K. S. Covert, The Petting Zoos (SF)

K. S. Covert

The Petting Zoos

Dundurn Press, 2022, 356 pages.

La pandémie a fait de certains d’entre nous des connaisseurs en matière de masques, gels hydroalcooliques et statistiques médicales. Même ceux qui aspirent plus que tout à un retour à la normale retiendront peut-être de l’épidémie quelques réflexes et inconforts qui se manifesteront à contretemps dans les transports en commun ou les rencontres de groupe. Et c’est justement le sujet du premier roman de l’ancienne journaliste d’Ottawa, K. S. Covert.

Dans The Petting Zoos, l’autrice a imaginé une pandémie de grippe H9N9 bien plus meurtrière que la Covid-19 et elle a commencé à rédiger l’histoire d’une survivante traumatisée, Lily King, dès 2009. Dans le monde post-apocalyptique du roman, il a fallu dix ans pour que la situation se stabilise et les mesures sanitaires ont laissé des traces. Lily a vécu dans le plus grand isolement après avoir été infectée. Elle n’a embrassé personne, n’a été touchée par personne et a même évité le plus possible les contacts avec son propre corps. En retournant au travail, elle obtient des séances de thérapie tactile (pas tout à fait des massages) afin de combler ce manque. Cette longue privation du premier des sens en affecte d’autres, qui ne se contentent pas des séances subventionnées d’attouchements thérapeutiques et qui fréquentent des « petting zoos » clandestins.

En anglais, ce terme désigne un zoo pour enfants, qui présente des animaux susceptibles d’être câlinés et flattés par de jeunes visiteurs. Au sens propre, il pourrait se traduire par « zoo de câlinage », avec tout ce que cela suggère de doux et tendres préliminaires. Dans le roman, le terme s’étend à toute une gamme de lieux clandestins où il est possible de se faire toucher et de toucher les autres, dans le noir parfois ou avec des bandeaux sur les yeux, avec ou sans pièces de vêtements, en allant jusqu’aux relations les plus intimes – en public.

L’héroïne de Covert ne recherche pas seulement les contacts humains. L’épidémie de H9N9 a aussi entraîné le bannissement des tapis et de nombreux textiles, sous prétexte que le virus se niche dans les fibres. La privation sensorielle est devenue une torture multi-dimensionnelle, mais la solitude de Lily reflète aussi la disparition de 90 % de la population planétaire. Malgré ce contexte post-apocalyptique, il serait plus juste de parler d’une ambiance d’après-guerre puisqu’il n’y a pas eu d’effondrement en tant que tel. Le retour à la vie de Lily reflète par conséquent le retour à la normale d’une société ravagée, mais encore debout. Des expériences routinières, comme rendre visite à un salon de coiffure, ne sont plus si ordinaires pour Lily après dix ans de quasi-enfermement.

Covert signe donc l’exploration psychologique d’une situation et d’un contexte qui auraient été à peine concevables il y a dix ans, mais qui toucheront nettement plus les lecteurs actuels. Après la découverte initiale des « petting zoos » par Lily, l’intrigue ralentit et se délaie dans les conversations, avant d’être relancée par l’histoire d’amour qui se développe et qui se terminera de manière un peu inattendue sur la possibilité pleinement assumée d’un ménage à trois.

En nous transportant dans un autre univers post-pandémique, le roman de Covert nous révèle nos propres expériences sous un nouveau jour. C’est tout l’intérêt du cadeau que nous fait la science-fiction en imaginant des versions distinctes de la réalité, susceptibles de servir de pierre de touche pour nous rassurer ou nous inquiéter. L’ouvrage a ceci de rafraîchissant qu’il évite de s’attarder sur la pandémie en tant que telle, l’effondrement social ou la reconstruction de toute une société. Covert les relègue à l’arrière-plan pour se concentrer sur la reconstruction d’une femme, de sa personnalité et de sa sexualité, en racontant le tout d’une manière extrêmement abordable et non dénuée de profondeur.

