Héloïse Côté, Les Voyageurs T.3 : La Voix de la Lumière (SF)

Héloïse Côté

Les Voyageurs T.3 : La Voix de la Lumière

Lévis, Alire (Romans 162), 2014, 468 p.

L’affrontement cosmique entre les Ombres et la Lumière, par l’entremise des Voyageurs, des Voyageurs Bannis, des Voyageurs qui ont changé de camp et des malheureux humains dits « Enténébrés », s’est transporté sur l’Exadelsar, le monde où les Bannis ont été exilés. Anedaran, Celui-Qui-Veut-Savoir, ancêtre et manipulateur de Neros (Celle-qui-Rassemble) et de son jumeau Enan, est très près de se procurer enfin ce qu’il a désiré pendant des millénaires, une enveloppe charnelle stable, qui lui permettra de mener à bien son projet d’annihilation de l’univers : Maris, une humaine amante d’Enan, est enceinte. Tout va très mal pour nos héros : non seulement le Conseil des Anciens Voyageurs est phagocyté et progressivement enténébré par une acolyte d’Anedaran, non seulement la Voyageuse renégate Balaferos (Balaféroce…) talonne sans cesse Neros et ses compagnons, et mortellement pour plusieurs d’entre eux, mais Neros elle-même, en usant de son pouvoir pour sauver ceux-ci à la fin du volume II, s’est fait envahir par une Entité qui est la Lumière elle-même. Ce n’est pas une bénédiction… Il va lui falloir s’en débarrasser si elle veut pouvoir agir. Or elle n’y parvient pas tout à fait et devient une nouvelle Neros, enfant à la fois de l’Ombre et de la Lumière – un peu comme son compagnon Taupheran, le « Crépusculaire ». Or cet enfant est l’objet d’une prophétie : « L’Enfant du Mur » – la Barrière protectrice qui sépare l’Ombre et la Lumière – sera le salut de l’univers. Comme on le voit, les enjeux sont de taille.

On attend toujours beaucoup du troisième volume d’une trilogie, et celui-ci ne déçoit pas, au contraire. Le motif de l’affrontement entre l’Ombre et la Lumière, si rebattu autant dans la fantasy que dans la science fantasy à laquelle s’apparente enfin clairement cette trilogie, n’est pas ici source de situations et de conclusions attendues et donc réconfortantes, mais d’une réflexion bien plus adulte que les simplistes oppositions binaires habituelles. On arrive, comme le remarquent à plusieurs reprises des personnages, dans les nuances de gris. La Lumière comme l’Ombre sont deux entités totalitaires et manipulatrices, commettant les mêmes atrocités au nom de valeurs absolues ne souffrant pas de questionnement. Anedaran a succombé au sien parce qu’il procédait davantage d’un désir de savoir/pouvoir que de savoir/comprendre. Mais Neros est “Celle qui rassemble” et se situe dans un territoire psychique tout différent. De fait, des deux projets possibles pour les héros de la fantasy (mais aussi de la SF… ou de la fiction en général), l’avoir/pouvoir et l’être, c’est clairement du côté de ce dernier qu’elle se range. Et la lecture qui s’impose, mise en place depuis le premier volume, ce n’est rien moins que celle de la constitution d’un être autonome, d’un Moi né de la transmutation enfin victorieuse des éléments également mortifères du Surmoi et du Ça. Neros, et Taupheran, respectivement venus de la Lumière et de l’Ombre, peuvent enfin se rencontrer entre les deux : enfants du milieu, de la Barrière, un lieu où ces instances peuvent circuler et dialoguer sans chercher à se détruire mutuellement. Cette constitution du Moi autonome ne se fait pas sans douleur. Les affrontements sont féroces, la cruauté règne, les pertes sont nombreuses. : il faut, pour accéder enfin à l’autonomie, consentir à des sacrifices douloureux. Et la victoire même n’est pas sans ambiguïtés, comme le montre le sort réservé à deux des personnages qu’il faut bien considérer comme principaux, compte tenu de la place qu’ils occupent dans l’ensemble de la trilogie : Maris et Licien. “Le garçon qui savait lire” donnait son titre au volume II. Maris, quant à elle, (cette version un peu adoucie de la Tueuse de Dragon d’un précédent volume…), dans son acharnement à survivre et à être libre, grâce à ses capacités de combattante, est un écho évident de Neros (Anedaran veut s’emparer d’elle pour son enfant comme il veut également s’emparer de Neros pour son ventre !) La trajectoire qu’elle suit pour surmonter ses propres noirceurs suit de près, à l’inverse, celle de Neros qui doit se détacher des illusions de la Lumière, et dont elle devient rapidement l’alliée malgré leur rivalité initiale autour de l’autre double possible pour Neros, son jumeau Enan – lequel s’avérera le maillon faible de la compagnie. C’est d’ailleurs dans le monde de Maris que Neros, la Voyageuse « revenue chez elle » va s’installer pour longtemps et la finale les met sur un pied d’égalité, même si Neros est dans les bras de Taupheran : « (…) au Daëlisar, là où tout avait commencé pour Maris et pour elle (…) »

Ce basculement identitaire du masculin vers le féminin n’est pas sans rapport avec le motif de l’accession à l’autonomie féminine. Il est en tout cas des plus intéressants pour une lecture féministe de l’œuvre d’Héloïse Côté. Mais nul besoin d’avoir conscience de tous les courants sous-jacents de ce dernier volume de la trilogie pour l’apprécier : l’action y est trépidante, les péripéties haletantes, et on en reçoit (parfois un peu longuement, mais comment l’éviter ?) les éclaircissements espérés sur l’origine et les articulations du conflit multimillénaire qui y trouve sa conclusion. J’ai quant à moi refermé le livre en me demandant avec une intense curiosité quel genre d’histoires allait désormais imaginer l’auteure. Une chose est certaine, ce sera passionnant à lire.

Élisabeth VONARBURG

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