Collectif, Exodes (Hy)

Collectif

Exodes

Montréal, La Maison des viscères, 2012, 298 p.

Après un très bon début avec Agonies, La Maison des viscères récidive en nous servant un spécial « Terroir, Terreur » qui ne pouvait échapper à mon attention en bonne cowgirl et fervente campagnarde que je suis…

Eh bien, Exodes s’est avéré à la hauteur de mes attentes, un mélange charmant de jolis paysages pastoraux, de vieilles légendes, de gore et de faits divers scabreux cachés sous le tapis du salon… Et que dire de la couverture, vibrant hommage au bon vieux temps de la drave !

Le recueil débute avec « Aurore, l’enfant du diable » de Nicholas Handfield. J’avais des hésitations à cause du sujet : les histoires d’enfants battus ne m’attirent pas vraiment et le visionnement du chef-d’œuvre cinématographique de 1952, La Petite Aurore, l’enfant-martyre, coté 7 non sans raison dans le TV Hebdo, m’était resté dans la gorge…

Mais si le début de l’histoire montre bel et bien la marâtre tant haïe s’en prendre à Aurore et son petit frère Léon, le récit prend rapidement une tangente fantastique. Et drôle : l’auteur réussit à nous faire rire (aux éclats, et à plusieurs reprises dans mon cas) grâce à de savoureuses remarques sur le Québec rural. La sexualité du Québec des années vingt, en particulier, passe à la tordeuse… Le monde rural fermé et souvent gardé volontairement dans l’ignorance par nos bons curés d’antan en prend pour son rhume ! Diverses facettes tristes, cruelles ou ridicules de ce dévouement aveugle du peuple envers l’Église et ses représentants assoiffés de contrôle nous sont dévoilées sans complaisance.

Le gore est présent en abondance mais compte tenu du contre-transfert négatif (comme diraient mes profs de psychiatrie) que l’on ressent envers les victimes de la violence relatée, le sang et les cerveaux éclatés passent très bien.

La collusion nous y est présentée comme quasi-constante entre clergé, notables et forces de l’ordre de façon à berner le bon peuple… Ce qui n’est pas sans nous rappeler ce que l’on voit presque tous les soirs au téléjournal. Plus ça change…

À mon sens, « Aurore, l’enfant du diable » est une critique virulente du fameux Bon Vieux Temps. Ce qui ressort de la novella, c’est que finalement, pour les enfants et les faibles de cette glorieuse époque, le Diable et son enfer n’étaient pas pires que la vie sous la coupe des curés ainsi que de la morale écrasante et hypocrite de l’époque. La nouvelle d’Handfield est l’anti-Temps d’une paix, comme le film Séraphin : un homme et son péché était un anti-Belles histoires des pays d’En-Haut !

Un petit bémol : si le ton ironique et noir passe en général très bien, quelques expressions détonnent. Je ne crois pas qu’à cette époque les enfants « rigolaient » ; ils riaient, et encore, pas trop souvent et pas trop fort. Par ailleurs le verbe « gasper » est mal choisi en plus de ne pas exister. Pour ce qui est de la chute, elle est bien présentée, angoissante à souhait (mais bon, j’aurais voulu plus de détails ; on ne m’appelle pas La Belette pour rien).

Pour résumer, « Aurore, l’enfant du Diable », joyeux mélange d’humour noir et d’épouvante, faute de vous réconcilier avec ce fait divers peu glorieux de notre histoire, vous fera passer un excellent moment.

Daniel Sernine, présent dans le milieu depuis un bout de temps fort respectable, nous sert ensuite « Hécate », une novella de fantastique noir d’un tout autre style. Son histoire explore une des plus vieilles peurs de nos ancêtres : le loup en tant que créature surnaturelle et maléfique. Les loups nords-américains avaient beau être moins féroces et effrontés que leurs cousins européens, ils n’en restaient pas moins source de frayeur pour nos aïeux. Ces derniers, en émigrant, avaient transporté avec eux dans leurs bagages tout un lot de légendes sur ces animaux rusés, rois des forêts et des soirs de pleine lune.

« Hécate » nous présente Louis Leroux, un homme récemment arrivé au village de Grandverger où il loue une petite maison en bordure des bois. Il vient « de la ville » pour tenter de fuir le souvenir d’un terrible drame lui causant des cauchemars tenaces. Malheureusement pour lui, il aura aussi à composer avec ses origines troubles et à sa propre nature sombre et impulsive.

Ce texte plaira beaucoup aux amateurs de fantastique classique et romantique (même si le gore n’y laisse pas sa place). Les descriptions de la campagne québécoise du XIXe siècle sont extrêmement bien rendues ; les descriptions poétiques de la nature environnant Grandverger cèdent peu à peu la place à la terreur des nuits où le danger s’embusque derrière le moindre bosquet.

À mesure que l’histoire progresse, les événements étranges se font de plus en plus fréquents et violents autour de Grandverger ; on passe des suites d’un drame amoureux à l’apparition de personnages et d’animaux troublants.

Il est à noter que Grandverger fait partie de l’univers duquel l’auteur a tiré plusieurs romans et nouvelles.

Le récit m’a également plu, servi par l’écriture fine de Daniel Sernine, quoiqu’il faut aimer le rythme lent et les intrigues complexes du fantastique classique (Poe, Maupassant) pour pleinement apprécier « Hécate ». Comme j’ai passé une partie de ma jeunesse à lire ce type d’ouvrages, j’étais en terrain de connaissance à Grandverger ! J’espère juste que nos omniprésents condos ne se rendront pas jusqu’à cet endroit bucolique et rempli de mystères.

Pour finir en beauté, Luc Dagenais nous présente « 514 YIH-OOPI », un texte totalement sauté qui s’est avéré être mon favori. Si le début de l’histoire m’a fait pousser quelques « De kossé ? », j’ai rapidement embarqué dans cette révision quasi-sacrilège de l’histoire de Montréal. Ce texte farfelu à souhait réussit à tenir debout malgré les événements et personnages improbables, dont la représentation de Paul de Chomedey en robot sentimental, entre autres bouffonneries.

Je ne peux trop vous révéler l’intrigue sans vous enlever le plaisir de la surprise… Je m’en abstiendrai donc, vous laissant la joie de découvrir l’animal bizarre que Luc Dagenais nous a pondu. Et si la fin tombe carrément dans le pastiche, on a tellement ri en cours de route qu’on se montre indulgent et qu’on crie bravo ! J’aimerais bien voir l’auteur s’attaquer avec autant d’ardeur et d’humour à d’autres pans de notre histoire nationale.

Je vais juste prévenir les amateurs de baseball qu’ils ne verront plus jamais voir un match de la même façon !

Ces trois novellas sont séparées par de très courtes nouvelles, un peu comme un sorbet entre les plats principaux… Elles sont toutes bien écrites mais ma préférence va vers l’orignal mal disposé de Richard Tremblay et la poule pas de tête d’Ariane Gélinas.

Au final, une bien belle réussite que ce spécial « Terroir, Terreur »…  Un thème aussi grand et noble mérite un second tome !

Valérie BÉDARD

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