Jean-Louis TRUDEL

Mélanie Launay, 669 Peony Street (Fa)

Mélanie Launay

669 Peony Street

Neuilly-sur-Seine, Michel Lafon (Roman), 2022, 240 p.

Le roman s’ouvre alors que Simeon Lake, plus loin surnommé Mr. Cat ou L’Étranger, monte à bord d’un train quittant Sleepy Hawthorn pour se rendre au 669 Peony Street, où il doit retrouver une femme mystérieuse qui exerce sur lui une attirance particulière. Le récit fait apparaître de nombreux personnages qui se meuvent dans le même train, avant d’effectuer un bond en arrière dans le temps permettant au lecteur d’en apprendre davantage sur chacun d’entre eux. L’histoire se poursuit, entremêlant quelques chapitres de la trame du présent et des analepses qui donnent bien vite un ton au roman.

Peu à peu, le lecteur découvre l’ensemble des citoyens de cette ville d’Angleterre. Par le passé, entre autres, Simeon Lake et le Docteur Breathman se sont querellés à propos de cette mystérieuse femme mentionnée précédemment. Ce conflit a donné naissance à une foule de commérages à propos de cette curieuse Miss D., qui se fait aussi appeler Peony (entre autres !). Si Mr. Cat en est fasciné, Mr. Shush voit le mal en elle. Plus tard, en raison d’une confusion, une erreur se produit dans la livraison de deux carnets du Docteur Breathman dont les destinataires sont intervertis. Or, l’un de ces carnets contient des notes concernant des recherches importantes et deviendra l’objet d’une quête pour certains personnages, qui désirent à tout prix mettre la main dessus. En somme, 669 Peony Street raconte l’histoire d’une petite ville, d’une femme mystérieuse et d’un carnet précieux qui se promène de mains en mains, convoité par des gens aux intentions diverses.

Dans cet univers particulier d’époque victorienne, le lecteur a toutefois le grand plaisir de rencontrer des personnages très intéressants. Si le récit se déroule dans une époque appartenant au passé, il met néanmoins de l’avant certains protagonistes forts, dont les croyances, le caractère et l’orientation sexuelle, entre autres, sont plus « modernes ».

669 Peony Street se lit comme on tente de résoudre un casse-tête. Chaque chapitre apporte un nouvel élément à l’histoire, se concentrant sur un ensemble de personnages, dépeignant un moment du passé, les actions des habitants de Sleepy Hawthorn et leurs opinions sur leur voisinage et sur la mystérieuse Miss D. Chaque personnage a aussi la particularité d’hériter, en plus de son nom, d’un surnom amusant donné par Scarlett Hope, celle qui se fait appeler Petite Miss. Si le lecteur, après avoir aperçu la couverture du roman, croit avoir affaire à une lecture simple et légère, il sera déçu, puisqu’il devra se démêler entre les habitants de la petite ville tout en se mesurant à quelques autres défis, néanmoins plus plaisants.

La trame narrative du récit, en effet, présente une construction singulière. La trame temporelle qui se déroule au présent, soit celle où Simeon Lake prend le train vers le 669 Peony Street, est entrecoupée de plusieurs analepses abordant des temporalités différentes de l’histoire des gens de Sleepy Hawthorn. Les retours en arrière varient de quelques années à plus de dix ans afin de découvrir les relations qui relient chaque protagoniste, mais aussi tout le chemin parcouru par cet intrigant carnet de notes, semble-t-il, plein de secrets. L’ultime quête du lecteur : comprendre qui est cette fameuse Miss D. dont tous les habitants de la ville parlent et quel est son rôle.

Le lecteur verra finalement toutes les trames narratives se rejoindre en une seule, qui lui permettra de lever le voile sur une grande part des derniers mystères du roman. Une grande part mais non l’entièreté, puisque la conclusion reste énigmatique et requiert une interprétation non négligeable. 669 Peony Street demande un certain effort pour bien le déchiffrer, mais se laisse apprécier en raison des idées modernes qu’il met de l’avant. Une lecture un peu ardue qui, néanmoins, divertit.

