque de nombreux Terriens avaient quitté la planète pour adhérer à l’écoumène interstellaire. à la faveur du chaos est née, au bout de la péninsule de Bruce en Ontario, une micro-société où les enfants changent de sexe tous les ans jusqu’à leur vingtième anniversaire, quand ils doivent choisir.

Ce jour du choix est venu pour Fullin et Cappie, mais leur décision sera compliquée par une succession d’événements. Les secrets du passé de Fullin remonteront à la surface pour le hanter. La paix de leur village natal, Tober Cove, sera bouleversée et ils apprendront quelles manipulations cachait leur mode de vie traditionnel…

Le principal défaut du roman est l’adéquation entre le ton de la narration à la première personne et la personnalité de ce narrateur. Alors que le jeune Fullin est d’une naïveté parfois obtuse, le style propre à Gardner lui impose d’émettre des observations pénétrantes ou sardoniques tout à fait incompatibles avec son personnage. D’ailleurs, la conclusion du roman, hollywoodienne, fait également violence à la logique des personnages et à leur vraisemblance.

Néanmoins, il s’agit encore une fois d’un roman passionnant, qui se laisse lire d’une traite et qui exige beaucoup moins de crédulité de la part du lecteur que le premier livre de Gardner. Il aurait pu être plus pénétrant, mais tel quel il se lit avec plaisir.

 

Sean Stewart
Clouds End

New York, Ace, 1998, 359 pp.

L’amorce de ce roman est loin d’être prenante, mais il faut persévérer. Stewart n’a pas peur de glisser dans l’histoire des échos du Seigneur des anneaux de Tolkien et le monde qu’il crée soutient certes la comparaison avec la Terre du Milieu, même si Stewart ne dispose que d’un seul livre pour déployer les ressources de son imagination. Il s’agit non d’un hommage, d’ailleurs, mais d’une variation très personnelle sur le thème fondamental brodé par Tolkien.

Cependant, la guerre et la quête qui occupent le milieu du roman semblent curieusement détachés du reste de l’histoire. Stewart s’attarde sur le sort des quatre personnages principaux après l’aventure: mariage, naissances, trahisons, vieillissements… Toutefois, le roman repose pour l’essentiel sur le dédoublement de la jeune Brook, qu’un fantôme issu du monde féerique a choisi comme modèle de son incarnation. Brook la mortelle attachée à son quotidien et Jo la créature magique qui est par nature une héroïne constituent les deux pôles du roman. Même si Jo n’est pas le personnage le plus proéminent, c’est elle qui reflète tout le mouvement du roman, qui condense en elle tout ce qui est romantique et romanesque.

Pourtant, le cœur de ce roman demeurent le style de Stewart, sa verve protéiforme et le charme qui s’en dégage. Le fil narratif se perd parfois dans les fourrés à côté de la piste, mais les détours mêmes de Stewart en valent généralement la peine. Une fois le début passé, ce livre devrait procurer quelques heures d’agrément aux amateurs de fantasy un peu plus réfléchie que la moyenne.

 

Catherine Asaro
Catch the Lightning

New York, Tor, 1997, 309 pp.

Le space-opéra est un genre éternellement jeune parce qu’il se prête à des combinaisons et permutations multiples. Asaro cultive ici une variété à la fois romanesque et romantique, parfois à l’extrême, de l’aventure spatiale. Une aristocratie caractérisée par ses pouvoirs psis règne sur une partie de la Galaxie. Elle compte parmi ses ennemis des vampires mentaux et parmi les siens, les mystérieux descendants d’un peuple expatrié de force sur une planète isolée. Un de ses plus jeunes représentants est Althor, un cyberpilote qui se retrouve dans le passé d’une Terre parallèle suite à un acte de sabotage de son appareil.

Par l’accent qui est mis sur une histoire d’amour, ce livre rappelle le premier roman de Julie Czernada. Mais l’ouvrage présente une double originalité. Tout d’abord, l’auteure, en tant qu’astrophysicienne confirmée, étoffe l’histoire de passages scientifiques de haute volée. Si ses explications sont parfois un peu longues, elles assurent au monde créé par l’auteure une solidité additionnelle. Ensuite, l’auteure exploite avec habileté la culture maya qui est celle de l’héroïne, Tina, et qui, découvre-t-on, est aussi celle du héros.

