Collectif, En une ville ouverte (Hy)

Collectif

En une ville ouverte

Québec, Atelier du Gué/L’instant même, 1990, 199 p.

Il y a longtemps, bien longtemps que je voulais aller dans cette ville. C’est une grande ville pleine d’animation, plusieurs milliers d’hommes l’habitent, n’importe quel étranger y est admis.

C’est par ce passage tiré des Récits et fragments narratifs de Kafka que débutent chacun des textes ici rassemblés et que s’amorce le rêve. Ce recueil reproduit dix nouvelles, sélectionnées parmi les plus de trois cent textes soumis au deuxième concours organisé par l’Office Franco-Québécois pour la Jeunesse.

Dans un tel contexte, il est facile au prime abord de craindre le pire, i. e. des récits au style primaire et aux idées éculées. Or, après une première lecture de ce recueil, force est d’admettre que ce concours a trouvé son air d’aller puisque les textes qui nous sont offerts sont d’une qualité telle que l’on regrette de d’en avoir que dix à se mettre sous la dent.

Gilles Archambault, dans son introduction, formule le souhait que la nouvelle en tant que forme littéraire atteigne un jour la pleine reconnaissance qui lui est due. Il ironise même qu’après la dernière page tournée le lecteur envoûté trouvera désormais insupportables les « ouvrages boursouflés » qui mondent le milieu littéraire depuis quelques années. 199 pages plus tard, je dois reconnaître que cette remarque n’est pas si loin de la vérité. J’ai toujours eu personnellement un faible pour les textes courts, qui avec concision réussissent à communiquer à leurs lecteurs une foule d’histoires et d’émotions dont l’intensité et la complexité n’ont rien à envier aux romans de 300 pages.

Le recueil débute par la nouvelle primée en 1989 : « Les Aventures statuaires d’Eugène Pelletan » de Paul Basquiast, participant d’origine française. Il s’agit d’un texte à saveur historique relatant les mésaventures d’un homme politique réincarné dans sa statue de bronze : Eugène Pelletan, ministre français de la deuxième moitié du XIXe siècle et acteur important lors de l’établissement de la nouvelle République en 1871.

Raconté du point de vue du défunt, Pelletan, tout à fait ravi de se voir statufié à Royan, au bord de la mer, le texte est empreint d’un curieux lyrisme qui lui confère un charme peu commun, presque unique, oserais-je même dire. Les années nous sont décrites à travers les « yeux » de cette statue, fondue en canon au moment de la Première Guerre mondiale, puis remodelée en hommage au soldat inconnu pendant l’entre-deux guerres, avant d’être détruite par un obus égaré en 1940. Il s’agit vraiment d’un récit savoureux, dont le style sert parfaitement le propos et qui reste en tête bien après le livre refermé.

Le second texte, « Quand le cristal creuse ton ombre » annonce un sérieux changement de ton, qui marque d’ailleurs le reste du recueil. En effet, là où les périples d’Eugène Pelletan révélaient malgré tout une certaine désinvolture et joie de « vivre », les récits qui suivent s’inscrivent dans une veine décidément plus introspective, qui confond malheureusement parfois lourdeur de style et profondeur de réflexion.

Néanmoins le plaisir du lecteur reste intact, particulièrement lorsqu’on est confronté à une nouvelle aussi originale et réussie que « La Grande Faim dans les arbres » de Jean-Pierre Cannet. À mi-chemin entre le récit initiatique classique et le fantastique moderne, son atmosphère rappelle par moment les univers dévastés d’un Gene Wolfe ou d’un Jack Vance. Amateurs de fantastique, vous adorerez, j’en suis sûr !

Quelques textes plus près de la « littérature générale » méritent également d’être mentionnés, puisque sinon leur propos du moins leur traitement les rapproche beaucoup du type de science-fiction et de fantastique qu’on trouve aujourd’hui dans des publications comme Isaac Asimov’s Science Fiction Magazine, particulièrement depuis l’arrivée de Gardner Dozois à la direction littéraire.

Ainsi « Rendez-vous » de Martine Sousse, « La Timbale » d’Olivier Rosée, et « L’Initiation » de Suzanne Gagné sont des récits intimistes qui aspirent tranquillement le lecteur dans l’univers fortement onirique de leurs personnages, à la dérive dans un monde hostile et violent. Jean-Paul Beaumier, quant à lui, contribue avec « Avant de partir » un texte correct, mais d’une qualité inférieure à celle que l’on trouvait dans son récent recueil L’Air libre. Finalement, Anne Dandurand replonge dans l’univers sordide qu’elle avait si bien décrit dans L’Assassin de l’intérieur. Cette fois-ci, le charme n’a pas opéré et j’ai dû me contenter d’une banale histoire de psychopathe comme il n’y en a déjà eu que trop. Un changement de thème serait certainement bénéfique à l’auteure. Comme pour Jean-Paul Beaumier, il est toujours décevant de lire un texte ordinaire d’un écrivain qui nous a habitués à l’excellence.

En une ville ouverte est donc dans son ensemble un recueil de qualité supérieure, et si parfois la prose s’y fait quelque peu étouffante et inutilement obscure (comme dans « Le Silence, là, tout près » de Danielle Dussault et « Ce que dit la bouche d’ombre » de Pierre-Yves Cachard), il y souffle généralement un vent de fraîcheur qui annonce l’arrivée de nouveaux talents à surveiller. Vivement l’an prochain pour la cuvée 1990 !

Jean-Philippe GERVAIS

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