Émanuelle PELLETIER-GUAY

Ariel Kyrou (dir.), Nos futurs solidaires (SF)

Ariel Kyrou (dir.)

Nos Futurs solidaires

Chambéry : ActuSF, (Les Trois Souhaits) 2022, 500 p.

En 2020 ActuSF nous offrait No(s) Futur(s), une anthologie sur le développement durable, basée sur le dernier rapport du GIEC. Dans la même lignée, Nos futurs solidaires propose des textes qui évoquent des sociétés plus ouvertement solidaires qu’aujourd’hui. Comment ? Par le mélange de genres : science-fiction et débats. Utiliser la fiction pour imaginer l’avenir « un peu moins noir » et sortir de la dystopie, offrir d’autres avenues, c’est le pari réussi de cette magnifique anthologie.

Quatorze nouvelles au sommaire dont dix écrites pour la revue Visions Solidaires de la Fondation Cognacq-Jay, moteur d’innovation dans le domaine du soin et de l’aide sociale en France depuis plus de cent ans. Les fictions sont séparées par quatre conversations sur les thèmes de l’altérité, de la solidarité dans les récits, de la société de demain et, pour finir, des utopies solidaires. Ces débats montrent l’impact de la fiction pour imaginer nos sociétés et, pourquoi pas, les changer.

Li Cam ouvre le bal avec une superbe « Map d’Iris », un univers où le handicap social est compensé par la technologie. Dans un éco-bâtiment proche des Coopératives d’habitation québécoises, les familles se partagent les tâches. Même ceux qui ne pensaient pas être utiles à d’autres trouvent leur place. Un univers et des personnages attachants et une fin riche en émotions.

Régis Antoine Jaulin offre avec « L’Affection » un univers où l’empathie s’est répandue partout comme une épidémie, ce qui crée des situations cocasses et touchantes tout à la fois. L’écriture à la première personne nous immerge rapidement dans un monde où l’autre n’est plus tout à fait un étranger. Coup de cœur.

Audrey Pleynet nous propose d’« Entrer en résonance ».Valentina fait partie d’un cercle de solidarité dont les membres doivent se rencontrer périodiquement pour favoriser l’entraide et les échanges entre personnes de milieux différents. Dans ce monde, chacun voit des doubles de soi-même en plus d’interagir avec les autres. Un texte incroyablement fort, autant dans le fond que la forme, qui rappelle de loin Sense8.

Chloé Chevalier nous présente le parcours de six à sept jeunes en service civique social ou militaire obligatoire à la sortie du baccalauréat. Nous suivons « Les Déroutés » sur plusieurs années au fil de leurs échanges alors que leurs vies prennent des cours différents. Attachant.

« L’Enfant de thérapie » de Vincent Borel met l’accent sur nos sociétés inégalitaires et leurs dérives qui privent la majorité de soins de pointe. Pierre Monroe, pilote expérimenté, transporte un trésor médical. De bonnes prémices mais semble inachevée.

« Bootz change de mode », Catherine Dufour met en scène une vedette de la mode en réalité virtuelle qui découvre les bas-fonds de la banlieue parisienne, peuplée de réfugiés climatiques. Choc culturel et style rapide.

Anne-Sophie Devriese rappelle le temps où la vie d’une « Auxi’ »était proche du servage. Les temps ont changé. Témoignage.

« Baobab City » de Philippe Curval. Quand les cinq premiers astronautes terriens mettent le pied sur Acébé, ils ne s’attendent pas à trouver un monde si radicalement différent qu’il va littéralement les changer à jamais. Radicalement dépaysant et une belle illustration de l’altérité.

Dans « Les Vies de Man Pitak »Michael Roch nous entraîne dans un cyber bidonville très original où la magie et le vaudou se mélangent à la technologie numérique. Le souvenir des êtres chers se paie, crée des inégalités que Man Pitak essaie de dépasser en récupérant des données dans le réseau. Coup de cœur pour l’originalité et la force des émotions évoquées.

