Claude Bolduc, Histoire d’un soir et autres épouvantes (Fa)

Claude Bolduc

Histoire d’un soir et autres épouvantes

Gatineau, Vents d’Ouest (Rafales), 2006, 151 p.

Si la quatrième de couverture, qui promet un rendez-vous avec la peur, m’apparaissait prometteuse, je me suis rendu compte, à la lecture de ce recueil de Bolduc, que l’auteur continue dans la veine qu’il creuse depuis un certain nombre d’années : le malaise.

Ce recueil propose six nouvelles et une novella. Si « Vieilles Peaux » et « Œillades » sont des titres familiers au lecteur de Solaris (pour avoir paru respectivement dans les numéros 135 et 140), le reste du recueil est constitué de textes que Bolduc a éparpillés un peu partout dans la francophonie. Il fait donc plaisir de pouvoir les retrouver ici sous une même couverture. Cette couverture, d’ailleurs, est absolument superbe et rappelle la beauté de celle du recueil de Daniel Sernine, Maure à Venise, illustrée par la même artiste, chez le même éditeur. L’illustration, de Laurine Spehner, avec sa chauve-souris survolant une scène autrement calme et sereine, baignée d’une teinte bleutée, se marie à merveille avec les textes et les ambiances troubles composées par l’auteur. Un brin d’inquiétude dans la normalité.

« Histoire d’un soir » donne le ton, d’entrée de jeu. Cette historiette raconte la soirée amoureuse d’une femme dont les plans tournent moins bien que prévu. Classique ? Pas nécessairement. Tout est dans l’attente, et contrairement aux auteurs moins subtils qui n’hésitent pas à déverser des tripes et du sang pour tenter de vous épouvanter, Bolduc nous refile lentement une histoire d’un naturel amusant avec un revirement de point de vue qui l’est tout autant. Si « Histoire d’un soir » n’est pas une nouvelle qui effraie – bien qu’elle inquiète –, elle crée toutefois une sorte de malaise et sa finale laisse un goût étrange dans la bouche. De plus, on se doute bien que peu de happy ending se faufilent dans ce livre.

Si c’est là votre tasse de thé, vous adorerez lire ce recueil.

On remarque que les personnages de Bolduc, bien que vivant dans un semblant de réalité, ont tous quelque chose de marginal ; ici un itinérant, là une religieuse, puis un amnésique… Et bien que les lieux soient assez précis, on a toujours cette impression que les personnages, eux, ne s’y retrouvent pas, s’y sentent perdus. Il faut dire que plusieurs des protagonistes de Bolduc ont un aspect d’inadapté à leur environnement, que ça soit dans un cadre réaliste comme dans sa nouvelle « Entre les bras des amants réunis » (parue dans L’ASFFQ) ou que ça soit dans un cadre plus étrange ou insolite, comme c’est ici le cas avec l’Archibald de « Vieilles Peaux » ou le protagoniste qui se réveille sur un banc de parc dans « Nocturne ».

Cet effet de décalage du décor par rapport à la réalité accentue notre impression d’étrangeté, de dérapage et contribue efficacement à la création d’ambiances troubles, inquiétantes. Il n’y a qu’à tenter d’imaginer l’intérieur de la maison de la rue Sanfaçon dans « Toujours plus bas » pour s’en convaincre.

Cette novella, qui est la pièce principale du recueil, est à la fois un Bolduc typique et un hommage fort réussi à Arthur Machen, dont la nouvelle « Le Peuple blanc » est non seulement citée, mais fait intégralement partie de l’intrigue. L’histoire, dont le titre est si délicieusement bolducien, raconte la lente descente d’Armand, qui a récemment épousé Marie, une Haïtienne rencontrée pendant un voyage en Haïti. Envoûté à son insu (évidemment), un brin naïf, il ne s’éloigne pourtant jamais de l’antihéros solitaire au travail ennuyant et à la vie ordinaire, si cher à l’auteur. Il devient de plus en plus obsédé par une maison à vendre, d’une laideur sans nom, et on se doute bien qu’il finira par vouloir la visiter malgré la réticence de sa femme… Ou peut-être bien à cause de celle-ci. Tout comme dans les histoires de celui à qui Claude Bolduc rend ici hommage, cette novella n’offre aucune scène horrifique ou sanglante, mais les possibilités qu’elle évoque, l’ombre d’une menace ici, l’étrangeté là, l’évocation des tableaux dessinés par Marie et l’intérieur de cette maison, créent un environnement parfaitement suggestif pour que le lecteur un tant soit peu imaginatif arrive à se faire peur lui-même. Personnellement, je suis mort (de claustrophobie) avant Armand, épuisé et coincé dans un tunnel minuscule !

Même si je n’ai pas réellement été terrifié par la lecture de ces textes, ils procurent toutefois des sentiments complexes et confus et une impression de perte de contrôle. Ils créent un état de malaise omniprésent qui vous fait regarder plus attentivement votre voisin dans le métro à 23 heures ou analyser un peu plus ces bruits de pas derrière vous la nuit.

Considérant la qualité de l’autre recueil de nouvelles fantastiques publié chez le même éditeur l’an dernier, on ne peut qu’espérer que cette veine se poursuive.

Car bien peu de textes de fantastique, aujourd’hui, peuvent se vanter de réussir autant à ce niveau et c’est ce qui fait de ce recueil de Claude Bolduc un des meilleurs livres de fantastique que j’ai lu ces dernières années.

Hugues MORIN

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