Claude La Charité, Autopsie de Charles Amand (Fa)
Claude La Charité
Autopsie de Charles Amand
Longueuil, L’Instant même, 2021, 161 p.
Le projet de l’auteur est inattendu, mais pas sans précédent. On invente parfois la suite des romans à succès, comme dans le cas d’Autant en emporte le vent ou du Petit Prince. Les personnages fétiches (James Bond) et les univers distinctifs (la Terre du Milieu) suscitent aussi des exploitations tardives ou posthumes, autorisées ou non, professionnelles ou faniques. C’est le choix de L’Influence d’un livre (1839) par Aubert de Gaspé, fils, qui surprend ici, puisque ce premier roman québécois n’est guère connu hors du sérail des historiens littéraires et le personnage de Charles Amand, occultiste raté, est loin d’être emblématique.
Ayant moi-même endossé le costume d’un contemporain d’Amand pour rappeler les origines de la science-fiction et du fantastique au Québec, dans l’édifice même où les deux Aubert de Gaspé (et Napoléon Aubin) ont été emprisonnés, j’ai abordé cet hommage aux débuts de la littérature québécoise avec un préjugé favorable. L’auteur signe un roman qui tient à la fois de la courtepointe et de la récapitulation, et qui s’avère érudit plus que passionnant.
Le prétexte en est la mort mystérieuse de Charles Amand dans l’incendie de son domicile. Un notable de la paroisse, M. T. L. B***, est chargé de l’enquête afin de déterminer s’il y a eu crime. L’investigation de M. T. L. B*** l’amène à s’intéresser aux faits et gestes de cet alchimiste de village, obnubilé par les recettes magiques du Petit Albert.
Du coup, le récit se promène tout le long de la Côte-du-Sud, avec des pointes à Québec et dans Charlevoix. Les rencontres de l’enquêteur résument l’essentiel du roman d’origine : le post-mortem de Charles Amand se transforme en autopsie de son aventure antérieure. De plus, La Charité emprunte plusieurs passages à L’Influence d’un livre et à d’autres ouvrages de l’époque pour agrémenter sa prose. La couleur locale est au rendez-vous.
L’Influence d’un livre touchait au fantastique par les recherches occultes de Charles Amand et par quelques épisodes, dont l’histoire célèbre de Rose Latulipe. L’enquête de M. T. L. B*** hésite sur le rôle à donner au diable ou à des entités surnaturelles dans la mort de Charles Amand. Cette hésitation rattacherait le roman au fantastique, du moins selon Todorov. Toutefois, l’enquêteur n’envisage ni très longtemps ni très sérieusement la piste fantastique, même s’il croise souvent le Petit Albert et ses recettes relevant de la superstition ou de la magie populaire. Tout comme dans l’ouvrage original, c’est le scepticisme des esprits éclairés qui l’emporte. Néanmoins, il s’agit d’une agréable promenade dans le Québec des années 1830, doublée d’un retour au roman d’origine qui espère en favoriser la découverte, ou la redécouverte, par les lecteurs et lectrices d’aujourd’hui.
Jean-Louis Trudel