Collectif, Le Relais abitibien (Fa)

Claude Boisvert, Denys Chabot, Jean Ferguson, Raymond Godard, Margot Lemire, Daniel Saint-Germain

Le Relais abitibien

Val-d’Or, Meera, 1987, 111 p.

Un quidam commence un texte, produit quelques paragraphes ou quelques pages, voire même un chapitre ; puis un second individu enchaîne tout en cherchant à respecter les éléments de base de la première lancée. Un tiers s’ajoute et reprend l’écriture là où elle a été laissée, et ainsi de suite tant qu’il y aura des équipiers… ou matière à poursuivre. C’est là l’idée générale de ce jeu littéraire appelé « fil d’Ariane ».

Évidemment, les règles peuvent varier selon les choix préalables des participants et participantes. Précisons également que la formule, dans sa pratique, n’est pas aussi aisée qu’elle en a l’air. Pour l’avoir pratiquée à quelques reprises lors d’ateliers, je puis affirmer qu’elle conduit… généralement à un échec. En fait, les probabilités d’en arriver à un cul-de-sac semblent proportionnelles au nombre d’intervenants et d’intervenantes.

En Abitibi, ils étaient six écrivains, à tenter l’aventure : créer un roman en douze semaines, chacun, chacune, revenant au bout de six semaines pour un second tour d’écriture. D’où les douze chapitres officiels du roman.

La facture du livre révèle les défauts et les problèmes en apparence inhérents à ce type de projet communautaire. Pas ou peu d’uniformité dans le style, intrigues décousues, farfelues ou burlesques, interventions personnelles d’auteurs en dehors de la trame narrative initiale, redondance d’expressions employées par les « arianistes » précédents – qui visent à soutenir l’unité mais qui masquent mal la sécheresse de certains imaginaires –, distorsions ou contradictions dans les portraits des protagonistes, utilisation fréquente de clichés, glissades vers d’autres niveaux d’atmosphère, toutes tares qui mènent à l’abandon du mouvement premier de l’action – et encore faut-il que ce prémisse existe !

Pourtant, Denys Chabot, dans un style nerveux et alerte, installe bien ses personnages David et Rachel et sait créer le climat qui campe l’intrigue dans un cadre de fantastique. C’est un début très prometteur.

Mais dès le deuxième chapitre, la relève dérive. L’écriture de Margot Lemire n’a pas du tout le même rythme et l’auréole de mystère laissée en plan par Chabot s’épaissit considérablement. L’ambiance dramatique glisse alors sur un fond d’érotisme par l’ajout au décor d’une femme lascive : Désir.

Jean Ferguson tente ensuite de redresser le récit un moment en reprenant l’intrigue autour de Rachel. Mais l’histoire tangue à nouveau à cause de la présence de Désir et les chapitres (et les auteurs) suivants seront toujours lestés irrémédiablement par cette invention de Lemire. L’équipage du Relais abitibien n’arrive pas à maintenir sérieusement le récit à flot et les coups de barre des divers nautonniers menacent coque et voilures. Le navire littéraire, emporté dans les maelstroms délirants des écrivains, passe souvent près de sombrer ou de s’échouer.

C’est Claude Boisvert qui termine le périple et ramène le vaisseau au port. Il réussit à donner une certaine unité au douze chapitres malmenés, grâce à un épilogue qui rend l’ensemble des douze interventions plus plausible. L’esquif est sauf et on peut prétendre à la réussite.

« (C)e qui devait, au départ, ne constituer qu’un « exercice de style », nous est apparu comme une extraordinaire aventure » (p. 8) à partager, nous raconte le même auteur dans la présentation générale de l’œuvre collective. Le même propos sera soutenu avec enthousiasme par Daniel Saint-Germain lors d’un contact téléphonique récent.

Cependant, un extrait du « journal de bord » de l’un des charrons, Raymond Godard, donne à croire que l’équipée commune fut inexistante et les rapports entre membres pas toujours roses. « Le relais abitibien se courait seul ! (…) Chacun rédigeait son chapitre avant son temps, en se gaussant d’autrui, recherchant la palme pour lui-même » (pp. 81-82). Et l’insert se continue avec quelques autres détails.

Cet individualisme d’auteur apparaît presque comme une constante du « fil d’Ariane ». La dénonciation ne surprend pas beaucoup car, s’il n’y a pas de vedettes, il y a souvent de mauvais lecteurs dans ces jeux.

Quoi qu’il en soit, le public risque de trouver Le Relais abitibien fort touffu. Il lui faudra comprendre qu’il n’existe en réalité que trois personnages dans ce roman : un David professeur-comédien-assassin-dormeur, prisonnier d’un rêveur-char-dévot-groupe de pleureuses avec une Rachel-Désir-Hortense-Lucie. C’est beaucoup de métamorphoses, on en conviendra.

Les rebondissements de l’action, explique un « arianiste », servent à réveiller le dormeur qui les lie tous dans son cauchemar. Le réveilleraient-ils qu’ils disparaîtraient,

par enchantement pour reprendre vie la nuit suivante dans des personnages différents évoluant dans de nouvelles situations. À moins que le même rêve ne se répète, avec des variantes plus ou moins grandes. (p. 78)

C’est grâce à ce passage de Saint-Germain, nous semble-t-il, que Boisvert réussira à boucler le récit, à lui procurer une cohérence perdue par les dérapages précédents et à maintenir jusqu’à la fin le cadre fantastique qui lui a été assigné par Denys Chabot.

Il faut prendre Le Relais abitibien pour ce qu’il est initialement, soit une expérience d’écriture relativement collective, un premier jet à analyser tel quel, avec ses faiblesses et son potentiel. Discussions de groupe et réécritures auraient sans doute assobri le texte et l’œuvre n’en aurait été que plus satisfaisante. Mais l’éditeur a fait un autre choix. C’est là un témoignage littéraire et on peut se réjouir qu’il s’agisse de fantastique, à tout le moins.

Georges-Henri CLOUTIER

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