La jeune Perle écoute les souvenirs de Stéphanie comme nous écouterions un conte des mille et une nuits, fascinée, en y croyant à moitié. En désignant ses possessions, Stéphanie dit à Perle : « Un jour, tout ceci sera à toi ». Douce rêverie d’une femme qui refuse une réalité où tous les biens sont partagés selon les besoins. Ses histoires, c’est ce qui fera véritablement de Perle son héritière. Très beau texte de Léo Henry.

Norbert Merjagnan nous écrit que « De nos corps inveillés viendra la vie éternelle ». Sur fond d’enquête policière dans une société très surveillée qui fouille autant les corps que les esprits, une intrigue touffue et la nouvelle la plus longue du recueil, un peu trop bavarde à mon goût.

« Reliance » de Sabrina Calvo présente un huis clos à l’ambiance sombre. Tirésias est interrogé sur sa guérison miraculeuse et cela prend juste assez de temps à ses gardiens pour réaliser que ce qui l’a guéri s’est infiltré partout. Le monde va changer. Glaçant et efficace.

Léa voit passer une annonce pour animer une communauté « Éligibles », elle fouille et trouve les règles, s’inscrit et cherche des personnes différentes pour faire partie de son groupe. Motivée par la récompense annoncée, elle va découvrir quelque chose qui n’a pas de prix. Texte superbe et magique de Sylvie Lainé.

Ketty Steward clôt le recueil avec l’histoire d’une monade de six personnes, un groupe basé sur les profils MBTI pour valider leur compatibilité. « Six faces d’un même cube » nous plonge au cœur de leurs interactions et pose au passage la question du statut d’une intelligence artificielle dans un futur pas si lointain. Vivant et un des meilleurs textes du recueil.

En conclusion voici une anthologie de grande qualité et vraiment indispensable qui ravive l’envie d’être solidaires sans en cacher les difficultés. C’est un bol d’air et aussi une stimulation pour agir. Merci aux auteurices de proposer enfin des histoires qui donnent à lire et vivre d’autres futurs que la dystopie ambiante : ça fait du bien.

Nathalie FAURE

Stéphane Beauverger, Collisions par temps calme (SF)

Stéphane Beauverger

Collisions par temps calme

Clamart, La Volte (Eutopia), 2021, 120 p.

Stéphane Beauverger est un auteur qui a marqué à juste raison les littératures de l’imaginaire avec le roman Déchronologue paru en 2009 (prix Utopiales européen, Prix Bob Morane, Grand prix de l’imaginaire…). Ce tour de force littéraire mélange aventures maritimes et voyages dans le temps en suivant une trame tout à la fois incomparablement complexe et accessible (Solaris 171, volet en ligne). Je vous laisse le soin d’aller voir la critique de l’époque, cela vous donnera une idée de mon enthousiasme. C’est donc avec une certaine fébrilité que j’ai appris l’existence de ce court roman paru dans la toute nouvelle collection Eutopia de la Volte. Disons-le tout de suite : mes attentes n’ont pas été déçues. Eutopia propose des textes qui mettent en scène une société idéale. Stéphane Beauverger nous présente une société apparemment parfaite. Le monde est beau et paisible, ne connaît pas nos problèmes environnementaux, la pauvreté, la famine et la guerre n’existent plus… tout cela grâce à une intelligence artificielle créée par un génie. Cette utopie réussie repose sur Simri, cette IA qui prend soin de l’humanité depuis 50 ans au moment de l’intrigue. Dans ce monde, la paix règne, il est possible de vivre ses différences et ses passions. Chacun peut contribuer à sa bonne marche comme il l’entend. Sylas est un analyste qui travaille sur les algorithmes de Simri et aime aussi concevoir des bateaux. Il vit sur une île, dans une maison superbe, tout près de son compagnon et de leur fille. Cette vie idyllique serait parfaite si la sœur de Sylas, Calie, ne voulait pas s’extraire de ce monde. Elle ne veut plus vivre dans cette société idéale qui convient à la majorité de la population mondiale. Simri veut le bien de tous et cela inclut la possibilité pour les humains qui le souhaitent de vivre hors de son giron. L’IA les perd alors de vue et nul ne sait ce qu’ils deviennent sur Terre. Calie a décidé de quitter l’utopie et vient rendre visite à Sylas sur son île avant de partir.

