Martine Desjardins, Méduse (Fa)

Martine Desjardins

Méduse

Québec, Alto, 2020, 209 p.

Depuis toujours, Méduse marche tête baissée, cheveux dans le visage. Elle ne s’est jamais regardée dans un miroir, car elle sait, on le lui a dit, que ses yeux sont anormaux. Sa mère l’a même menacée de lui coudre les paupières. Méduse parle de ses yeux comme de ses Difformités, ses Horreurs, ses Cauchemardesqueries, leur trouvant sans fin des surnoms péjoratifs. Les femmes sont révulsées par leur vue, mais les hommes, eux, n’y survivent pas.

Tel est le personnage de Méduse de Martine Desjardins, publié chez Alto. À l’adolescence, rejetée par sa famille, Méduse sera envoyée à l’Athenæum, un institut pour jeunes filles malformées où elles sont soumises aux jeux des cruels Bienfaiteurs. Les femmes n’y reçoivent normalement aucune éducation, mais Méduse finit par avoir accès à la bibliothèque et elle y acquiert une culture étendue, mais parfois un peu décalée, ce qui explique certaines phrases délicieuses du roman. « Le vieux lac n’avait rien perdu de sa lugubrité, ni le pensionnat de sa sinistritude », écrit entre autres l’auteure qui emprunte la voix de son personnage.

En plus de tuer les hommes qui aperçoivent ses Repoussances, Méduse se révèle bientôt dotée d’un autre pouvoir ou plutôt de toute une série de pouvoirs. Les premiers sévices qu’on lui inflige révèlent qu’elle est insensible à la douleur. Puis, petit à petit, à mesure que la directrice et les Bienfaiteurs abusent de son corps, Méduse découvre qu’elle peut voir dans le noir, puis que son regard déjoue même ses paupières closes. Ainsi, elle peut mettre ses Meurtrières à l’abri des hommes et partir découvrir le monde… avant de revenir chercher vengeance.

Il y a évidemment une métaphore derrière toute histoire magnifiquement écrite, la quatrième de couverture ne s’en cache pas : Méduse parle de honte du corps, du pouvoir féminin qui effraie, pétrifie, les hommes, des épreuves qui rendent plus fortes celles qui les surmontent. Toutefois, la lecture du texte m’a occasionné un certain malaise. La plume de Desjardins tisse une ambiance sulfureuse, gothique. Le récit nous spécifie bien que les pensionnaires de l’Athenæum ne sont pas les bienvenues dans les jeux des Bienfaiteurs lorsqu’elles sont menstruées. Ce détail, couplé à l’écriture sensuelle, laisse donc planer, longtemps, l’idée du viol et de l’exploitation sexuelle. Lorsque Méduse subit finalement les jeux, ils sont cruels, certes, mais plutôt à la manière des gamins qui arrachent les pattes des mouches. Cependant, c’est Méduse, une femme, qu’on maltraite ainsi. Méduse qui ne se libérera que dans le dernier tiers du roman. Il m’a donc semblé y avoir un débalancement mathématique entre ce qu’on voulait raconter (la revanche du féminin) et ce qui est effectivement mis en scène pendant la majorité du récit (l’exploitation, l’abus et la torture de ces mêmes femmes). Cela dit, peut-être est-ce un simple effet de lectrice. Il est difficile, après tout, de dénoncer sans montrer.

Méduse reste un roman à l’écriture délicieuse et la nature des Atrocités de la jeune femme (qui est révélée en fin de texte) est un choix fort judicieux de la part de Desjardins. Certains lecteurs seront également rassurés de constater, à la fin du livre, que ce ne sont pas tous les hommes (#NotAllMen) qui succomberont au regard de Méduse.

Geneviève BLOUIN

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