André Marois, La Fonction (SF)

André Marois

La Fonction

Montréal, La Courte échelle, 2013, 200 p.

La Fonction m’a surprise, je dois l’avouer. Ce n’est pas la première fois que je lis du André Marois, et il m’a habituée à un style fleuri, plein de « jeux de mots », d’humour noir et de cynisme. Dans La Fonction, le style de Marois est plus « sage », mais… le roman n’en est pas moins intéressant, au contraire. La première question qui vient à l’esprit en voyant la couverture est : « alors, polar ou science-fiction » ? Sans hésitation, je dis science-fiction.

Le récit se déroule à notre époque, ou presque. Tout semble identique à ce que nous vivons. À une différence près : chaque être humain naît avec le même don, appelé la Fonction. Celle-ci permet de remonter une minute dans le passé. Formidable, non ? Eh bien pas si formidable que cela, car on ne peut le faire qu’une seule fois dans toute sa vie. Une seule fois. Comment déterminer à quel moment l’utiliser ? Que doit-on en faire ? À quelle fin ?

On suit Franck, séparé de sa femme Joyce, et père de deux adorables enfants, Jasmin et Natalie. Il est garde du corps, un emploi qu’il ne peut garder qu’à la condition de posséder encore sa Fonction. Mais Franck ne l’a plus. Il l’a utilisée pour camoufler un geste horrible qu’il a commis. Lequel ? On l’apprendra au fil du récit. Ce qui est certain, c’est qu’il n’est plus le même depuis. Rongé par la culpabilité, traînant son angoisse et son mal de vivre, il va souvent au club des Fonctionnalistes, où chacun peut venir expliquer comment et pourquoi il a utilisé sa Fonction, dans le plus grand anonymat. Franck espère un jour avoir le courage de monter sur l’estrade et se confier. En attendant, il écoute ceux qui se racontent, ceux qui regrettent d’avoir gâché leur Fonction, ceux qui n’en veulent pas, ceux qui sont contre la Fonction.

C’est là que Franck rencontre Rosa, qui, elle, a toujours sa Fonction. Rosa a un rêve : utiliser sa Fonction pour faire le bien. Pas pour elle-même, pas pour sauver sa propre vie, pas pour son propre profit. Elle veut créer de la beauté, sans savoir encore de quelle façon procéder. Franck, cynique, la provoque. Rosa, elle, est convaincue d’y arriver. C’est alors qu’elle a une idée formidable. Du moins le croyait-elle.

La Fonction porte un grand questionnement en lui : ce don est-il vraiment un don ? Ne serait-ce pas plutôt une malédiction ? Donne-t-il vraiment de la puissance et de la liberté, ou bien est-ce une chaîne qui nous empêche de vivre. En effet, comment vivre sa vie pleinement quand on sait qu’on n’aura la possibilité d’en changer le cours qu’une seule et unique fois ? C’est un peu comme de se faire prédire l’avenir : on n’agit plus de la même façon. Qu’on veuille ou non atteindre ce qui a été prédit, y a-t-il encore du libre arbitre ? Et surtout, doit-on utiliser ce don uniquement parce qu’on le possède ?

J’ai beaucoup aimé ce roman. C’est un genre de science-fiction qui n’a pas besoin de beaucoup d’effets spéciaux pour atteindre sa cible. Un seul et unique élément de notre réalité est changé, et de nombreuses questions essentielles en découlent. Les personnages de Franck et de Rosa sont à la fois complexes et touchants, et vivent leur humanité comme ils le peuvent. André Marois décrit leurs hésitations, leur mal-être, leurs questionnements, avec subtilité et nuances : rien n’est tout blanc ou tout noir, mais plutôt gris, à l’image de ces choix que l’on est obligé de faire au quotidien, sans réellement savoir où cela va nous mener. Mais, au fond, n’est pas ça, la vie, avoir le choix ?

Pascale RAUD

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