Simon Roy, Ma vie rouge Kubrick

Simon Roy

Ma vie rouge Kubrick

Montréal, Boréal, 2014, 176 pages.

La critique québécoise serait-elle devenue folle ? On fume quoi dans les officines ?

Pour rester un peu dans l’esprit de Ma vie rouge Kubrick, de Simon Roy, allons-y d’une confession : c’est la lecture des critiques, et non, a priori, le contenu du livre de notre estimé collègue, qui m’a le plus incité à y jeter un coup d’œil, puis à le lire et à en faire un compte rendu. Et à rebours, je dois dire que je suis estomaqué par certains commentaires faits sur le dit bouquin. Comment diable Odile Tremblay (Le Devoir), Donald Brouillette (Le Courrier), ou Stéphane Leclair (Radio Canada) peuvent-ils affirmer sans rire qu’il s’agit là d’un livre qui mélange l’essai et le roman ? Le roman… Après avoir enseigné la littérature pendant quarante ans, je pense savoir ce que c’est et je n’en ai trouvé nulle trace dans l’essai/confession de Simon Roy. Passons sur les excès dithyrambiques : le livre est fort intéressant, mais de là à affirmer « qu’on n’en sort pas indemne » ou que c’est un ouvrage « stupéfiant », il y a une marge et quelques nuances.

Mais de quoi s’agit-il au juste ? Un livre singulier ? Tout à fait… À commencer par ce titre intriguant qui annonce la couleur, si je puis dire. La couleur du sang qui coule dans Shining, cette adaptation hypertophiée du chef-d’œuvre de Stephen King et que, comme King, j’ai royalement détesté même si du point de vue esthétique, cinématographique, je suis capable d’en apprécier certaines qualités (notamment la mise en scène et l’époustouflante beauté de certaines séquences). Mais les grimaces et les gesticulations de Jack Nicholson, ou celles de Shelley Duvall… Non merci ! Il y a des films de Kubrick qui m’ont marqué, que j’ai beaucoup apprécié, notamment 2001, Odyssée l’espace ou Dr Folamour, et d’autres que j’ai royalement détestés comme son dernier, vulgaire prétexte pour exhiber les fesses (par ailleurs fort affriolantes) de Nicole Kidman.

Mais la lecture de l’essai-témoignage de Roy m’a donné envie de revoir The Shining qu’il a vu plus de quarante fois et dont il met en lumière divers aspects qui m’avaient échappé à l’époque. La singularité de ce petit livre, c’est que l’auteuranalyse le film pour mieux comprendre le drame personnel épouvantable qui a frappé sa propre vie : le suicide de sa mère, à l’été de 2013, après une existence difficile liée un traumatisme de jeunesse : le meurtre de sa propre mère ! On ne peut que compatir avec la souffrance de l’auteur et saluer le courage de l’homme qui dissèque ses propres démons sur la place publique. En même temps, il met le lecteur dans la position inconfortable de voyeur involontaire de la douleur d’un fils qui tente d’une certaine manière d’exorciser un terrible drame familial, dont il trouve des échos dans le chef-d’œuvre controversé de Kubrick, un film qu’il a vu seul, à l’âge de dix ans. On imagine le choc initial !

Petit détail trivial : au début du chapitre 33, l’auteur parle des Sentiers de la gloire (1957) comme étant le premier long-métrage de Kubrick. En fait, il s’agit du quatrième après Fear and Desire (1953), Le Baiser du tueur (1955) et L’Ultime Razzia (1956). Curieuse erreur dans un essai sur Kubrick !

Livre original donc, composé de 52 petits chapitres dont les derniers, passablement éclatés (un écho des délires de Jack Torrance ?), m’ont laissé quelque peu perplexe.

Un livre que résume peut-être bien cette formule lapidaire de Joseph Elfassi (Voir Montréal) : plutôt « ma vie » que « Kubrick ». En tout cas, on ne peut que souhaiter que la rédaction « thérapeutique » de cet opus, à la fois essai et confession, et dont l’accouchement a dû être très douloureux, a servi mettre un peu de baume apaisant sur les blessures profondes de notre estimé collègue à qui nous souhaitons des jours meilleurs, avec un retour à une certaine sérénité, si cela est possible dans les circonstances.

Norbert SPEHNER

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