Frédérick Durand, Au rendez-vous des courtisans glacés (Fa)

Frédérick Durand

Au rendez-vous des courtisans glacés

Sherbrooke, Les Six Brumes (Brumes de légende), 2015, 218 p.

Érik Rivest, jeune homme de vingt-trois ans, travaille dans un club vidéo de Trois-Rivières. Grand amateur de cinéma, il se passionne particulièrement pour le cinéma underground et les films rares. Un jour, son ami et correspondant montréalais Pierre-Antoine Bouquet lui fait parvenir une copie d’un court-métrage énigmatique : Au rendez-vous des courtisans glacés. À la suite du visionnement avec des amis, Rivest devient obsédé par le film. Lorsqu’il apprend l’existence d’une « version longue », il se rend à Montréal, accompagné de ceux qui ont vu le film avec lui, pour y rencontrer la réalisatrice du film. Ce qu’ils découvriront dépasse leurs attentes les plus folles, et les plongera dans un cauchemar qui les changera à jamais… s’ils y survivent !

D’abord édité aux défuntes éditions de la Veuve Noire en 2004, dans une version tronquée, Au rendez-vous des courtisans glacés vient d’être réédité aux Six Brumes en incluant le chapitre qui avait été coupé lors de la première publication à la demande de l’éditrice. C’est ce qu’on apprend en lisant la pertinente préface de Frédérick Durand. On y découvre également la genèse de cette œuvre particulière, ce qui réjouira les lecteurs qui, comme moi, sont avides de ce genre d’informations de coulisses.

Par souci de transparence, mentionnons tout de suite que je n’ai pas eu l’occasion de lire la mouture 2004 d’Au rendez-vous des courtisans glacés, et je ne serai donc pas en mesure de comparer les deux. Cela étant dit, le texte de 2015 se lit indépendamment et ceux qui sont dans ma situation ne perdront rien au change. Pour les autres, vous pourrez constater l’impact du chapitre ajouté sur la lecture que vous aviez faite de ce roman.

Frédérick Durand est un auteur aux intérêts variés : musique, cinéma, littérature fantastique, poésie, sa pratique artistique touche à ces différentes sphères. Cette curiosité multidisciplinaire se retrouve aussi dans son roman, puisque les références au cinéma et à la musique y sont nombreuses. Il s’agit de l’œuvre la plus troublante de Durand, ce qui n’est pas peu dire compte tenu du nombre de ses écrits, que ce soit des nouvelles ou des romans. Le lecteur est plongé dans une spirale infernale dont il est impossible de s’échapper et d’où on ne ressort pas indemne. Si le récit débute de manière réaliste, avec le quotidien d’Érik Rivest et sa rencontre avec la mystérieuse Patricia, le ton change de manière drastique dans la seconde partie, alors qu’Érik et ses amis se retrouvent à Montréal, pour la projection d’un documentaire sur la réalisatrice du film Au rendez-vous des courtisans glacés.

Durand présente son roman comme un page turner, un livre qu’il est impossible de lâcher avant de l’avoir terminé. De mon côté, si je suis d’accord avec la deuxième affirmation, je trouve qu’Au rendez-vous des courtisans glacés est plutôt un piège savamment construit, dans lequel le lecteur s’enfonce sans s’en rendre compte, jusqu’à ce qu’il soit trop tard. Durand possède une maîtrise du rythme narratif impressionnante et une plume unique. D’ailleurs, le style demeure très recherché, comme dans tous ses romans, ce qui rend l’effet thriller à l’américaine plus difficile à croire. Malgré tout, les personnages sont crédibles, leur psychologie est très bien développée, et on en vient à s’attacher à certains d’entre eux, à notre plus grand désespoir.

On trouve dans Au rendez-vous des courtisans glacés une sensualité exacerbée qui laisse rapidement place à une perversité et à une violence déstabilisante. Pourtant, le même sentiment de voyeurisme un peu coupable nous habite d’un bout à l’autre du récit, ce qui accentue encore l’impression de malaise ressentie à la lecture. Durand est un auteur efficace qui sait doser ses effets. Les descriptions sanglantes sont nombreuses sans tomber dans l’excès, et on frémit d’horreur devant le sort qui attend les personnages moins chanceux. Quant à la chute, elle est juste, et la fin ouverte laisse le lecteur face à ses propres pensées, ce qui a pour effet de décupler l’horreur ressentie tout au long de la lecture, puisqu’il n’y a aucune résolution satisfaisante possible. Chacun est libre d’imaginer une suite à sa convenance, mais tout le monde sait que ça ne peut pas bien se terminer…

En terminant, il convient de féliciter Les Six Brumes pour leur collection Brumes de légende, qui permet à des œuvres incontournables des littératures de l’imaginaire québécoises de connaître une deuxième vie. Et comme Au rendez-vous des courtisans glacés n’a pas connu le retentissement qu’il méritait lors de sa première parution, il obtient ici une seconde chance entièrement méritée.

Pierre-Alexandre BONIN

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