Le temps ralentit à la lecture de cet ouvrage car il met le lecteur à son rythme, le rythme lent de la mer toute proche, crée des ambiances qui font ressentir la vie dans ce monde pacifié. La décision de Calie, son arrivée dans l’univers de Sylas pour une dernière rencontre, créent des remous comme une pierre jetée dans l’eau. Sylas aime sa sœur et se désole de son choix. Cette dernière rencontre les fera évoluer tous les deux, tout en dévoilant au passage un retournement inattendu.

Stéphane Beauverger a le sens de l’intrigue et utilise une écriture précise et faussement simple pour nous faire réfléchir avec brio à la capacité humaine à vivre heureux. Ce roman court est donc un nouveau tour de force : l’évocation d’un univers entier et un questionnement humain et philosophique en 120 pages. Le choix d’écrire en alternant deux points de vue principaux ajoute encore de la profondeur à cette histoire touchante et inspirante tout à la fois. Espérons que Stéphane Beauverger ne mettra pas une autre dizaine d’années pour écrire un autre texte long.

Nathalie FAURE

Rémy Gallart et Roland C. Wagner, Le Pacte des esclavagistes (SF)

Rémy Gallart et Roland C. Wagner

Le Pacte des esclavagistes

Bordeaux, Les moutons électriques, 2021, 304 p.

2067, un siècle exactement après le célèbre Summer of love, apogée du mouvement hippie, se répand un nouveau courant largement inspiré de ce dernier. Ses adeptes, les « Mysthiques », adoptent les vêtements en tissus naturels, l’amour libre et vivent en communauté. Même la drogue fait son retour, mais sous une forme différente, l’Expandeur, dont les effets sont inconnus étant donné que pas une seule autorité légitime n’a pu mettre la main sur un échantillon. D’ailleurs, les gouvernements démocratiques ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes, démolis de l’intérieur par la corruption. De sa tour d’ivoire new-yorkaise, Anton Dvorak, richissime homme d’affaires narcissique, tire les ficelles à l’aide de ses Kontrats, assassins surentraînés qui ne manquent jamais leur cible. De plus, il contrôle en sous-main certaines des plus puissantes sectes parmi celles qui pullulent sur les cendres des anciennes religions. Avec une planète qui sombre dans le désastre écologique et des millions d’êtres humains qui vivent dans des conditions épouvantables, est-ce que l’idée d’une Ultime communion comme le plaident les Mysthiques pourrait être la solution ?

Il n’y a pas à dire, ce roman a l’art d’accrocher le lecteur. L’histoire débute par une présentation du mouvement Mysthique par un sociologue, Yalmiz le ridicule (à cause de son physique) et l’on pourrait penser dès ce moment que l’intrigue sera un peu docte, mais non, un collègue du professeur de la Sorbonne est assassiné en pleine rue par un Kontrat, juste après leur discussion sur le courant néo-hippie. Cet événement mettra le sociologue en contact avec un inspecteur condamné aux affaires sans importance à cause de son refus de se laisser corrompre et dont l’enquête mènera à rencontrer une galerie de personnages, de tous les milieux et de toutes les origines.

