Daniel Sernine, Maure à Venise (Fa)

Daniel Sernine

Maure à Venise

Gatineau, Vents d’Ouest (Rafales), 2005, 148 p.

Les éditions Vents d’Ouest nous offrent, avec Maure à Venise, neuf textes fantastiques de Daniel Sernine dont plusieurs étaient, jusqu’à maintenant, quasi introuvables, publiés à l’origine dans des recueils n’ayant pas été réédités, ou des revues ou des collectifs. Ainsi, bien que l’ouvrage ne présente aucun texte inédit, le lecteur se réjouira d’y (re)découvrir des récits diablement efficaces allant de la novella à la très courte nouvelle (la nouvelle-titre compte une quarantaine de pages alors que « L’Odeur des songes », sorte de méditation poétique, n’en fait que deux).

En neuf textes, Sernine nous fait voyager à la fois dans le temps et l’espace. Aussi Maure à Venise prend-il des airs d’album de photos, de recueil de souvenirs (la très belle couverture de Laurine Spehner participe d’ailleurs de cet effet rétroactif et intimiste). Dans « Deux Fragments », c’est tout le Japon médiéval qui se terre sous la paupière bridée d’un passant arpentant les trottoirs de la ville. À Paris, deux jeunes Québécoises verront déferler sur elles une vague de coïncidences inouïes (« Les Portes mystérieuses »). Dans le Québec des années soixante, un poète donnera tout son sens à l’expression « se consumer de désir » (« Dans ses yeux une flamme »). Et puis il y a Venise, où une jeune sidatique entreverra le Tadzio du Mort à Venise de Visconti (« Maure à Venise »).

De cet ensemble de paysages et de portraits fantastiques surgissent les icônes d’une génération, auxquelles l’auteur rend un hommage discret (Jim Morrison et les Doors, Freddy Mercury, les Stones, etc.). Un jeune auto-stoppeur, monté dans « La Fourgonnette psychédélique », sera d’ailleurs projeté à l’époque de la beat generation, accompagné on the road par ce qui pourrait bien être le fantôme de Jack Kerouac. Un adolescent maniaque de Jean Ray constatera quant à lui que les méandres de la vieille capitale peuvent receler d’étranges surprises (« La Librairie Flamande »). Un touriste croisera pour sa part les principales figures de la révolution bolivarienne (« Le Libérateur »).

Possédant un sens unique de la narration et du rythme, Daniel Sernine sait mettre en place des atmosphères à la fois émouvantes et angoissantes tout en évitant l’assommoir des descriptions futiles. Dans un style lyrique et envoûtant, ce pionnier du fantastique québécois moderne nous intrigue, nous fascine et nous procure quelques frissons. Bref, Maure à Venise constitue un charmant petit recueil qui n’offre rien de nouveau mais qu’on lira assurément avec un plaisir soutenu.

François MARTIN

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