L’intrigue comporte deux volets. Le premier, qui se passe sur une Terre parallèle, n’arrive pas à se dégager entièrement des poncifs propres à l’histoire de l’extra-terrestre ou du visiteur du futur comme naufragé anonyme sur Terre, même si Asaro fait de l’héroïne une Chicana des ghettos de Los Angeles. Le second volet se passe dans le futur et dans l’espace. Jusqu’à un certain point, cependant, c’est la première partie du livre qui est la plus palpitante, car la tension retombe nettement vers la fin de la seconde partie. Bref, pour les amateurs d’un space-opéra sérieux – et sérieusement romantique.

 

Brian Stableford
Inherit the Earth

New York, Tor, 1998, 320 pp.

Depuis quelques années, Brian Stableford explore les modalités d’un futur dominé par la révolution de la génétique. Après plusieurs nouvelles percutantes (dont certaines qui se retrouvent en français dans la revue Galaxies), après le recueil Sexual Chemistry, voici un roman qui aborde le même sujet avec le même brio.

Cette fois, les techniques de la longévité sont au cœur de la thématique du roman. Avant le début de l’histoire, la question de savoir si une Terre surpeuplée peut survivre à un accroissement radical de la longévité humaine est réglée. Après les pestes et crises démographiques du vingt-et-unième siècle, les survivants du vingt-deuxième siècle sont libres de s’entre-déchirer pour savoir qui va hériter de la Terre.

Le personnage principal, Damon Hart, est le fils du scientifique qui a mis au point la technologie des matrices artificielles, permettant à l’humanité de gérer une épidémie de stérilité. Mais un groupe de terroristes s’attaque à la mémoire de son père et Damon Hart est plongé dans un suspense policier, qui l’amène à poser des questions gênantes et à revenir sur un passé qu’il croyait connaître.

Les technologies mises en place par Stableford – génie génétique, nanotechnologie, réalité virtuelle – ne sont pas originales, mais l’auteur signe un récit haletant, qui dissèque avec la précision d’un scalpel tous les aspects de la question. Des jeunes et des vieux, des individus et des corporations, des révolutionnaires et des conservateurs, qui donc va hériter de la Terre lorsque la technologie creusera les différences, de manière de plus en plus permanente, entre les uns et les autres?

 

Alison Sinclair
Legacies

New York, HarperPrism, 1996, 440 pp.

Armez-vous de patience si vous entamez ce long roman de l’auteure canadienne Alison Sinclair. Il se passe très peu de choses dans ce long va-et-vient entre le retour sur leur monde d’origine d’explorateurs l’ayant quitté depuis longtemps et les événements qui ont décidé ce retour. L’originalité des éléments science-fictionnels est réduite: on a déjà vu ailleurs cette société néo-féodale post-cataclysmique et cette race d’extraterrestres empathes et vivant en harmonie avec la nature. Tout l’intérêt de la narration repose sur les personnages en présence et ceux-ci réussissent – tout juste – à sauver ce roman. Amis lecteurs, vous êtes prévenus.

 

Gordon R. Dickson
Other

New York, Tor, 1994, 378 pp.

Ce qui menace même les meilleurs auteurs lorsqu’ils vieillissent, c’est rarement la sénilité ou la perte radicale de leurs moyens, c’est plutôt de ne jamais se dégager des recettes qui fonctionnaient vingt ou trente ans plus tôt. Ce roman aurait paru habile lorsque Dickson signait Tactics of Mistake ou Soldier, Ask Not!. Maintenant, il a un goût de réchauffé, ce qui ne l’empêche pas d’être relativement prenant.

L’auteur continue à retracer la vie de Bleys Ahrens, qui sera l’antagoniste de l’héro que Hal Mayne dans le cadre de la confrontation qui doit mettre fin au grand cycle sur lequel Dickson travaille depuis presque quarante ans. Bleys, ayant acquis un certain pouvoir sur les mondes de son enfance, passe à une vitesse supérieure pour étendre son influence sur les autres planètes habitées. Il lui faudra du courage, de la perspicacité et de la patience pour mener son projet à bien. Parti de rien, il parvient à ses fins, mais il commence à pressentir que l’avenir qu’il espère pourrait être bloqué par le jeune Hal Mayne, une énigme faite homme qui échappe à la fois à sa pénétration et à son pouvoir de fascination…

 

Iain M. Banks
Excession

New York, Bantam Spectra, 1998, 499 pp.

L’intrigue est mince, mais ses plaisirs sont nombreux. Après quelques infidélités, Banks nous refait visiter les mondes de la Culture, menacés par l’apparition d’une Excession , une énigmatique exception aux lois de l’univers connu. Ce brusque avènement déclenche une série de péripéties, les mentalités artificielles de la Culture recrutant divers acteurs humains pour remplir des missions cruciales.

