Denys Chabot, L’Eldorado dans les glaces (Fa)

Denys Chabot

L’Eldorado dans les glaces

Montréal, Hurtubise-HMH (Bibliothèque québécoise), 1989 (1ère édition 1978), 289 p.

Cette excellente petite collection nous propose régulièrement d’intéressantes découvertes et redécouvertes de textes pertinents à la SF ou au fantastique. Ainsi ce roman de Chabot, paru il y a un peu plus d’une décennie, et qui n’avait pas fait grand bruit dans le milieu. Ce fut pour moi une première lecture, assez intéressante, d’un type d’œuvre fréquemment tenté par les écrivains québécois qui s’aventurent en fantastique, avec des succès très variables.

Ce roman est celui des doubles, des dédoublements et substitutions, un narrateur se substituant à un autre, une réalité à une autre. Thème et procédé classiques j’en conviens. Mais le soin avec lequel Chabot développe ce propos, avec lequel il l’inscrit dans une réalité québécoise très située géographiquement (l’Abitibi) et socialement donne à cette œuvre une présence à laquelle bien d’autres textes québécois ne peuvent même pas prétendre. Le fait même d’inscrire son texte dans un coin peu connu de la majorité des Québécois donne une dimension d’irréalité, paradoxalement très « réaliste » et contemporaine, puisque cette région du Québec est de développement récent ; un territoire qui garderait encore la mémoire de sa virginité, tout en ayant surtout des traces de modernité. Le poids du lieu est un des éléments dominants de ce roman et le texte n’a jamais plus de force que lorsqu’il prend pleinement possession de cette thématique, que ce soit par le territoire abitibien tout entier ou par le mystérieux domaine de Châteaupierre, figuration matérialisée du secret qui parcourt les récits rapportés ici. Toutefois, l’auteur n’a pas réussi la même intégration dans les épisodes situés à Boston, une ville qui aurait pourtant autorisé autant de développements thématiques que l’Abitibi, peut-être comme miroir de cette région nordique.

Œuvre des fausses apparences et faux-semblants, le roman n’est pas toujours explicitement fantastique et certaines séquences plus réalistes pourront faire piaffer d’impatience les amateurs de fantastique « pur et dur ». Pourtant, leur présence renforce d’autant l’effet des récits fantastiques, qui en viennent même à contaminer les passages réalistes.

Notons aussi quelques problèmes avec l’écriture, des décrochages stylistiques, des passages où la préciosité du style tombe dans le maniérisme, ainsi que détonnantes maladresses syntaxiques. Loin d’une œuvre parfaite, L’Eldorado dans les glaces méritait pourtant amplement d’être remise à la disposition des lecteurs québécois et peut-être trouvera-t-elle cette fois une place plus juste dans le palmarès de la littérature québécoise fantastique. Cette nouvelle édition contient une préface d’Élisabeth Vonarburg.

Luc POMERLEAU

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