Louis-Philippe Hébert, Manuscrit trouvé dans une valise (Hy)

Petits films fantastiques…

Je m’étais pourtant promis de ne plus jamais lire un livre de Louis-Philippe Hébert. Et me voici faisant la critique de Manuscrit trouvé dans une valise, son plus récent recueil de nouvelles fantastiques. Je me suis laissé tenter par la critique élogieuse, par le besoin de donner une seconde chance à celui que j’avais durement jugé, à l’époque de Récits des temps ordinaires.

L’auteur a évolué et j’ai moi-même évolué sans doute, puisque la répulsion que j’ai ressentie à l’endroit du dernier livre d’Hébert a été moins forte que pour le précédent recueil. Mais ce n’est pas l’adhésion totale, loin de là, et aujourd’hui, je ne sais pas encore si je continuerai de fréquenter l’œuvre de cet écrivain singulier qui compte déjà une dizaine de recueils de prose, de récits, de poèmes ou de nouvelles. J’ai plusieurs griefs à formuler sur le fantastique pratiqué par Louis-Philippe Hébert.

Pour créer un climat fantastique, l’auteur décrit des machines insolites que le lecteur a peine à imaginer malgré la profusion des détails fournis. Il en est de même des situations difficilement concevables qui n’éveillent aucune émotion chez les protagonistes, aucun sentiment humain. On dirait que le fantastique d’Hébert s’exerce sur la cybernétique, sur le quotidien de personnages qui ne sont pas des êtres humains, mais des robots. Le lecteur lit tout cela d’un air détaché, sans se sentir le moindrement concerné. Tout est décrit de façon froide, rationnelle, sans passion.

Louis-Philippe Hébert a poussé encore plus loin (trop loin peut-être) la relation humains-machine qui existait en partie dans 2001, odyssée de l’espace de Stanley Kubrick. On se rappelle qu’à un certain moment, l’ordinateur se révolte contre les astronautes du vaisseau. Cette insubordination engendre une tension dramatique intense, malgré l’invraisemblance fondamentale de la situation, parce que les astronautes sont présentés comme des humains ordinaires. Or, chez Hébert, cette relation personnage-technologie n’est jamais source d’émotions et de sentiments, parce que les personnages sont vidés de toute substance humaine et ne sont plus que des robots ou des androïdes. Il est difficile de s’émouvoir des malheurs d’un robot victime de la technologie qui l’a créé.

Le tort de l’auteur fut peut-être d’appliquer sans discernement, à toutes les composantes du récit, les techniques et artifices du cinéma. Les personnages que l’on voit sur l’écran ne sont que l’enveloppe d’êtres humains, après tout, s’est dit l’auteur Mais en donnant la même consistance à ses personnages, Hébert a oublié que les « enveloppes humaines » qui s’agitent sur l’écran de cinéma, dans les salles obscures, véhiculent des émotions, des sentiments et des réflexions, ce qui les rend crédibles.

Quant aux autres applications de la technique cinématographique, elles sont intéressantes et originales. Par exemple, l’auteur imagine un court récit à partir de chacun des procédés suivants : le zoom in, le zoom out, le ralenti, la marche arrière, la surimpression.

Tout ce qui fait partie de la quincaillerie du cinéma (éclairage, maquillage, doublure, projecteurs, etc.) fait aussi l’objet d’une courte nouvelle fantastique, dont certaines sont brillantes. Et le recueil se termine sur une note d’humour, avec le fameux happy end.

En soi, ces techniques de cinéma ne recèlent aucune possibilité fantastique, mais c’est en les utilisant dans un récit littéraire qu’elles acquièrent cette valeur Louis-Philippe Hébert subvertit ainsi les règles de la réalité et en arrive à créer un fantastique qui tient surtout de l’insolite et de l’irréalité. Un des meilleurs exemples se trouve dans cette nouvelle intitulée « Poutrelles d’acier ». L’auteur y exploite le procédé de la marche arrière. Imaginez un film illustrant un incendie. Puis, projetez-le en commençant par la fin. L’effet est assez singulier n’est-ce pas ? Il se trouve que les flammes, contrairement à la réalité, ne ravagent plus l’édifice mais constituent plutôt les agents de sa construction. Pour respecter la logique de ce système, les syndicats se battent pour des diminutions de salaires des employés. Voilà ce que raconte en trois pages cette nouvelle d’Hébert, de façon saisissante, sans ce handicap de l’absence d’émotion.

