Denys Gagnon, Haute et Profonde la nuit (Hy)

Haute et Profonde la nuit (Denys Gagnon)

Ce livre de Denys Gagnon constitue une curiosité dans la littérature fantastique au Québec. Voilà une oeuvre qui ne se rattache à aucun courant tant son lyrisme poétique et ses références culturelles à des mythes anciens sont singuliers dans la production québécoise. Le recueil de Denys Gagnon compte sept récits poétiques écrits en prose, ce que l’auteur appelle des « sorcelleries lyriques ».

Au premier chef, c’est la langue utilisée par Gagnon qui nous étonne. Il emploie des mots rares ou tombés en désuétude qui recréent l’atmosphère de l’époque moyenâgeuse qui sert de cadre à ses contes fantastiques. Le style contribue également à cet effet car Gagnon utilise très souvent l’inversion et des tournures de phrases tarabiscotées qui rappellent le classicisme des alexandrins des tragédies de Racine. Cette écriture extrêmement travaillée finit par agacer car elle rend difficile la lecture et brouille en plusieurs occasions la compréhension du récit. Les personnages parlent une langue qui paraît bien affectée à un lecteur du XXe siècle.

Le fantastique fait son entrée dans le recueil avec le second récit, « La Belle et la Bête ». L’auteur brode une variation sur ce mythe universel, ce qui donne du fantastique très romantique. La Bête est amoureuse de la Belle qu’il a enlevée et qui vit dans son château. Comme le vampire, la Bête est une créature de nuit. Chaque soir, elle demande à la Belle si elle veut devenir son épouse. Chaque soir, la Belle refuse car elle est amoureuse d’un jeune homme pétrifié comme une pierre dans une chambre du château. C’est le frère de la Bête.

Ce drame sentimental, qui s’enrichit d’une résonnance sociale, constitue le meilleur récit du recueil même si on peut déplorer le caractère hiératique des personnages et la lenteur du rythme dû en grande partie au lyrisme exacerbé de l’ensemble.

Haute et Profonde la nuit a pour thème principal l’amour impossible, l’amour contrarié, auquel l’écrivain associe d’emblée la nuit. Cela justifie peut-être la nouvelle qui donne son titre au recueil car à part cela, elle n’a pas de rapport évident avec les autres contes, si ce n’est cette conception primitive du sacré.

La préciosité de cette écriture qui recherche les expressions anciennes et les tournures de phrases vieillottes, ajoutées au passéisme de l’inspiration, m’incite à conclure que Denys Gagnon se complaît dans la littérature décadente. Le sujet en soi n’est pas banal mais le traitement que l’auteur en fait est complètement déphasé et présente l’inconvénient de s’appuyer sur un réseau de références culturelles que tout le monde ne possède pas. Il faudrait connaître parfaitement les mythes et les archétypes (Narcisse, Don Juan, Phèdre) dont il est question pour mieux apprécier, sans doute, le travail de Denys Gagnon. Pour exégètes seulement.

Haute et Profonde la nuit, par Denys Gagnon, Verdun, Éditions E.I.P., 1982, 139 p. Recueil.

Claude JANELLE

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