Michel Jean (dir.), Wapke (SF)

Michel Jean (dir.)

Wapke

Montréal, Stanké, 2021, 209 p.

La science-fiction est toujours très influencée par les mouvements qui agitent la société. Alors que l’afrofuturisme a précédé le mouvement « Black Live Matters » voici que le futurisme autochtone suit la vague du « Idle No More ». Dans les deux cas, on ne parle pas d’un simple changement esthétique : les auteurs issus des minorités débarquent en science-fiction avec un bagage culturel et humain propre à bouleverser les cœurs des lecteurs ! C’est particulièrement vrai pour les auteurs issus des Premières Nations, car leurs peuples ont déjà vécu la fin d’un monde.

Cela ne les empêche pas d’envisager l’avenir. Pour nous le prouver, Michel Jean, directeur du collectif Wapke (« demain » en langue atikamekw), a réuni autour de lui treize auteurs et autrices, tous issus des Premières Nations, et leur a demandé d’écrire une nouvelle située dans le futur.

C’est un délice de lire ces quatorze voix (parmi lesquelles plusieurs se sont déjà illustrées en poésie), de découvrir leur vision de l’avenir. Un fil traverse tous les récits : la confiance inébranlable de ces auteurs dans leur résilience. Tant qu’il y aura de la vie au Canada, nous disent-ils, il y aura des gens issus des Premières Nations. Et il se pourrait même qu’ils soient les seuls à survivre. Étant donné tout ce qu’on apprend ces temps derniers sur les horreurs institutionnelles qui furent infligées aux peuples autochtones, on n’a aucune envie de les contredire !

L’influence des traditions d’oralité autochtone est perceptible dans la structure et les rythmes narratifs de certaines nouvelles et participe grandement à la beauté des textes, ainsi qu’au plaisir de lecture. Les rêves figurent au premier plan de plusieurs récits et on se rend compte très vite qu’on aurait tort de les rattacher à la sphère fantastique. Dans ces histoires, les songes peuvent guider ou égarer, et les Blancs craignent leur influence ou, comme dans la vraie vie, négligent leur signification.

Comme dans tous les collectifs, les nouvelles sont inégales, et comme dans tous les textes de science-fiction écrits par des auteurs qui ne fréquentent pas beaucoup les genres, la gestion des informations est souvent lourde. Cependant toutes les nouvelles contiennent des images fortes et valent qu’on s’y attarde. « Les Grands Arbres » de Michel Jean, qui mêle post-apocalypse et récit initiatique, est particulièrement touchante et prenante. La vision de Juuk qui pagaie au milieu de cette forêt qui n’en est pas une restera longtemps avec moi. De la même manière, je ne pourrai plus sentir des effluves de sapinage sans penser à « Kanatabe Ishkueu » de Natasha Kanapé Fontaine. Ce récit en forme de mise en garde, qui fait écho aux invasions européennes de jadis, oppose des Autochtones liés entre eux par l’esprit à des gouvernements robotisés, la mémoire vive contre les dangers de l’écrit. Finalement, « Uapush-Unaikan / Trappe à lièvres » de Alyssa Jérôme est une référence directe aux trahisons du passé, aux traités de dupe et aux pactes à sens uniques qui, jusqu’à trop récemment, ont proprement empoisonné la vie des Autochtones, mis à mal leur culture et faillit leur coûter leur identité.

À la lecture de Wapke, on se rend compte de tout ce que l’humain y aurait perdu.

Geneviève BLOUIN

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