Emmanuel Desrosiers, La Fin de la Terre (SF)

Emmanuel Desrosiers

La Fin de la Terre

Montréal, Bibliothèque québécoise, 2015, 91 p.

Des cataclysmes ravagent la Terre, les continents s’enfoncent… Force est de constater que ce sera bientôt la fin du monde. C’est alors que le professeur Herbert Stinson, « le plus profond génie de son temps » (p. 22), propose une solution désespérée : l’émigration de tous les Terriens vers Mars.

Difficile de « critiquer » cet opuscule qui a presque l’âge de mon père. Je n’avais jamais lu cette œuvre de Desrosiers, pourtant l’un des ancêtres de la science-fiction québécoise et, si ce n’avait été de la motivation d’en parler dans les pages de Solaris, je ne suis pas certaine que j’aurais persisté dans la tâche. Heureusement, la postface de Jean-Louis Trudel était la carotte au bout du bâton. Cette postface situe historiquement le récit dans le corpus de SFQ, entre ses prédécesseurs et les possibles influences contemporaines. C’est évidemment la partie la plus intéressante de ce bouquin, mais on aurait tort de « sauter » les pages qui con tiennent le roman pour n’en lire que le commentaire final de Trudel.

En effet, certes, le court récit de Desrosiers est un piètre roman, mais, comme bien des œuvres (dé)passées en SF, il jette un éclairage intéressant sur l’état de la société – totalement masculine – à l’époque où il fut publié, en l’occurrence 1931. Il faut voir comment se mêlent allègrement science et religion, comment créationnisme et théorie de l’évolution se marient, car « si la Terre était vieille de deux milliards d’années, l’homme ne l’était que de trois cent mille […] il était dans la logique divine que l’homme devait et pouvait continuer d’ha biter le globe » (p. 38).

Reflet de son époque, le roman de Desrosiers présente Dieu comme « le maître de tout » (p. 56) et montre un monde futur où subsiste l’empire colonial français : en 2367, quelques années avant le début du récit, la France a remporté une victoire qui lui a permis « de continuer la pacification de l’Afrique réfractaire aux idées françaises » (p. 47). Le récit fait également état de découvertes scientifiques, par exemple la radiologie, et exploite des avancées comme la création d’un observatoire de sismologie aux Philippines. Inspiré par le dirigeable R-100, Des rosiers nous propose un aérobus K-1000 capable d’emporter six mille passagers.

Des éléments de SF font sourire : ainsi, pour permettre aux aéronefs d’atteindre Mars, on usera d’un mécanisme pouvant « maintenir une colonne d’air de dimensions énormes au-delà des hautes régions de notre globe et au besoin la prolonger jusqu’à Mars » (p. 34). Quant à la planète rouge, on la sait habitable puisque le professeur Stinson est entré en communication avec les Martiens, qui se disent prêts à accueillir les réfugiés de la Terre.

Qu’on ne sache rien sur ces voisins éloignés – sont-ils semblables aux hu mains ? – ni comment Stinson est entré en communication avec eux (quelle langue parlent les Martiens, d’ailleurs ?) ne sont que les plus gros trous de l’intrigue.

Le récit est parfois répétitif et les personnages ne sont que de grandes figures sans profondeur. L’époque, sans doute, voulait ces êtres désincarnés : « C’est alors que les aérobus procédèrent au sauvetage de cette partie du monde. » (p. 76) Un récit moderne nous montrerait les membres d’un équipage d’un côté, et les malheureux rescapés de l’autre – mais la modernité n’est qu’une question de point de vue : que diront de nos œuvres actuelles les lecteurs du XXIIe siècle ?

En terminant, un clin d’œil aux trekkies… Dans la recherche de solution pour évacuer la population terrienne vers Mars, un savant nommé Ohms déclare : « J’ai trouvé le moyen de réduire les corps à leur forme atomique. L’esprit étant immatériel accompagnerait son corps atomique jusqu’à Mars où, par ma formule, les atomes d’hydrogène et d’oxygène existant sur cette planète reconstitueraient chaque corps ! » (p. 56) Ce n’est ni plus ni moins que la téléportation qu’on proposait là ! À quoi le narrateur répliquera : « Le docteur Gustav Ohms était devenu fou. »

Francine PELLETIER

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