Chroniques de l’abîme et autres récits des profondeurs (Fa)

Charles Beauchesne, Pierre Bunk et Simon Predj

Chroniques de l’abîme et autres récits des profondeurs

Montréal, Les éditions de L’Homme, 2022, 272 p.

Simon Predj et Charles Beauchesne sont deux noms associés au mystère et à l’insolite. Le premier réalise le balado Ars Morienti qui se penche sur les meurtres les plus insolites de l’histoire. Il en a d’ailleurs tiré un livre, La Mort en héritage, où il revisite 14 choquantes histoires de meurtres familiaux. De plus, il anime L’Aftershow de Predj sur la chaîne Frisson TV. Son comparse est le créateur du balado Les Pires moments de l’histoire en plus d’être humoriste. Ils joignent ici leurs efforts pour créer une première œuvre de fiction.

Chroniques de l’abîme est un drôle de bouquin. À proprement parler, il s’agit d’un recueil de cinq nouvelles sur le thème de l’abîme. On se rend tour à tour au Québec (dans la ville minière maintenant abandonnée de Gagnon), en Écosse, en Allemagne, à Chicago et en Russie. On navigue d’une époque à l’autre. Chaque fois, des humains découvrent dans les profondeurs des forces qui les dépassent. On plonge à pied joint dans l’horreur cosmique que chérissait Lovecraft.

Ce qui donne un caractère unique à cet ouvrage, c’est qu’on part de faits réels pour créer de la fiction, et que la frontière entre réalité historique et création baigne souvent dans le flou. Pour renforcer ce caractère déstabilisant, de nombreuses capsules documentaires sur des sujets connexes viennent ponctuer les récits : on y traite du docteur Mengele, de la fosse des Mariannes, du magicien John Dee, de la bête du Gévaudan, du labyrinthe du roi Minos, de zombies et bien plus. L’effet en est fascinant.

Une autre grande force du bouquin est sa facture graphique. Les deux auteurs se sont associés à l’illustrateur et bédéiste Pierre Bunk. Ce dernier joue un important rôle dans le succès du recueil en intégrant des illustrations évocatrices à des moments clés. De plus, les transitions entre les récits prennent la forme de bandes dessinées qui ajoutent une couche de mystère à l’ensemble. Bref, un livre beau et intéressant.

Par contre, il a aussi les défauts de ses qualités. Le projet a amené les auteurs à adopter un ton près du reportage même dans le corps des cinq nouvelles principales. Il en résulte un certain manque de profondeur dans le développement des personnages, particulièrement dans les premières histoires. Par exemple, dans « La Mine », qui se déroule à Gagnon, on change régulièrement de point de vue, avec pour conséquence que le lecteur ne peut s’identifier aux personnages et qu’on ne plonge jamais vraiment dans l’émotion. Dans les textes suivants, le point de vue est moins éparpillé, mais on demeure quand même en surface pour ce qui est des émotions. Dommage, car cela empêche de vivre pleinement l’horreur de chaque situation. L’exception est « Les Diablotins du col », le dernier texte du recueil. Ce n’est donc pas un hasard si, à mon sens, c’est la nouvelle la plus aboutie du lot.

La présence des capsules documentaires est à la fois une force et une faiblesse. Puisque ces encarts sont insérés dans le récit, ils coupent la lecture et brisent l’immersion par moments. J’aurais préféré que ces capsules soient intercalées entre les nouvelles.

Cela dit, j’ai beaucoup aimé l’expérience proposée par les auteurs malgré les quelques irritants mentionnés ci-haut.

Pierre-Luc LAFRANCE

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