En fait, pour tout dire, le fantastique d’Hébert est foncièrement cérébral, intellectuel, par opposition, par exemple à celui de Michel Bélil qui vient des tripes et qui table sur les angoisses des êtres humains. Une autre nouvelle intéressante, « La Pelure », s’élabore sur le thème du maquillage et débouche dans la nouvelle suivante, « La Pratique de l’autolobotomie » sur le thème de la doublure au cinéma. Les deux récits mettent en scène des personnages victimes d’une maladie de l’épiderme qui prend l’ampleur d’une épidémie. Chaque jour, les patients doivent se débarrasse d’une enveloppe de peau très mince que produit leur organisme, sinon ils vont devenir trop à l’étroit dans leur univers environnant. Voilà une belle réussite dans le genre fantastique à partir d’une idée de base très mince.

Moins heureuses, à mon avis, sont les nouvelles qui reposent sur la description d’univers tronqués, parallèles ou qui s’emboîtent les uns dans les autres comme des poupées russes. Je pense à « Si vous saviez », « La Suite », Le Jardin des oiseaux suspendus ». La description demeure aussi détaillée, la cohérence du récit semble sans faille (encore qu’il soit difficile d’imaginer ces constructions, tant elles sont complexes) mais on a l’impression de regarder un beau décor, statique par définition, qui gagnerait à être animé par des personnages moins discrets.

On ne peut que souscrire, en même temps, aux paroles de l’auteur qui dit : « Nous lisons mais nous ne savons rien. Vous voyez comme cette technique est efficace ? Pourtant elle n’est pas uniquement mensongère. C’est une tromperie, d’accord, mais elle contient sa part de réalité » (p. 83) Je crois qu’il faut toujours garder cette réflexion en tête pendant la lecture du recueil d’Hébert, parce qu’elle constitue une clef pour la compréhension de chacun des récits. De même, on ne soulignera jamais assez l’importance et l’influence du cinéma dans ce recueil, puisqu’il est à la base de l’organisation du récit et de sa compréhension globale. Jamais littérature et cinéma n’auront été associés dans une telle symbiose. Neige noire d’Hubert Aquin et Prochainement sur cet écran de Pierre Turgeon n’avaient pas expérimenté aussi loin cette association.

Le meilleur conseil que je puisse donner au lecteur, c’est de consulter la table des matières et son complément indispensable – jeu de clés – chaque fois que vous commencez un nouveau récit. Je ne l’ai pas fait, et ce n’est qu’à la toute fin, en lisant ces deux tables des matières en parallèle, que j’ai compris son importance et le sens de plusieurs nouvelles rétroactivement.

Quant à la forme du recueil, elle aurait été brillante si l’auteur n’avait pas introduit dans son recueil la partie intitulée « Curiosités de la nature ». Cette partie, qui contient d’ailleurs quatre nouvelles de qualité supérieure, ne se justifie aucunement dans l’organisation formelle du recueil et brise une unité qui aurait été, sans cela, inattaquable. L’auteur aurait mieux fait de conserver ces quatre nouvelles, qui totalisent une vingtaines de pages seulement, pour une autre publication.

En somme, Manuscrit trouvé dans une valise confirme l’intérêt de Louis-Philippe Hébert pour la description de machines sorties de son imagination. Il décrit notamment dans la deuxième nouvelle du recueil une machine qui administre le texte au lecteur par intraveineuse. Le livre confirme aussi l’intérêt de son auteur pour un fantastique renouvelé, qui explore de nouvelles voies et de nouvelles formes. Le changement dans la manière d’Hébert – et il est notable – réside dans l’écriture qui se veut plus simple et plus accessible au lecteur. C’est un effort louable et qu’il faut souligner.

Louis-Philippe Hébert

Manuscrit trouvé dans une valise

Montréal, Quinze (Prose entière), 1979, 175 p.

Claude JANELLE

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