Suzanne Martel, Un orchestre dans l’espace (SF)

Suzanne Martel

Un orchestre dans l’espace

Montréal, du Méridien, 1985, 284 p.

Des enfants musiciens, membres de l’orchestre « Cinq Coeurs et Quart », sont envoyés sur la planète Vania comme ambassadeurs culturels. Mais leurs parents sont militaire, diplomate ou scientifique, et la tournée de concerts des jeunes n’est qu’un prétexte. Il leur faut recueillir des données sur l’environnement de la Planète Sèche, rapporter des échantillons d’un minerai d’importance stratégique et d’une précieuse plante médicinale.

Si Surréal 3000 a eu un succès mérité en 1963, il faut aujourd’hui déplorer que Suzanne Martel continue de publier des romans surannés (romans d’« anticipation », le terme est parlant). Un orchestre dans l’espace aurait pu être écrit dans les années soixante et l’on ne verrait aucune différence. Tout y est désuet. En commençant par cet orchestre qui remet au goût du jour, en 2287, les chansons de la mi-vingtième siècle, mêlant allègrement « Yellow Submarine », « Mon pays c’est l’hiver » et « À la claire fontaine » avec des « yodels » tyroliens. Désuette aussi la panoplie d’une anticipation dépassée : la Terre, gouvernée par les Nations Unies Terriennes, a ses colonies : en ville on se déplace en « trottoir roulant » ; on a recours à un « rayon » tout-usage ; dans l’espace on voyage en « fusée ». Jusqu’aux noms des personnages, Armour Milon, Mélanie Milon, Anicette Milon, qui ont petit goût du terroir.

Parmi les personnages, on retrouve le militaire glacial mais admiré (les personnages militaires : une constante chez cette auteure), le traditionnel gros garçon gourmand et gaffeur, ainsi que l’habituel raseur sentencieux qui agonit ses camarades de proverbes et de dictons. Même l’esthétique de Vania, tout en couleurs criardes et en formes élémentaires, a quelque chose de primitif (mais là, on subit peut-être l’effet rébarbatif de l’illustration de couverture, un nadir de l’art naïf en couleurs primaires). Ajoutons à cela d’étonnantes distractions de la part du correcteur d’épreuves.

Il est regrettable que tant de défauts viennent gâcher un scénario en soi excellent : une fois surmonté le « placotage » des quinze premiers chapitres, on arrive enfin à des scènes d’action vers la moitié du roman. La nécessaire mise en place des enjeux et du monde nouveau ne justifie pas entièrement la lenteur de la première moitié, et il y a hélas des rechutes de ce constant bavardage qui se veut humoristique.

Car enfin, l’intrigue est bien ficelée, le complot contre la famille royale a des ramifications dans le passé de la planète, les missions individuelles des jeunes musiciens amènent de bons rebondissements, le groupe se divise vers le dernier tiers pour vivre diverses péripéties qui mènent séparément au dénouement, avec identités révélées et traîtres démasqués. Seule faiblesse du scénario, ces buttes pyramidales qui dissimulent les sources d’eau perdues et dont l’auteure n’explique ni l’origine ni le fonctionnement – dans un décor pourtant décrit et visité à souhait.

Les valeurs véhiculées par le texte, quoique parfois poussiéreuses, ne manquent pas de pertinence en général : franchise, réserve et respect d’autrui, générosité et mansuétude, voilà les leçons discrètes des Vaniens, sages par nature et presque muets par choix.

Élagué du tiers, et rafraîchi par une auteure qui se serait mise au courant de la SF des vingt dernières années, Un orchestre dans l’espace aurait fait un bon roman.

Alain LORTIE

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