Claude Leclerc, Le Maître des ténèbres (Fa)

Un fantastique étouffé par la tradition

En fantastique, comme en science-fiction, les collections se développent au Québec. Ainsi, il y a quelques mois, Desclez lançait une nouvelle collection de fantastique: Nuits d’encre. J’ai parlé, dans le dernier numéro de Solaris, du deuxième titre de cette collection, le recueil de nouvelles de Toufik, intitulé Les Collines de l’épouvante. Le premier titre, comme c’est souvent le cas d’une nouvelle collection, est l’oeuvre de son directeur littéraire.

Mais avant d’aborder Le Maître des ténèbres de Claude Leclerc, je me permets de reproduire le texte liminaire de l’éditeur qui salue cette nouvelle collection, car il en dégage les objectifs:

La naissance d’une collection est fascinante dans la mesure où elle permet de faire connaître de nouveaux auteurs et de promouvoir la vision personnelle qu’ils ont de notre environnement et des tendances qui s’en dégagent. En ce sens, la collection Nuits d’encre est intéressante à plusieurs points de vue puisqu’elle offre aux lecteurs une forme de littérature qui, bien que n’étant guère répandue au Québec, forme dans le subconscient collectif un élément bien réel le fantastique.

Le recueil de sept nouvelles de Claude Leclerc ne répond que partiellement à ces objectifs. Certes, Claude Leclerc est un nouvel auteur; il n’a aucun autre livre à son crédit, du moins à ma connaissance. Quant à sa vision personnelle du réel, il lui reste à en faire la preuve, son premier recueil étant loin d’y parvenir. En fait, le fantastique de Claude Leclerc est classique, sans surprise. Il n’est pas habité par une personnalité d’écrivain qui chercherait à réinventer un tant soit peu le genre.

Au contraire, Leclerc tente d’assumer la lourde tradition du fantastique du XIXe siècle, comme cela est manifeste dans la nouvelle qui donne son titre au recueil. Le constat qui s’impose, c’est que l’auteur est finalement écrasé par cet héritage littéraire. Une autre faiblesse majeure de ce recueil est d’avoir centré toutes les nouvelles autour du thème de la mort. C’est d’ailleurs une des limites propres au genre fantastique à mon avis, et plus particulièrement le fantastique traditionnel que pratique Leclerc, d’être dépendant d’un thème auquel tous les autres thèmes sont subordonnés. Car, en effet, quel est l’enjeu de l’aventure ou de l’expérience que vit le personnage dans un texte fantastique, sinon la survie sinon la lutte contre la mort?

Le sujet du fantastique traditionnel comme genre littéraire étant toujours le même, il faut que l’écrivain dispose de toutes les ressources de l’écriture pour espérer être en mesure de jouer les différentes variantes d’un même motif musical sans perdre l’intérêt du lecteur. Le Maître des ténèbres souligne crûment les limites de l’auteur et du type de fantastique qu’il pratique. Cette tendance est dépassée aujourd’hui, à mon avis, car elle n’est plus crédible.

L’avenir du fantastique québécois me semble résider plutôt dans un roman comme La Saga des Lagacé d’André Vanasse, dans un fantastique baroque dont l’efficacité ne repose pas uniquement sur l’angoisse ou la peur. Ce fantastique peut même être désopilant et joyeux comme l’a montré Vanasse. Il est plus d’inspiration littéraire que métaphysique.

Le thème écrasant de la mort chez Leclerc est d’autant plus accablant qu’il fait toujours appel à la même image de l’au-delà, à la même représentation de ce qui survient après la mort. L’âme se détache évidemment du corps et elle gravit un second palier où elle peut recommencer une autre vie avec un autre corps. Dans Le Dernier Voyage de Mira et Marki qui explique brièvement cette représentation de l’après-vie, Mira commet l’erreur de vouloir réintégrer ce corps dont elle gardait un si bon souvenir. Dans L’Odyssée d’Albertine Miranda, l’auteur exploite cette même idée. Elle avait sans doute récupéré l’hergie qu’elle avait prêtée à Mimi et ce transfert s’était matérialisé par ce cri de victoire se mêlant à celui de la souffrance de passer d’un palier à l’autre, (p. 71).

