Philippe-Aubert Côté, Le Sculpteur de voeux (Fa)

Philippe-Aubert Côté

Le Sculpteur de vœux

Lévis, Alire (GF) 2020, 647 p.

Lorsque Shinjiro Oni débarque à l’improviste après dix ans passés en prison dans l’Éthermonde, Maxime Gariépy, un tatoueur de Montréal, est ravi de revoir son vieil ami. Par contre, Max ne peut pas se douter que Shinji n’a pas que des retrouvailles en tête. L’oni est en effet plongé dans une machination politique qui le dépasse, mais dont dépend sa liberté. Il n’a donc pas d’autre choix que d’entraîner Max et Oota, leur amie wendigoe, dans une quête aussi folle que dangereuse, dont l’issue pourrait bien décider du sort de l’Éthermonde, mais aussi du nôtre…

Ce résumé succinct est la seule manière de présenter le nouveau roman de Philippe-Aubert Côté, qu’il qualifie lui-même de manga en prose. En effet, l’intrigue fouillée et complexe se développe sur plusieurs périodes et dans de nombreux mondes, dont le Montréal de notre propre réalité.

Après nous avoir offert une œuvre SF forte avec Le Jeu du Démiurge, voici que l’auteur récidive en plongeant dans la fantasy urbaine à la sauce japonaise. Côté prouve ici encore qu’il a une très grande maîtrise de ses univers, en nous offrant un arrière-monde foisonnant, complexe et terriblement réaliste. On veut croire à cet Éthermonde et à la présence de créatures issues des folklores japonais, québécois et autochtone, magnifique métissage culturel qui permet la présence d’innombrables créatures, dont certaines sont ancrées dans notre culture.

L’intrigue est relevée et les enjeux dramatiques se dévoilent peu à peu, alors que le lecteur navigue entre 2008 et 2018, avec un crochet en 1945 et quelques digressions dans les années 2000. Il faut être patient avant de comprendre tout ce qui s’est passé entre Max, Shinji et Oota, ainsi que les impacts sociaux politiques des gestes qu’ils ont posés en 2008 et qui les réunissent de nouveau en 2018. Heureusement, l’auteur maîtrise parfaitement le rythme de son récit et jamais l’intérêt ne faiblit. Au contraire, il y a toujours quelque chose de nouveau à se mettre sous la dent, que ce soit une créature fantasmatique issue des mangas, un lien entre deux événements qui vient éclairer la relation entre certains personnages ou encore des descriptions détaillées de lieux qui défient les limites de l’imagination.

Les personnages sont bien construits et on sent qu’ils habitent réellement le monde mis en place. Que ce soient les protagonistes ou ceux qui ont un rôle moins développé, ils ont tous leur raison d’être, leur histoire personnelle et leurs motivations, ce qui crée une immense tapisserie où les fils s’entremêlent pour dévoiler une image plus grande que l’ensemble de ses parties.

L’attention portée à l’arrière-monde doit absolument être soulignée ; on a l’impression de naviguer dans un jeu vidéo tellement l’immersion est totale. Au départ, on ne comprend pas exactement ce que peut être un « manga en prose », mais au fil de la lecture, les codes se font plus évidents et on plonge tête première dans cet univers d’une grande beauté.

Le seul bémol qu’on pourrait souligner est l’absence, à nos yeux inexplicable, d’un glossaire répertoriant l’ensemble des créatures et des lieux présentés. Les amateurs de la culture nipponne, ainsi que les aficionados du manga ne seront pas dépaysés, mais une porte d’entrée pour le néophyte aurait été appréciée pour lui éviter le risque de se perdre dans la multitude de noms et de concepts évoqués tout au long du roman.

Malgré cela, le plaisir de lecture est au rendez-vous et on s’amuse à plonger dans cet univers coloré, où les Mont­réalais retrouveront de nombreux repères qu’ils connaissent déjà, où qu’ils auront envie de découvrir. D’ailleurs, l’auteur démontre à quel point il a parcouru la ville et qu’il s’en est imprégné tant on a l’impression de déambuler à ses côtés, alors qu’il nous montre l’importance de la culture japonaise dans la métropole.

Le Sculpteur de vœux n’est pas qu’un roman grandiose, c’est probablement l’une des œuvres les plus fortes de l’année 2020 en littératures de l’imaginaire. De son côté, Philippe-Aubert Côté cimente ici sa place au sein des grands noms de la SFFQ. Nous attendons son prochain roman avec une impatience difficilement contenue, ce qui est, en soi, une autre preuve de son talent.

Pierre-Alexandre BONIN

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