Banks nous plonge dans une succession de cadres exotiques, parfois à la limite de la caricature, mais souvent dramatiques. Il exécute à la perfection des scènes difficiles et démontre une verve presque lassante au service de ses inventions science-fictives. Les personnages sont complexes et assez costauds pour supporter le poids de ces multiples intrigues. Peu à peu, il dévoile les rouages d’une conspiration qui apparaissait comme incompréhensible au début du livre. La conclusion, quoique un peu mélodramatique, est à la hauteur du suspense mis en place.

Si ce livre est un peu moins marquant ou prenant que les autres romans de la Culture, il demeure fascinant et palpitant. Les amateurs de space-opéra ne devraient pas regretter de l’avoir acheté.

 

Kim Stanley Robinson
Antarctica

New York, Bantam Books, 1998, 511 pp.

Robinson a peut-être écrit ce roman trop tôt. Rédigé dans la foulée de sa trilogie martienne, Antarctica n’arrive pas à se dégager des idées et des thèmes du chef-d’œuvre de Robinson.

Deux semaines après avoir terminé Blue Mars, Robinson était parti en voyage dans l’Antarctique pendant six semaines. Il a écrit ce roman à son retour. On n’est donc pas étonné de constater qu’il évoque les paysages de l’Antarctique avec une maîtrise extraordinaire: la banquise, la neige, les glaciers, le désert absolu du plateau central…

Si certains personnages secondaires rappellent des acteurs de la trilogie martienne, les principaux sont neufs: la guide de montagne, l’attaché politique venu de Washington, le jeune employé sans nom, l’artiste chinois un peu philosophe sur les bords… Tous seront pris au piège d’un attentat écoterroriste perpétré à l’échelle d’un continent afin de décourager les premières velléités d’exploitation des ressources naturelles de l’Antarctique dans un monde du futur au bord de l’épuisement.

Robinson nous emmène d’un bout à l’autre de l’Antarctique dans un premier temps, nous faisant visiter un continent en cours de colonisation, puis il révèle toute la brutalité du climat et de la géographie dans la seconde moitié du roman, quand ses personnages doivent lutter pour leur vie. Le débat politique qui clôt le livre rappelle de façon gênante la dispute similaire dans la trilogie martienne: exploiter ou laisser intact, exploiter pour le profit de quelques-uns ou gérer pour le bien de tous, rester ou partir… Néanmoins, l’auteur fait de l’Antarctique une place à part, qui restera sans doute dans la mémoire de bien des lecteurs de ce livre.

 

Chris Atack
Project Maldon

Riverdale, Baen, 1997, 375 pp.

Ce nouvel auteur canadien débute avec un roman axé sur l’action et sur l’exploitation des acquis de la science-fiction. Le troisième millénaire commence mal pour la planète: à Toronto, dans ce qui reste du Canada, Edward Wolfe est l’émissaire d’une mystérieuse organisation qui tente de sauver ce qui peut l’être. Pour ce faire, il devra manipuler des fanatiques religieux et une faction de stipendiés de l’état, les dressant les uns contre les autres, alors même qu’il commence à douter de l’intelligence artificielle chargée de coordonner ses activités.

C’est une histoire qui se laisse lire, même si elle n’innove pas. Un retournement magistral sauve presque ce livre de la médiocrité, mais il laisse presque autant de questions en suspens qu’il en résout. Pour les amateurs d’action et de futurs proches, et plutôt sombres…

 

Nalo Hopkinson
Brown Girl in the Ring

New York, Warner, 1998, 250 pp.

Un peu comme dans Project Maldon , le Toronto de Nalo Hopkinson est bien mal en point. Ici, c’est le centre-ville qui est dévasté, isolé des banlieues plus prospères et réduit à une économie mafieuse. La loi n’a plus cours et le troc a repris ses droits. La famille de Ti-Jeanne survit grâce aux talents de guérisseuse de sa grand-mère et à la ferme dont Ti-Jeanne et sa grand-mère s’occupent. De temps en temps, Mami Gros-Jeanne invoque aussi les esprits pour ses compatriotes d’origine antillaise.

Cependant, des visions commencent à hanter Ti-Jeanne, tandis que le père de son bébé, Tony, qu’elle a quitté, cherche à s’immiscer dans sa vie de nouveau. En fin de compte, elle sera recrutée par les déités de la spiritualité traditionnelle vaudou pour s’opposer au chef de bande qui règne sur Toronto de son bureau dans la Tour CN. Mais Ti-Jeanne subit de rudes épreuves avant de triompher de cette bataille toute familiale…

C’est un des romans canadiens les plus intenses à paraître depuis un moment. L’écriture de Hopkinson est admirable de vérité; elle nous fait vivre les aventures de ses personnages, leurs joies et leurs peines. Elle restitue la langue parlée des Antilles sans jamais la rendre inintelligible. Elle brosse un portrait fascinant d’une culture à la fois familière et étrangère, comme une pâte feuilletée enrichie d’apports multiples.