Dans la théorie de Leclerc, la mort spirituelle du corps ne coïncide pas avec la mort biologique. Elle survient quelques jours après. L’intérêt de cette nouvelle réside avant tout dans le point de vue. Au début, le lecteur croit que les pensionnaires de cette institution sont des vieillards qui attendent stoïquement la mort. Marie meurt. C’est bien normal, elle a fait son temps. Puis, on se rend compte que les pensionnaires sont des jeunes filles de moins de vingt ans et que cet hospice est une véritable maison des morts. L’héroïne, Albertine, et son amie Mimi, qui possède des dons métapsychiques, réussiront à s’enfuir de cette maison. La mort a été vaincue et l’odyssée irréelle à laquelle se préparent les deux jeunes filles constitue une forme d’éternité sans doute.

C’est cette même quête de l’au-delà, ce besoin d’aller voir ailleurs, d’aller découvrir une autre dimension qui dicte le cheminement du personnage central de Journal d’un mutant. La mutation de cet homme le conduit vers le vampirisme, croyons-nous au début, thème classique dans le fantastique. Le héros ne peut plus supporter la lumière du jour; il préfère sa viande rouge saignante maintenant. Bref, il se transforme en vampire. Mais non ! La régression du personnage le conduit au dépouillement complet. Il a rompu avec l’espèce humaine. Il ne parle plus, il ne mange plus, ne s’habille plus. Il n’éprouve plus aucun besoin et son corps lui est devenu étranger. Il n’aspire plus qu’à être un esprit détaché de sa gangue matérielle Cette nouvelle présente, en somme, le témoignage d’une expérience d’ascétisme poussée à l’extrême. Que Saint Jérôme aille se rhabiller.

Quant au Maître des ténèbres, la plus longue nouvelle du recueil, elle met en scène tout le rituel connu des messes noires, des sacrifices humains, des malédictions familiales. Les puissances du Mal mènent le bal dans cette nouvelle qui s’apparente aux récits d’exorcisme, de démonisme et d’Antéchrist. Cette tendance n’est finalement qu’une version contemporaine du fantastique religieux du XIXe siècle, avec ses loups-garous, ses lycanthropes et ses suppôts de Satan.

Le personnage principal, Pierre Blanchard, est le seul héritier de la famille Blanchard. Son oncle Charles A. vient de mourir et sa fortune lui est acquise à condition qu’il remplisse la dernière volonté du testateur. La fidèle servante de son oncle, Marie, lui apprend qu’il doit succéder à Charles comme disciple du Maître des Ténèbres. Les principes moraux de Pierre le lui interdisent. La malédiction frappera finalement celui qui est le plus attiré par la fortune du défunt. La cupidité est punie, conformément aux principes fondamentaux du catholicisme.

Au fond, Satan, le Diable ou le Maître des Ténèbres –appelez-le comme vous voulez! n’est-il pas le premier propagateur de la doctrine du Christ ? Mais Claude Leclerc ne renvoie pas dos à dos Dieu et Satan, car il est encore rempli de respect et d’admiration devant un genre qui exprimait sans doute les angoisses collectives d’une certaine époque mais qui, aujourd’hui, ne correspond plus aux interrogations de l’être humain, du moins dans la forme que Leclerc nous le présente.

Il est dangereux de perpétuer une tendance passéiste à l’intérieur d’un genre littéraire donné, car c’est tout le genre qui en souffre. Mais peut-être Claude Leclerc n’avait-il pas les moyens nécessaires, compte tenu de la pauvreté de son imaginaire et de son écriture platement descriptive, de renouveler ne serait-ce qu’un aspect du fantastique du siècle dernier Ce n’est pas en remplaçant la charrette et les chevaux par l’auto qu’on actualise un genre, que diable !

Claude JANELLE

Claude Leclerc

Le Maître des ténèbres

Montréal, Desclez (Nuits d’Encre, No. 1), 1981, 114 p.

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