Tous, chacun à leur tour deviennent le narrateur de l’intrigue. Et c’est là à mon avis que le bât blesse : ce livre est une réécriture d’une œuvre parue au début des années 2000, sauf que des incohérences, parfois petites (personnage dont on a dit qu’il était boutonné jusqu’au cou se retrouve avec un décolleté plongeant deux pages plus loin, personne qui s’assoit et qui est debout deux paragraphes après), ou plus grandes (détails du passé des personnages et de leurs motivations), se contredisent d’un segment à l’autre du livre. Cela peut être voulu, parce que les narrateurs ne seraient pas fiables, mais j’en doute. D’autant plus que la quatrième de couverture mentionne que seules les parties de Rémy Gallart ont été réécrites, Roland C. Wagner étant décédé en 2012.

Les personnages ont tous de la profondeur, même si le roman en compte une bonne demi-douzaine. Par contre, il est regrettable de voir les personnages féminins être constamment ramenés à leur physique et à leur potentiel érotique. C’est flagrant quand on compare la longueur des descriptions entre les hommes et les femmes et les détails de leur anatomie sur lesquels les auteurs passent le plus de temps. Cela dit, cela n’a pas un grand impact sur l’intrigue comme telle, parce qu’elles sont toutes douées d’agentivité et ont leurs propres buts.

Le mélange entre le Summer of love et le courant hippie avec un texte de science-fiction tient la route, mais on a surtout retenu les apparences plus que la philosophie du mouvement. Disons que l’amour libre prend plus de place que la critique du capitalisme. Ce qui est regrettable par contre, c’est que l’arrière-monde est plus évoqué que développé. On devine les conditions de vie terribles qu’affrontent certains habitants des pays moins fortunés, tandis que d’autres, bien protégés dans leurs tours d’ivoire, tirent les ficelles du monde. C’est cliché, mais ça ne sonne pas faux pour autant.

Une bonne lecture, dont les pages se laissent facilement tourner, malgré quelques faiblesses et incohérences. Je doute par contre que le livre passe à l’histoire, contrairement au Summer of love.

Mariane CAYER

Jean-Guillaume Lanuque (dir.), À l’assaut du ciel, anthologie d’imaginaire communard (SF)

Jean-Guillaume Lanuque (dir.)

À l’assaut du ciel, anthologie d’imaginaire communard

Dijon, La Clef d’argent, 2021, 370 p.

La Commune de Paris est un événement marquant du XIXe siècle : pendant quelques semaines, au printemps 1871, le peuple a pris le contrôle de la ville et a voulu se gouverner par lui-même. Révolte écrasée dans le sang dès la fin de mai, elle a par contre laissé des traces dans l’histoire et dans la psyché collective. Dans ce recueil, publié à l’occasion du 150e anniversaire des événements, des auteurs des genres de l’imaginaire s’amusent avec la Commune, ses deux mois riches en Histoire, ses personnages célèbres, ses élans patriotiques et son inexorable fin que l’on connaît aujourd’hui sous le nom de Semaine sanglante.

Qui dit Anthologie dit forcément que les textes sont inégaux et ce recueil ne fait pas exception. Par contre, on peut saluer les choix faits par Jean-Guillaume Lanuque : toutes les nouvelles explorent la Commune, autant son histoire et ses événements que l’esprit qui l’habitait, soit celle du peuple qui prend le pouvoir pour lui-même. Certains personnages plus célèbres, comme Louise Michel et Auguste Blanqui, reviennent dans plusieurs des textes, mais on y fait des pas de côtés pour retrouver d’autres personnalités qui étaient vivantes à l’époque de la Commune.

Le recueil explore tous les genres de l’imaginaire, même si la science-fiction domine. Ainsi les barricades de la Commune peuvent être autant le décor de voyages temporels que des luttes épiques entre clans de magiciens rivaux. Chaque nouvelle trouve un moyen de se réapproprier un angle inédit de l’histoire, même si leur sujet commun finit par donner une impression de redite à la longue. La plongée dans le XIXe siècle, avec tous ses codes particuliers de classe, est d’ailleurs pleinement assumée par la plupart des auteurs. Leur imagination réinvente chaque fois un aspect de cette sombre page du passé en lui ajoutant des éléments clairement décalés.

