Joyce Baker, Glauque : Là où la terre se termine (Fa)

Joyce Baker

Glauque : Là où la terre se termine

Montréal, Québec Amérique (La Shop), 2021, 136 p.

Le folklore québécois est rempli de figures et de créatures terrifiantes. Du Diable aux loups-garous, en passant par les feux follets et les fantômes, nos légendes sont un terreau fertile pour le fantastique et l’horreur. De plus, chaque région du Québec a des récits qui lui sont propres. C’est de ce contexte que s’alimente Joyce Baker pour son premier livre, un recueil de « récits et contes occultes », pour reprendre la formulation de la couverture.

« Les Barbus » met en scène une jeune femme dont la grand-mère leur racontait quand elles étaient petites, à sa sœur et elle, l’histoire des Barbus, des cannibales qui sortaient la nuit. On alterne entre le présent de la narratrice et le même rang où habite la grand-mère, cette fois en 1906, où une jeune fille et sa famille hébergent un étranger à la barbe fournie et aux intentions nébuleuses. « Au camp » est l’histoire d’une fillette de dix ans qui passe l’été en camp de vacances. Amatrice d’histoires d’horreur, elle y fait la connaissance de Coralie, une jeune fille mystérieuse qui lui raconte la légende de la sirène du camp Bellefeuille. Une nuit, la narratrice décide de suivre Coralie lors de sa sortie nocturne et découvre alors le secret de sa nouvelle amie.

« Élizabeth et Belzébuth », courte nouvelle, constitue un hommage à Dédé Fortin et à sa chanson « Belzébuth ». Le narrateur félin raconte la migration de ses compères chats, et du sort horrible qui les attend, de l’autre côté de la track de chemin de fer. « La Cache » est une histoire de chasse où une végane convaincue se met en tête de s’attaquer à un gibier d’un genre particulier, dans un effort pour mettre fin à la consommation de viande animale.

« Marie, la blanche du rocher » revient sur deux légendes connues de la Gaspésie, soit celle de Blanche de Beaumont, le fantôme du Rocher percé, et celle du rocher lui-même qui est en fait le bateau pirate maudit par Blanche, après que son capitaine ait tenté d’épouser la jeune femme contre son gré. « Cap-Rouge » nous confronte à la folie, la possession, les fantômes et de ce qui dort en attendant de pouvoir se nourrir de nouveau. Dans « La Table à Rolland », nous faisons la connaissance d’un architecte engagé par l’Église pour construire une église à Percé, et qui est un grand amateur de jeux de dés. Un soir, il trouve un adversaire à sa mesure et les enjeux du pari n’ont jamais été aussi élevés.

« Spécimen » raconte l’histoire d’une chercheuse envoyée en Gaspésie par l’Université de Montréal, pour y étudier un phénomène acoustique étrange. Elle passe ses soirées au Cassiopée, un bar de danseuses, où elle est fascinée par les charmes de la jeune Ophélie. Un soir, la chercheuse décide de franchir le pas, mais les conséquences ne sont pas celles auxquelles on s’attendrait.

« L’Île » se base à la fois sur la légende de la Gougou, une ogresse géante qui terrorisait les peuples autochtones de la Baie-des-Chaleurs et sur la présence à cet endroit d’une colonie de fous de Bassan. Il y est question de sorcellerie et de rites païens impliquant une maîtresse d’école et des enfants. Finalement, « I’m done with not writing » est un monologue où la narratrice revient sur les histoires qu’elle n’a pas été capable de raconter et sur son processus créatif hors-norme.

Alors que la quatrième de couverture peut donner l’impression que c’est l’auteure qui se fera narratrice pour présenter chaque texte à travers le prisme de ses souvenirs d’enfance et de son rapport à sa Gaspésie natale, on se retrouve plutôt avec une multitude de voix narratives. Ce choix est diablement efficace, puisqu’il entretient une confusion à laquelle s’alimentent le fantastique et l’horreur de chaque texte. Impossible également de connaître à l’avance la fiabilité de chaque narration, alors que la frontière entre le réel du vécu de l’auteure et les histoires tirées du folklore gaspésien est constamment brouillée.

La très grande majorité des textes est excellente, mariant habilement une langue orale, vernaculaire, et un fantastique horrifique directement tiré du folklore gaspésien. La structure de « L’Île » porte à confusion, avec ses allers-retours temporels pas toujours clairement identifiés et « I’m done with not writing » semble détonner par l’absence de référent à une légende ou un conte issu de la Gaspésie. Mais ces deux textes, qui ont malheureusement été placés à la toute fin, ne diminuent pas l’impact du recueil sur le lecteur.

On en sort secoué, avec une irrépressible envie de faire le tour de la Gaspésie et de ses mystères occultes. Et ça, c’est la preuve d’un réel talent de conteuse et d’une plume diablement efficace. Saluons au passage l’initiative de Québec Amérique qui, avec la mention « Première impression », souligne la première œuvre publiée de ses auteurs. N’ayons pas peur de le dire, Joyce Baker vient de faire une entrée remarquée, et fracassante, dans la littérature d’horreur et on ne peut qu’attendre avec impatience sa prochaine offrande.

Pierre-Alexandre BONIN

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