Cette histoire a remporté le concours Warner Aspect réservé aux premiers romans. L’excellence de la prose et la limpidité de la narration ne doivent donc pas nous surprendre. Mais il est permis d’espérer que Nalo Hopkinson nous prépare un second roman aussi bon que celui-ci.

 

Laurent Genefort
Les croisés du vide

Paris, Fleuve Noir, 1998, 249 pp.

S’il y avait un prix pour la construction de monde, ce roman de Genefort remporterait cette année la palme haut la main. L’auteur y décrit une société humaine qui a colonisé l’atmosphère de la planète géante Olsgor à bord de cités-dirigeables. Un lexique illustré par Fred Blanchard achève de conférer une épaisseur remarquable au monde créé par Genefort.

Toutefois, ni les personnages ni l’histoire ne sont à la hauteur de l’imagination de l’auteur. Jahol, adolescent troublé dont les visions nocturnes annoncent un bouleversement du monde, demeure un personnage essentiellement falot et sans consistance jusqu’à la fin de l’histoire. Sorane’Leks, la prêtresse qui exploite les visions de Jahol pour prendre la tête d’une grande croisade, reste un personnage foncièrement unidimensionnel.

Le suspense n’est pas non plus au rendez-vous. Si Jahol doit se dresser contre Sorane’Leks pour sauver la vie de ceux qu’il aime, son statut d’oracle le protège. Et la croisade lancée par Sorane’Leks touche à son terme presque sans heurt: dans la plupart des combats montrés par Genefort, la cité-dirigeable de Jahol jouit de l’avantage du nombre ou de la situation, ou bénéficie d’atouts inattendus.

Bref, si la qualité de l’écriture ne fait aucun doute et si la construction de monde est sans faille, on peut dire que le roman tourne court. Les révélations et scènes finales n’ont pas l’impact recherché, et l’intrigue est rarement palpitante. Néanmoins, si ce n’est que pour le dépaysement fouillé avec une précision digne d’admiration, c’est un livre qui vaut un rapide détour.

 

Michel Pagel
Nuées ardentes

Le Plessis-Brion, Orion, 1997, 253 pp.

Rédigé il y a onze ans, ce roman de fantastique n’a trouvé preneur que l’an dernier. Toutefois, l’action se passe en 1976-1977, ce qui en fait un roman presque historique maintenant. Il arrive d’ailleurs à l’auteur de gommer un peu trop le décalage temporel, car, si on oublie la date, il y a des détails qui clochent lorsqu’on essaie de les faire entrer dans le cadre du présent.

Le récit de la vengeance machinée par la victime d’un viol aurait (peut-être) été choquant il y a dix ans. Maintenant, je l’ai trouvé plutôt amusant. L’enchaînement des manigances de Natacha a certes quelque chose de jouissif dans son exquise cruauté et dans son sens de la justice immanente…

N’empêche que les éditeurs qui avaient trouvé que le roman n’était pas assez fantastique n’avaient pas nécessairement tort: la dimension fantastique semble presque superfétatoire, se réduisant à des doubles et des doublures parfois symboliques des personnages principaux – doubles et doublures qui restent invisibles dans le monde de tous les jours. Toutefois, dans la mesure où ce roman s’inscrit dans La Comédie inhumaine de Pagel, qui, à en juger par les notes en fin de volume, est elle pleinement fantastique, cette dimension a sa place dans l’histoire, si ce n’est que pour assurer la cohérence avec le reste du cycle. L’élément fantastique qui marche le mieux, c’est peut-être la mystérieuse prescience de l’écrivain qui écrit en temps réel l’histoire de la vengeance de Natacha.

La narration commence un peu cahin-caha: la mise en place des personnages et la description des situations initiales se fait dans un pénible entrecroisement des temps, des lieux et des personnages. Par contre, des que démarre l’action menée par Natacha sous sa fausse identité, la lecture se fait d’un trait.

L’auteur n’échappe pas aux poncifs et aux phrases toutes faites dans la présentation des personnages: l’homme politique borné, le playboy irrésistible, l’épouse soumise et confite dans la religiosité… Mais il signe aussi de très belles pages d’écriture. Le style adopte fait presque écran dans la scène du viol, mais fait mouche dans l’épilogue.