Parmi les autres nouvelles qui se démarquent, celle de Maël Garnotel, qui avec « Un crachat rouge et noir » invente un futur où les idéaux de la Commune sont devenus une forme de dictature dans un univers où les rarissimes ressources obligent la plupart des humains restants à passer leur vie en stase, ne sortant que pour des votes pratiquement décidés d’avance. Une autre, celle de Céline Maltère, « Pipistrelle commune », joue avec une touche d’onirisme sur le thème de l’amour entre deux personnes de classes sociales opposées dans le contexte oppressant du siège prussien qui a précédé la Commune, mais aussi au courant de celle-ci.

La très amusante nouvelle « Chapitre 46 » de Pierre Gévart prétend être un chapitre perdu du Voyage au centre de la Terre de Jules Verne, où se mêlent joyeusement quelques personnages issus de l’imaginaire vernien, mais en lançant des perches vers d’autres personnages plus contemporains. Dont un certain M. Spielberg prenant des notes sur des créatures préhistoriques survolant Paris en se disant que l’un de ses descendants y trouverait sans doute l’inspiration un jour…

Seule contribution de notre côté de l’Atlantique, la nouvelle de Jean-Louis Trudel « Les feux du futur » présente le personnage de Simon Newcomb, un astronome plus préoccupé de science que des progrès de l’armée versaillaise. C’est l’une des nouvelles très réussie du recueil, tant par son mélange entre la Commune et les genres de l’imaginaire que par l’angle adopté.

L’héritage de la Commune de Paris de 1871 a marqué les imaginaires et a su triompher de l’oubli malgré son échec. Utiliser la créativité des auteurs pour garder sa mémoire vivante est une idée brillante et le recueil de nouvelles, une bonne façon de se rappeler que l’Histoire aurait pu s’écrire autrement.

Mariane CAYER

Chroniques de l’abîme et autres récits des profondeurs (Fa)

Charles Beauchesne, Pierre Bunk et Simon Predj

Chroniques de l’abîme et autres récits des profondeurs

Montréal, Les éditions de L’Homme, 2022, 272 p.

Simon Predj et Charles Beauchesne sont deux noms associés au mystère et à l’insolite. Le premier réalise le balado Ars Morienti qui se penche sur les meurtres les plus insolites de l’histoire. Il en a d’ailleurs tiré un livre, La Mort en héritage, où il revisite 14 choquantes histoires de meurtres familiaux. De plus, il anime L’Aftershow de Predj sur la chaîne Frisson TV. Son comparse est le créateur du balado Les Pires moments de l’histoire en plus d’être humoriste. Ils joignent ici leurs efforts pour créer une première œuvre de fiction.

Chroniques de l’abîme est un drôle de bouquin. À proprement parler, il s’agit d’un recueil de cinq nouvelles sur le thème de l’abîme. On se rend tour à tour au Québec (dans la ville minière maintenant abandonnée de Gagnon), en Écosse, en Allemagne, à Chicago et en Russie. On navigue d’une époque à l’autre. Chaque fois, des humains découvrent dans les profondeurs des forces qui les dépassent. On plonge à pied joint dans l’horreur cosmique que chérissait Lovecraft.

Ce qui donne un caractère unique à cet ouvrage, c’est qu’on part de faits réels pour créer de la fiction, et que la frontière entre réalité historique et création baigne souvent dans le flou. Pour renforcer ce caractère déstabilisant, de nombreuses capsules documentaires sur des sujets connexes viennent ponctuer les récits : on y traite du docteur Mengele, de la fosse des Mariannes, du magicien John Dee, de la bête du Gévaudan, du labyrinthe du roi Minos, de zombies et bien plus. L’effet en est fascinant.

Une autre grande force du bouquin est sa facture graphique. Les deux auteurs se sont associés à l’illustrateur et bédéiste Pierre Bunk. Ce dernier joue un important rôle dans le succès du recueil en intégrant des illustrations évocatrices à des moments clés. De plus, les transitions entre les récits prennent la forme de bandes dessinées qui ajoutent une couche de mystère à l’ensemble. Bref, un livre beau et intéressant.

