Francine Pelletier (anthologiste), Par chemins inventés (Hy)

Francine Pelletier présente
Par Chemins inventés
Montréal, Québec/Amérique (Clip #10), 1992, 189 p.
Dans la préface de Francine Pelletier, on apprend que le collectif se veut une sorte d’anthologie des littératures de l’imaginaire, sur le thème du voyage. J’aime bien l’idée. On y retrouve un bon échantillon de ce qu’il est possible de rencontrer en science-fiction et en fantastique, même si ce dernier genre n’est représenté que par un seul texte : « La Fourgonnette psychédélique » de Daniel Sernine, avec lequel le recueil débute.
Pascal fait une fugue. Il part de Rimouski en autobus pour aller jusqu’à Québec ; de là, il entend faire du pouce jusqu’à Montréal. Au bord de l’autoroute, une fourgonnette Trans Sport s’arrête. À l’intérieur, il y a cinq personnes dans la quarantaine, portant les cheveux longs et filant vers la Californie. En leur compagnie, c’est un voyage dans le temps que fera Pascal. Ses bienfaiteurs paraissent rajeunir jusqu’à avoir à peu près son âge, la fourgonnette devient une van psychédélique, et ils se retrouvent tous aux États-Unis de 1969, au temps du Peace and Love ! La société actuelle que décrit le texte est sombre. Les jeunes ne peuvent envisager le futur qu’avec angoisse, et même leurs parents sont découragés. Mais le voyage dans le temps permet à Pascal de vivre un instant dans la jeunesse de ses parents, alors que les gens avaient encore confiance en l’avenir ; lorsqu’il en revient, il est plus rassuré. Ce qu’il y a de bien avec ce texte, c’est qu’il tombe à point pour les adolescents : pas moyen de ne pas se reconnaître, parce que tout ce que Pascal pense, on y a déjà réfléchi. En plus, la musique de la fin des années soixante refait surface ; alors quand l’auteur fait allusion à certaines paroles de chansons, on les reconnaît.
C’est aussi une histoire de fugue que nous propose Francine Pelletier avec son texte « Un bateau sur le fleuve ». Kat a quitté son foyer institutionnel et, à bord d’un bateau, elle se dirige vers Québec. Elle craint beaucoup d’être repérée par la police. Quand effectivement les agents de la Sûreté interceptent la navette fluviale, Kat court se cacher. Ce qui lui fait rencontrer Jésus-Marcel, un terroriste écologiste lui aussi en fuite. Voilà un texte amusant parce que, tout le long, on a l’impression d’être un passager privilégié du bateau. On connaît les pensées de Kat, mais elle nous ment quand même un peu, comme aux autres passagers. Et même si l’auteure nous donne des indices tout le long du voyage, la fin est surprenante. Mais ce qui étonne surtout, c’est la position du terroriste. Sans doute parce qu’on est habitué de se faire présenter les écologistes comme des « bons », on s’attend à ce que Kat prenne sa part. Mais non. Et puis, pour une fois, contrairement à la tradition des romans d’aventure pour ados, la jeune fille a un rôle très limité dans l’affaire policière : ce n’est pas elle qui résout tout. En plus, elle craint de se faire traiter de porte-panier. Si on y ajoute le fait que c’est une vraie peste et qu’on a souvent le goût d’écrabouiller son arrogance, Kat pourrait être n’importe quelle adolescente rebelle de quinze ans.
La nouvelle de Joël Champetier, « Petite Peste », est aussi un texte de SF très facile pour les adolescents. J’ai même l’impression que ce sera leur préféré dans le recueil. Tout s’y trouve pour leur plaire : il y a de l’action, l’héroïne est une adolescente à laquelle ils peuvent s’identifier – même si on ne peut s’empêcher de la trouver désespérément enfantine ! – et surtout c’est de la SF comme on en trouve dans les films. Charlène se réveille dans un caisson d’hibernation, dans le vaisseau qui devait l’amener à la Terre, parce que l’ordinateur a besoin d’aide. Quelque chose bloque certaines portes du vaisseau et l’ordinateur n’arrive plus à entrer en contact avec les officiers. La jeune fille décide donc de percer les portes pour voir ce qui se passe de l’autre côté, ce qui la mettra en contact avec deux membres de l’équipage plutôt suspects, pour qui elle deviendra une « petite peste ». Il s’agit presque d’un space opera : on y retrouve des planètes habitées, un ordinateur détraqué à la voix mélodieuse et même une bataille au « pistolet laser » branché dans une prise murale, ce qui complique la situation. La seule exception au genre est que Charlène se promène en robe, ce qui n’est pas la tenue la plus pratique pour galoper dans les coursives avec une foreuse dans les bras.
Ces trois nouvelles ne devraient poser aucun problème à de jeunes lecteurs, même s’ils n’ont jamais lu de SF ou de fantastique de leur vie. Par contre, ce n’est pas le cas des textes de Carmen Marais et d’Yves Meynard. « La Muerta del sol » est sûrement le texte le plus difficile du recueil, pour diverses raisons. Il n’y a pas de temps défini, pas d’espace précis ; tout ce qu’on sait, c’est que Micha s’en va sur une île dans le sud. On y retrouve toute l’opposition entre les pays fortunés et ceux en voie de développement. Le plus difficile, c’est la fin. Brutale, elle laisse un drôle d’arrière-goût parce qu’on n’y est pas préparé du tout : elle fait l’effet d’une bombe au milieu d’un rêve ! Il faut avouer que c’est très réussi ; et comme on m’a appris à l’école qu’une nouvelle devait se terminer par une surprise, je devrais dire que c’est un texte quasi-parfait. Mais ça me laisse quand même insatisfaite et je ne serai probablement pas la seule.
Pour ce qui est du « Convoyeur d’âmes » d’Yves Meynard, la difficulté se trouve ailleurs. C’est l’histoire de Pallas, un garçon qui décide de devenir convoyeur d’âmes, au service des Hymnarques, extraterrestres ayant détruit la Terre à la suite d’une guerre contre les humains. Le travail de Pallas consistera à porter vers des cimetières les psycholithes extraites du corps des Hymnarques décédés, des pierres qui contiennent leur âme, semble-t-il. C’est le texte qui tranche le plus avec les autres.
Pas seulement parce qu’il se passe dans un avenir plus éloigné, mais surtout parce qu’il est le plus dépaysant. Il comporte des noms à sonorité étrange – phoque-mêle, fausse-prêle, sporanges –, le temps se calcule autrement que sur Terre, la planète des Hymnarques ayant une orbite beaucoup plus longue que la nôtre. Ainsi, au seuil de l’âge adulte, Pallas n’a que quatre ans. Tout cela contraste avec les autres nouvelles qui gardent un lien avec notre présent, cela demande un plus grand effort de la part du jeune lecteur pour comprendre ce que vit Pallas. C’est mon texte préféré, justement à cause de cela ; mais j’ai peur qu’il déroute les jeunes lecteurs qui aborderaient la SF pour la première fois.
Au bout du compte, Francine Pelletier a composé un recueil très varié, une véritable introduction aux littératures de l’imaginaire. Chapeau !

Julie MARTEL

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