Ariel Kyrou (dir.), Nos futurs solidaires (SF)

Ariel Kyrou (dir.)

Nos Futurs solidaires

Chambéry : ActuSF, (Les Trois Souhaits) 2022, 500 p.

En 2020 ActuSF nous offrait No(s) Futur(s), une anthologie sur le développement durable, basée sur le dernier rapport du GIEC. Dans la même lignée, Nos futurs solidaires propose des textes qui évoquent des sociétés plus ouvertement solidaires qu’aujourd’hui. Comment ? Par le mélange de genres : science-fiction et débats. Utiliser la fiction pour imaginer l’avenir « un peu moins noir » et sortir de la dystopie, offrir d’autres avenues, c’est le pari réussi de cette magnifique anthologie.

Quatorze nouvelles au sommaire dont dix écrites pour la revue Visions Solidaires de la Fondation Cognacq-Jay, moteur d’innovation dans le domaine du soin et de l’aide sociale en France depuis plus de cent ans. Les fictions sont séparées par quatre conversations sur les thèmes de l’altérité, de la solidarité dans les récits, de la société de demain et, pour finir, des utopies solidaires. Ces débats montrent l’impact de la fiction pour imaginer nos sociétés et, pourquoi pas, les changer.

Li Cam ouvre le bal avec une superbe « Map d’Iris », un univers où le handicap social est compensé par la technologie. Dans un éco-bâtiment proche des Coopératives d’habitation québécoises, les familles se partagent les tâches. Même ceux qui ne pensaient pas être utiles à d’autres trouvent leur place. Un univers et des personnages attachants et une fin riche en émotions.

Régis Antoine Jaulin offre avec « L’Affection » un univers où l’empathie s’est répandue partout comme une épidémie, ce qui crée des situations cocasses et touchantes tout à la fois. L’écriture à la première personne nous immerge rapidement dans un monde où l’autre n’est plus tout à fait un étranger. Coup de cœur.

Audrey Pleynet nous propose d’« Entrer en résonance ».Valentina fait partie d’un cercle de solidarité dont les membres doivent se rencontrer périodiquement pour favoriser l’entraide et les échanges entre personnes de milieux différents. Dans ce monde, chacun voit des doubles de soi-même en plus d’interagir avec les autres. Un texte incroyablement fort, autant dans le fond que la forme, qui rappelle de loin Sense8.

Chloé Chevalier nous présente le parcours de six à sept jeunes en service civique social ou militaire obligatoire à la sortie du baccalauréat. Nous suivons « Les Déroutés » sur plusieurs années au fil de leurs échanges alors que leurs vies prennent des cours différents. Attachant.

« L’Enfant de thérapie » de Vincent Borel met l’accent sur nos sociétés inégalitaires et leurs dérives qui privent la majorité de soins de pointe. Pierre Monroe, pilote expérimenté, transporte un trésor médical. De bonnes prémices mais semble inachevée.

« Bootz change de mode », Catherine Dufour met en scène une vedette de la mode en réalité virtuelle qui découvre les bas-fonds de la banlieue parisienne, peuplée de réfugiés climatiques. Choc culturel et style rapide.

Anne-Sophie Devriese rappelle le temps où la vie d’une « Auxi’ »était proche du servage. Les temps ont changé. Témoignage.

« Baobab City » de Philippe Curval. Quand les cinq premiers astronautes terriens mettent le pied sur Acébé, ils ne s’attendent pas à trouver un monde si radicalement différent qu’il va littéralement les changer à jamais. Radicalement dépaysant et une belle illustration de l’altérité.

Dans « Les Vies de Man Pitak »Michael Roch nous entraîne dans un cyber bidonville très original où la magie et le vaudou se mélangent à la technologie numérique. Le souvenir des êtres chers se paie, crée des inégalités que Man Pitak essaie de dépasser en récupérant des données dans le réseau. Coup de cœur pour l’originalité et la force des émotions évoquées.

La jeune Perle écoute les souvenirs de Stéphanie comme nous écouterions un conte des mille et une nuits, fascinée, en y croyant à moitié. En désignant ses possessions, Stéphanie dit à Perle : « Un jour, tout ceci sera à toi ». Douce rêverie d’une femme qui refuse une réalité où tous les biens sont partagés selon les besoins. Ses histoires, c’est ce qui fera véritablement de Perle son héritière. Très beau texte de Léo Henry.

Norbert Merjagnan nous écrit que « De nos corps inveillés viendra la vie éternelle ». Sur fond d’enquête policière dans une société très surveillée qui fouille autant les corps que les esprits, une intrigue touffue et la nouvelle la plus longue du recueil, un peu trop bavarde à mon goût.

« Reliance » de Sabrina Calvo présente un huis clos à l’ambiance sombre. Tirésias est interrogé sur sa guérison miraculeuse et cela prend juste assez de temps à ses gardiens pour réaliser que ce qui l’a guéri s’est infiltré partout. Le monde va changer. Glaçant et efficace.

Léa voit passer une annonce pour animer une communauté « Éligibles », elle fouille et trouve les règles, s’inscrit et cherche des personnes différentes pour faire partie de son groupe. Motivée par la récompense annoncée, elle va découvrir quelque chose qui n’a pas de prix. Texte superbe et magique de Sylvie Lainé.

Ketty Steward clôt le recueil avec l’histoire d’une monade de six personnes, un groupe basé sur les profils MBTI pour valider leur compatibilité. « Six faces d’un même cube » nous plonge au cœur de leurs interactions et pose au passage la question du statut d’une intelligence artificielle dans un futur pas si lointain. Vivant et un des meilleurs textes du recueil.

En conclusion voici une anthologie de grande qualité et vraiment indispensable qui ravive l’envie d’être solidaires sans en cacher les difficultés. C’est un bol d’air et aussi une stimulation pour agir. Merci aux auteurices de proposer enfin des histoires qui donnent à lire et vivre d’autres futurs que la dystopie ambiante : ça fait du bien.

Nathalie FAURE

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