Par contre, il a aussi les défauts de ses qualités. Le projet a amené les auteurs à adopter un ton près du reportage même dans le corps des cinq nouvelles principales. Il en résulte un certain manque de profondeur dans le développement des personnages, particulièrement dans les premières histoires. Par exemple, dans « La Mine », qui se déroule à Gagnon, on change régulièrement de point de vue, avec pour conséquence que le lecteur ne peut s’identifier aux personnages et qu’on ne plonge jamais vraiment dans l’émotion. Dans les textes suivants, le point de vue est moins éparpillé, mais on demeure quand même en surface pour ce qui est des émotions. Dommage, car cela empêche de vivre pleinement l’horreur de chaque situation. L’exception est « Les Diablotins du col », le dernier texte du recueil. Ce n’est donc pas un hasard si, à mon sens, c’est la nouvelle la plus aboutie du lot.

La présence des capsules documentaires est à la fois une force et une faiblesse. Puisque ces encarts sont insérés dans le récit, ils coupent la lecture et brisent l’immersion par moments. J’aurais préféré que ces capsules soient intercalées entre les nouvelles.

Cela dit, j’ai beaucoup aimé l’expérience proposée par les auteurs malgré les quelques irritants mentionnés ci-haut.

Pierre-Luc LAFRANCE

Prix Solaris 2022 – communiqué officiel

COMMUNIQUÉ

PRIX SOLARIS 2022

Lévis, le 16 mai 2022 – Le prix SOLARIS 2022 a été attribué à Geneviève Blouin, pour sa nouvelle « La Vie secrète des carapacées ».

Geneviève Blouin est bien connue des lecteurs de Solaris où elle a publié une douzaine de nouvelles en une dizaine d’années. Historienne de formation, ses intérêts variés ont donné naissance à des œuvres dans divers genres littéraires : un polar à venir chez Alire, des romans historiques (la série Hanaken, parue aux éditions du Phœnix et récompensée du prix Canada-Japon) et de nombreuses nouvelles littéraires (notamment dans le recueil Le Chasseur et autres noirceurs paru aux éditions Six Brumes). Des arts martiaux à la broderie, du secrétariat juridique à la direction littéraire pour VLB Imaginaire, de maman banlieusarde à sorcière divorcée, cette écrivaine curieuse de tout se sent parfois bousculée par l’existence, mais tant qu’il y aura des livres, du café et du vin, ça ira.

Les membres du jury ont choisi « La Vie secrète des carapacées », car ils en ont particulièrement apprécié la richesse des personnages ainsi que la réalité mutagène. En effet, l’auteure nous fait découvrir une humanité éloignée de nous où la morphologie devient source d’oppression…

La gagnante se mérite une bourse de 1000 $. Sa nouvelle sera publiée dans SOLARIS 223, à l’été 2022.

Le jury du prix SOLARIS 2022, appelé à délibérer selon un processus de sélection anonyme, était composé de :

Iseult Bacon-Marcaurelle, adjointe aux communications et à la promotion aux éditions Alire,

Jean Pettigrew, directeur éditorial des éditions Alire et éditeur de Solaris, et

Philippe Turgeon, adjoint à l’édition et à la production aux éditions Alire.

Le jury tient à souligner qu’encore une fois cette année, plus de la moitié des nouvelles participantes appartenait à la science-fiction, partagée équitablement entre plumes féminines et masculines. Quelques textes relevaient du fantastique (un sixième), peu de la fantasy, tandis que quelques soumissions se situaient « sur les marges ».

Toute l’équipe de Solaris remercie chaleureusement les participant.e.s et les membres du jury de leur collaboration et prie ses lectrices et lecteurs de bien noter que la date limite de participation pour la prochaine édition est le 20 mars 2023.

Francine Pelletier, coordonnatrice (textes)

fpelletier@revue-solaris.com

Contact médias :

Jonathan Reynolds

(418) 837-2098

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