Le thème de la vengeance a toujours été porteur dans la fiction. Le texte fait allusion à Monte-Cristo, auquel on songe tout naturellement. Et Pagel démontre une originalité réelle dans l’invention des vengeances de Natacha. L’apothéose, dans le cas du playboy violeur, n’est peut-être pas tout à fait à la hauteur des préparatifs, mais le clou de la rétribution pour le politicard ambitieux est d’une habileté machiavélique. Bref, si vous aimez les eaux troubles et les raffinements de la cruauté avant-dernière, agrémentés d’un fantastique aussi poétique qu’il est discret, n’hésitez pas à mettre la main sur ce livre.

 

Benjamin Legrand
Avril et des poussières

Paris, Denoël, 1998, 283 pp.

Ce roman ramasse et concentre la plupart des vices de la science-fiction médiatique et pratiquement aucune de ses rares vertus. Cela n’a rien de surprenant puisque l’auteur nous vient du cinéma, où il a travaillé comme assistant réalisateur et scénariste, sans parler de son expérience comme scénariste de séries télévisées. Legrand aligne donc les bourdes scientifiques, tandis que ses personnages alignent les bourdes tout court. Le résultat est bien en deçà des prétentions proclamées par les savantes exergues des chapitres.

L’intrigue est un pénible embrouillamini où s’affrontent des entités surhumaines et pluri-millénaires, sur fond de manifestations surnaturelles et d’anticipations primaires. Les personnages suscitent un début d’intérêt et de sympathie, mais ils agissent comme des imbéciles. à l’écran, leur cohérence serait assurée par la continuité et par la force de l’image; sur la page imprimée, ils se désagrègent.

Le tout se termine en queue de poisson. Les amateurs d’une science-fiction un peu fouillée gagneront à éviter ce livre, mais les fans des X-Files y trouveront peut-être leur compte. Cependant, je ne garantis rien.

 

Phyllis Gotlieb
Flesh and Gold

New York, Tor, 1998, 286 pp.

Violent Stars

New York, Tor, 1999, 284 pp.

Inusable, Phyllis Gotlieb? Peut-être bien que oui… Née la même année que la science-fiction moderne, elle est la doyenne de la science-fiction canadienne et elle trouve encore le moyen de nous captiver. Son tout dernier diptyque fait preuve d’une intensité qu’on trouvait déjà dans le premier roman de l’auteure, il y a trente-cinq ans.

Encore une fois, elle a recours aux multiples mondes de GalFed, la fédération galactique qui sert aussi d’arrière-plan à la plupart de ses romans et nouvelles de SF. Dans Flesh and Gold, la juge Skerow appartient à une espèce intelligente connue pour sa moralité, mais elle découvre pourtant qu’un de ses collègues s’est laissé suborner et que sa planète d’origine sert de base à des esclavagistes. Flesh and Gold est en partie le récit d’une grande mise à mal des apparences: ni les Khagodis représentés par Skerow, ni les O’e fabriqués en série pour servir de domestiques, ni les Lyhhrt asservis par une multimondiale du crime, ni les agents de la GalFed ne sont exactement ce qu’ils semblent être.

Si Skerow est la référence morale du roman, elle n’a fait que déclencher une cascade d’événements où de nombreux personnages ont aussi leur rôle à jouer: Ned Gattes le gladiateur professionnel, Aleksandr Lebedev le policier sorti de prison, Kobai la prisonnière… L’intrigue semble parfois se perdre dans des méandres inattendus, mais Phyllis Gotlieb ne perd jamais le fil de l’histoire. Et si Skerow connaît la joie d’obtenir la liberté de Kobai, la conclusion n’a rien de forcé.

D’ailleurs, dans Violent Stars, le lecteur constatera qu’on n’écrase pas aussi facilement une multimondiale du crime, surtout lorsqu’elle est alliée à une espèce intelligente hostile, les Ix. Skerow, Ned Gattes et les Lyhhrt se retrouvent au c ur de l’action, mais l’intrigue n’a pas tout à fait la même force que dans Flesh and Gold. L’enjeu est moins clair et le nouveau personnage de Verona, une jeune Terrienne poursuivie par les Ix, a quelque chose d’un peu falot. Néanmoins, leurs aventures composent un roman satisfaisant.

Par moments, la SF de Phyllis Gotlieb peut sembler vieux-jeu, mais son charme est aussi intemporel. L’auteure ne s’inquiète pas d’être à la page, ou de nous expliquer en long et en large comment son monde fonctionne, mais elle sait raconter une histoire prenante. Des personnages s’aiment, ont peur, souffrent, luttent… Et l’auteure, qui est également une poète reconnue, soigne son style. Les amateurs de SF classique devraient apprécier ce

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