Mathieu Villeneuve (dir.), Futurs (SF)

Mathieu Villeneuve (dir.)

Futurs

Montréal, Triptyque (Satellite), 2020, 228 p.

De quoi sera fait demain ? Les dix prochaines années ? Le futur millénaire ? En ces périodes d’incertitude où les crises se superposent, entre les pandémies, les catastrophes écologiques et les injustices sociétales, s’interroger sur l’avenir est devenu une question de survie. Futurs, collectif réunissant dix nouvelles d’écrivains et d’écrivaines de divers horizons, se propose d’inventer demain, de le démultiplier pour ouvrir le champ des possibles. Anticipation, space opera, dystopie, voyage temporel, fantastique ou horreur, les auteurs et autrices ne délaissent aucun ressort science-fictionnel pour nous transporter dans cet inconnu qu’est le futur, pour nous faire vivre sa complexité, sa cruauté ou son absurdité, voire même sa terrifiante banalité.

Dans « Résurgence », première nouvelle du recueil, Ayavi Lake dépeint un Montréal postapocalyptique dans lequel la majorité de la population est devenue folle à cause des émanations toxiques répandues dans l’air. Mais, un jour, les esprits des Lébous, peuple africain albinos, arrivent sur l’île, annonçant peut-être l’émergence d’un ordre nouveau. Dans « Libellules », récit de Patrick Brisebois, Marine hante son voisinage et son ancienne demeure jusqu’à ce que son mari, décédé subitement, revienne d’entre les morts. Dans « Futur passé », Élisabeth Vonarburg peint un avenir dangereusement probable dans lequel la coupe d’un arbre devient un acte criminel. « Les Derniers Adieux » de Mathieu Villeneuve met en scène des funérailles vécues par simulation virtuelle. Dans « Chlorose », nouvelle d’Ariane Gélinas, Clément décide de vivre sa première extraction pour plaire à son amoureux, adepte d’une forme occulte d’automutilation. Dans « Une vieille souillure » de Simon Brousseau, un homme confesse à un ami d’enfance une faute ancienne dont il porte encore la culpabilité. « Nous n’aurons pas eu le temps », récit de Sylvie Bérard, dévoile les dangers insoupçonnés du voyage temporel, qui pourrait conduire à la création d’un multivers gris, sans différences. Dans « Marchands de rêves » de Charles-Étienne Ferland, le narrateur voudrait reprendre le contrôle de ses songes, parasités par les publicités de DreamR. Dans « Pax » de Catherine Côté, une patiente d’un hôpital psychia­trique en orbite annonce l’anéantissement du système solaire ; l’évacuation doit être planifiée d’urgence. Dans « Quelque chose de viral », nouvelle de Rich Larson traduite par Émilie Laramée, la fête se répète soir après soir. Désormais, la mode n’est plus aux drogues, mais aux virus que l’on s’inocule dans l’espoir de ressentir les symptômes les plus intenses.

« L’anticipation nous rattrape ; nous vivons dans des dystopies. À vrai dire, la fin du monde a commencé il y a des années. Longtemps nous l’avons ignoré, puis nous avons fini par nous y habituer. » Ces mots de Mathieu Villeneuve, directeur du collectif, résument parfaitement la nécessité d’un projet comme Futurs. À travers chacune des dix nouvelles, les auteurs et autrices utilisent la science-fiction en tant que moteur de changements, pour nous inciter à refuser l’immobilisme et l’indifférence devant un avenir qui semble souvent sans issue, tous les jours plus sombre. Même à l’intérieur de « Résurgence » et de « Quelque chose de viral », les deux récits les plus mortifères du recueil, il n’y a pas de fin, d’annihilation à proprement parler. Si le Montréal d’Ayavi Lake ressemble à un film d’horreur, la ville ravagée n’est qu’une zone de passage, un port de transition vers une « nouvelle terre sauvée de la folie destructrice ». C’est la création d’un futur dans lequel les colonisés, les opprimés, ceux qu’on a tenté de faire disparaître – représentés ici par le peuple Lébous albinos et l’être cosmogonique Manitou – trouvent leur juste vengeance et deviennent les représentants d’une humanité renouvelée, en paix avec elle-même. Quant au satellite habité, en pleine effervescence virale, que nous décrit Rich Larson, si l’on sent poindre son échéance dès le début de la nouvelle, c’est dans un style si caustique, avec une imagination si fantasque, qu’on ne peut s’empêcher d’en rire. En grinçant des dents, bien sûr. Mais, en cette période dominée par une pandémie mondiale, cela fait un bien fou de transformer – l’instant d’une histoire – les virus et autres maladies en objet de réjouissances et de plaisirs.

Futurs nous permet également d’ex­tra­poler sur les effets qu’auront les avancées technologiques sur nos vies – et nos morts – mais aussi sur les courants de pensée qui pourraient surgir au détour de la chaîne d’une influenceuse sur le Web, ou, peut-être, d’un voyage temporel. À travers « Libellules » et « Les Derniers Adieux », c’est la promesse de l’immortalité qui brille devant nos yeux, offerte par la digitalisation de l’esprit humain. Verra-t-on l’édification d’un paradis numérique pour tous, ou ce cyberespace éternel sera-t-il contrôlé par une minorité avide de profits ? N’attendez pas de réponses à ces questions ; suivez simplement les sentiers possibles tracés par Patrick Brisebois et Mathieu Villeneuve. Que reste-t-il de l’amour, lorsque notre amant s’arrache une à une les parties de son corps dans l’espoir d’accéder à un vide libérateur ? Dans « Chlorose », récit d’une rare originalité, Ariane Gélinas explore les dérives du Web et du spleen, qui nous conduiront peut-être, d’ici quelques années, à nous faire couper le prépuce ou enlever un rein sans antidouleurs « pour se sentir léger, comprendre le néant ambiant ». Comment assurer sa pérennité à travers le temps et l’espace lorsque le conservatisme et l’obscurantisme des prochains siècles cherchent à nous faire disparaître ? Dans « Nous n’aurons pas eu le temps », Sylvie Bérard réussit à réinvestir le thème consacré du voyage dans le temps pour le transformer en objet de résistance queer, pour que demain puisse encore être étrange, hors-norme, multicolore.

D’autres nouvelles, comme celle d’Élisabeth Vonarburg, semblent s’inscrire dans un futur si proche, si tangible, qu’on pourrait bien le connaître d’ici dix ans. À travers le regard d’une femme de quatre-vingt-quinze ans, Vonarburg nous parle de l’incertitude de demain, de la perte, de tous ces changements qui ponctuent notre quotidien et qu’on ne remarque plus. Des arbres qui, peu à peu, ont remplacé les pelouses devant les maisons du voisinage. Des hivers qui seront bientôt sans neige. Car le futur, c’est aussi le temps qui passe, impossible à rattraper.

« Les prochaines années marqueront un nouvel âge d’or de la science-fiction et de l’imaginaire. » Après la lecture de Futurs, nous ne pouvons mettre en doute cette assertion de Mathieu Villeneuve. Les cœurs remplis de certitudes en ces temps troubles, il nous reste à chercher un autre livre ou à prendre la plume à notre tour pour inventer des manières inédites de respirer, de rêver, d’aimer. Pour ne pas mourir.

Anaïs PAQUIN

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