Lectures 1993

1993: Solaris 105-108

Solaris 105

James P. Blaylock
Lord Kelvin‘s Machine

New-York, Ace, 1992, 244 pp.

L’ère victorienne fascine bien des écrivains de SF, de Tim Powers ( The Anubis Gates) à William Gibson et Bruce Sterling (The Difference Engine). Blaylock succombe aussi à cette attirance: ce roman sans prétention met en scène le savant britannique Langdon St. Ives, opposé au vilain docteur Ignacio Narbondo, bossu au nom à consonance hispanique…

Blaylock mélange avec une certaine habileté science, fiction et vérité historique. L’histoire commence quand la poursuite de Narbondo par St. Ives entraîne la mort d’Alice, la bien-aimée de ce dernier. Deux épisodes de la lutte entre St. Ives et Narbondo forment alors la première moitié du livre. St. Ives réussit d’abord à faire dévier la Terre de son orbite pour la sauver d’une collision avec une comète et le docteur Narbondo périt dans les eaux froides d’un fjord. Il participe ensuite à la lutte pour récupérer la machine de Lord Kelvin, qui avait été construite pour sauver la Terre de la comète mais a été volée. L’ayant récupérée pour son propre compte, St. Ives s’en sert pour retourner dans le passé et remonter jusqu’au début de l’histoire.

Blaylock est à son meilleur quand il doit pousser sur scène des personnages de toutes sortes, parfois grotesques, parfois tragiques. Les comparses de St. Ives sont bien typés et l’un d’eux est d’ailleurs le narrateur de la deuxième partie du livre. La science est fantaisiste, mais obéit à une certaine logique un peu tordue. Le tout est divertissant, un peu prévisible et jamais ennuyeux.

 

Solaris 106

Charles Sheffield
Brother to Dragons

Riverdale, Baen, 1992, 261 pp.

Le titre est emprunté à un passage du Livre de Job, qui sert de repoussoir à l’intrigue de ce roman de science-fiction plutôt noir. Le protagoniste, Job Napoleon Salk, naît au seuil du troisième millénaire dans un hôpital des états-Unis au bord du gouffre. Job Salk tombe dans ce gouffre de la misère qui s’ouvre en ce vingt-et-unième siècle dans le pays le plus riche du monde. Il passe de l’orphelinat au trafic de la drogue, puis de la maison de réforme à la vie dans les rues. Capturé par les forces de l’ordre, il est envoyé en mission spéciale dans un dépotoir qui sert aussi de camp de relégation pour les criminels, dissidents et scientifiques rendus responsables de la désagrégation mondiale.

Le roman abonde en éléments de décor. Sheffield décrit une Amérique de demain qui est polyglotte, plus divisée que jamais entre riches et pauvres, et qui souffre des retombées du vingtième siècle. Pourtant, la chasse aux scientifiques rappelle un vieux roman de Leigh Brackett et Sheffield ne trouve rien de mieux pour résoudre les problèmes de surpopulation du futur que de faire appel à un des cavaliers de l’apocalypse. D’une part, un avenir est dépeint qui semble à peine forcé tandis que, de l’autre, une intrigue rocambolesque est racontée. Ce qui sauve le roman du heurt de ces deux facettes, c’est la personnalité de Job qui emporte la conviction du lecteur. En dépit de ses tribulations et des injustices qui ont marqué sa vie innocente, Job conserve la force d’effectuer le bon choix au bon moment… Il faut avouer d’ailleurs que c’est réjouissant de tomber encore de temps en temps sur des romans d’anticipation de ce type classique, mais remis au goût du jour. Un roman efficace, donc, mais sans plus.

 

Solaris 108

Robert J. Sawyer
Fossil Hunter

New-York, Ace, 1993, 290 pp.

Après Galilée, Darwin! Dans un premier livre, Far-Seer, l’auteur avait dépeint un monde de dinosaures intelligents. Un astrologue de la cour impériale du nom d’Afsan y découvrait que ce que la religion officielle prenait pour le visage de Dieu n’était que l’énorme disque de la planète géante semblable à Jupiter autour de laquelle le monde d’Afsan tourne. Pour sa peine, Afsan se fit crever les yeux par le clergé avant de l’emporter.

Dans Fossil-Hunter, les enfants d’Afsan et d’une savante nommée Wab-Novato sont grands. L’un d’eux, Toroca, est un géologue qui s’intéresse aux fossiles. Lors d’un voyage d’exploration au Pôle Sud, il recensera diverses formes de vie adaptées aux rigueurs du climat, mais toutes dérivées d’une espèce unique d’oiseaux. Ceci l’amènera à formuler une théorie de l’évolution et de la sélection naturelle des espèces.

Cependant, comme il découvre aussi que les sauriens de son monde n’y ont pas évolué ab initio mais que leurs ancêtres y ont été transportés, ses spéculations sur l’évolution semblent accessoires à l’intrigue principale. En même temps, des luttes pour le pouvoir secouent la capitale et le vieil Afsan, aveugle, doit résoudre le mystère d’une série de meurtres qui le touchent de près.

Sawyer noue ses intrigues un peu tôt et doit ensuite faire patienter le lecteur durant le gros du roman, mais la fin est (presque) à la hauteur des attentes ainsi suscitées. Toroca introduit un peu de vulgarisation scientifique et ses rapports avec une collaboratrice donnent l’occasion à l’auteur de montrer qu’il peut analyser avec doigté la psychologie de la race saurienne qu’il a inventée.

