Mathieu Fortin, Le Protocole Reston (SF)

Mathieu Fortin

Le Protocole Reston

Montréal, Coups de tête 23, 2009, 124 p.

Mathieu Fortin, écrivain québécois dans la jeune trentaine nous ayant offert Le Loup du Sanatorium (publié aux éditions des Six Brumes), s’attaque avec Le Protocole Reston à un genre (malheureusement) encore très peu exploité dans les littératures de l’imaginaire francophones, celui du récit zombifique.

En tête de volume se trouvent une lettre adressée par une source anonyme au directeur littéraire de Coups de tête – elle contient d’ailleurs une plogue éhontée d’un autre titre de cet éditeur –, ainsi qu’une note avisant le lecteur que le document qu’il a sous les yeux est hautement confidentiel. Or, malgré cette brève incursion du côté du docu-fiction, on entre dès la quatrième page dans une narration extradiégétique de facture plutôt classique.

Le récit débute sur un bateau naviguant en aval du fleuve Saint-Laurent. À bord de l’embarcation s’affaire une petite équipe de techniciens chargés d’assurer le transport, à partir de la Corée jusqu’à un complexe scientifique de Toronto, d’une créature hématophage monstrueuse ressemblant à un hybride d’humain, de loup et de chimpanzé, et qui, en plus de posséder des dents et des griffes acérées, a le pouvoir de ramener ses victimes à la vie. Bien qu’il soit enfermé dans une cage à la fine pointe de la technologie, le monstre réussit à s’échapper lorsque le bateau frappe un banc de sable à la hauteur de Trois-Rivières. Ayant rejoint la rive à la nage, il ne tarde pas à semer la panique dans les rues de la ville, qui devient rapidement le siège d’une véritable hécatombe, puisque chaque victime de la bête est réanimée sous la forme d’un mort-vivant assoiffé de sang pouvant, à son tour, transmettre l’infection.

Le personnage principal du roman, Victor Cantin, un ex-obèse trifluvien devenu accro à la course à pied, ne se doute pas, lorsqu’il entend frapper à sa porte, que sa vie et celle de son colocataire Lucien sont sur le point de basculer dans l’horreur. Sur le seuil se trouve leur voisin Raoul, à l’agonie, le visage à moitié arraché. Victor et Lucien ont à peine le temps de traîner le moribond jusqu’au salon que Raoul rend son dernier souffle. Cela ne l’empêche pas, quelques instants plus tard, de se relever pour attaquer, bec et ongles, les deux jeunes hommes pétrifiés. Et ce n’est que le début de la funeste aventure de Victor et Lucien, puisqu’ils devront, s’ils espèrent survivre, affronter avec les moyens du bord une horde toujours croissante de morts-vivants.

Le très bref roman de Mathieu Fortin se lit d’une seule traite. L’action, plus que soutenue, ne ralentit que pour faire place à de courts intermèdes où le lecteur assiste aux jeux de pouvoir qui se trament dans les coulisses des gouvernements. Les premiers ministres du Québec et du Canada entendent bien tout mettre en œuvre pour faire respecter le protocole Reston, marche à suivre en cas de contamination épidémique établie par les pays du G8. Ils ne négligeront rien : quarantaine maintenue par l’armée, coupure de toute forme de communication, musellement musclé des journalistes, etc.

Somme toute, Le Protocole Reston est un bon roman qui aurait toutefois, sans aucun doute, mérité d’être développé plus longuement et, il faut l’avouer, plus rigoureusement. De fait, certains aspects viennent malheureusement entacher ce qui demeure, malgré tout, une lecture agréable. Notamment, la créature, qui n’apparaît brièvement que dans le prologue et à la fin du roman, détonne et semble n’exister finalement que pour expliquer l’émergence de l’épidémie. De plus, si l’utilisation du joual dans les dialogues engendre bien quelques sourires en coin à l’occasion de formules du genre « Crisse, ça se peut pas ! Y’était mort ! », elle devient par moments assez lourdaude, ce qui, combiné au nombre non négligeable de coquilles ayant échappé à l’éditeur, brise le rythme et amoindrit la qualité de l’expérience de lecture.

Certes, la plume de Fortin, bien qu’efficace la plupart du temps dans son traitement de l’horreur, dénote encore parfois la maladresse d’un écrivain en devenir. Or, le lecteur pardonnera sans problème au bouquin ses quelques défauts, emporté qu’il est par le tourbillon de ce véritable page turner. Nous sommes, il faut l’admettre, encore assez loin de la concrétisation orgasmique du fantasme franco-littéraire de l’amateur de zombies. N’empêche, Le Protocole Reston demeure une très belle entrée en matière qui, espérons-le, donnera le coup d’envoi à l’émergence d’une littérature zombifique québécoise.

Jérôme-Olivier ALLARD

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