Essentiellement, c’est un livre qui vous en donne pour votre argent et qui incite à penser que la science-fiction en tant que mode littéraire est au seuil de la maturité, car Sawyer pratique avant tout le recyclage des acquis, remis au goût du jour en incorporant des découvertes de la science moderne. Le résultat est passionnant, mais ne renouvelle rien.

 

Dave Wolverton
Path of the Hero

New-York, Bantam Spectra, 1993, 420 pp.

Il s’agit de la suite d’un roman antérieur, Serpent Catch, du même auteur. Curieusement, l’idée de base ressemble fort à celle des romans Far-Seer et Fossil-Hunter de Robert J. Sawyer: sur la lune d’une planète géante dans un système solaire lointain, diverses espèces disparues sur Terre revivent. Dans les romans de Sawyer, il s’agit exclusivement de dinosaures. Dans ceux de Wolverton, les créatures proviennent d’ères géologiques différentes et des hommes de Néanderthal côtoient des humains.

Les humains qui ont recréé ces espèces disparues ont ensuite été défaits dans une guerre interstellaire. Les survivants, réfugiés à la surface de la lune Anee, ont réduit en esclavage de nombreux Néanderthaliens. Cependant, Tull, un hybride d’humain et de Néanderthalien, combine les talents des deux races, une enfance qui a fait de lui un héros en puissance et une éducation qui l’a initié à la guerre tant physique que spirituelle.

Avec ce livre, Wolverton complète une fresque grandiose, qui mélange le génie génétique des inventeurs humains et les pouvoirs spirituels des Néanderthaliens. De grandes batailles mettent aux prises esclavagistes et révoltés, esclaves et forces de la nature, survivants de l’ère interstellaire et leurs propres créations. Son épopée est dominée par la figure héro que de Tull, qui, au seuil de la mort, parvient à faire partager à tous son expérience et met fin ainsi aux conflits.

Ce n’est pas tout à fait de la science-fiction, car les pouvoirs spirituels de Tull lui permettent d’apporter la paix au monde presque par magie, mais l’action ne manque pas de rebondissements et le livre se lit d’un trait.

 

C. J. Cherryh
Hellburner

New York, Warner, 1992, 393 pp.

C. J. Cherryh fait partie des goûts acquis. Ses personnages sont parfois peu sympathiques et l’intensité de sa narration peut dégoûter au lieu de captiver. Néanmoins, absolument personne ne peut rivaliser avec son talent pour des intrigues prenantes et minutées à la perfection, rebondissant avec l’imprévisible qualité de la vraie vie, et pour des milieux façonnés par la technologie. C. J. Cherryh démontre à chaque page une compréhension profonde des interactions de la technologie et de ses créateurs humains, et ses conceptions sont décrites de manière si systématique qu’elle parvient à faire oublier aux lecteurs qu’elle n’a pas la moindre idée de la façon dont ses inventions fonctionnent-et elle le fait sans masquer son ignorance par un quelconque galimatias qui la trahirait. Dans la science-fiction d’aujourd’hui, personne n’essaie même de rivaliser avec ses portraits de personnages parfois fort humbles, mais qui se retrouvent plus souvent qu’autrement au c ur de l’action, et avec son génie pour les cabales en coulisse menées de front à la demi-douzaine.

Dans Heavy Time et Hellburner, C. J. Cherryh se découvre un certain affection pour le populisme, même si ce n’est que pour les besoins de l’histoire, et une nouvelle version de la lutte des classes sous-tend ces deux livres qui forment les volets d’un diptyque. Les axiomes de Cherryh en ce qui concerne le triangle équilibrant les gouvernements, les corporations et la foule révèlent une sensibilité politique qui est foncièrement (mais pas typiquement) étatsunienne. Néanmoins, sa vision demeure d’une lucidité cynique de bout en bout.

De science-fiction en tant que telle, point. Cherry manipule des innovations qui ne sont pas validées" scientifiquement, seulement rendues crédibles par leur intégration sans faille à un univers complexe. La complexité de l’univers créé par Cherryh peut se mesurer par la facilité avec laquelle Cherryh illustre dans ses divers romans, de Downbelow Station à Cyteen à Heavy Time (et j’en passe), des points de vue mutuellement hostiles et étrangers. La science-fiction de Cherry est plutôt sociale et politique, explorant les répercussions des changements technologiques et de l’expansion spatiale dans ces domaines et, au bout du compte, leur impact cumulatif sur la psychologie humaine.

L’histoire de Hellburner est toute simple. Un nouvel astronef de combat doit être testé. Les protagonistes de Heavy Time se retrouvent et effectuent avec succès le premier test, en dépit des obstacles extérieurs et des peurs cachées. Cependant, ce sont les péripéties, les personnages et les manoeuvres politiques qui retiennent l’attention jusqu’à la fin, car Cherryh combine avec un art consommé les éléments de base, édifiant une intrigue qui se noue logiquement tout en distribuant les coups de théâtre. D’ailleurs, les personnages de Cherryh sont un peu plus attachants dans Hellburner que dans certains de ses romans antérieurs, beaucoup plus durs. Roman d’action, oui; mais aussi roman de caractères et d’intrigues, qui ne néglige pas l’extrapolation des mentalités et des sociétés.

Bref, un autre chef-d’oeuvre mineur de Cherryh dans le genre du space-opera moderne.

Jean-Louis TRUDEL

Mise à jour: Août 2000 –

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