Collectif, Sol (SF)

Collectif

Sol

Logiques (Autres mers, autres mondes), 1991, 246 p.

Commencez par la fin la lecture de ce recueil qui groupe cinq nouvelles, et savourez-moi le texte de Alix Renaud, « Exanoïa » Cette enquête sur l’obscur suicide d’une équipe de scientifiques aura sur vous un effet assuré. Il y est question d’un projet de recherche absolument inédit, mais dont tout le monde ignore la teneur, jusqu’à l’armée elle-même qui pourtant se tient derrière ces expériences. Le seul chercheur à ne s’être pas suicidé, Claxton, se blottit dans la folie. Il ne reste donc d’autre voie que de pénétrer dans le laboratoire pour qu’enfin le voile soit levé sur ce mystère, et quel dévoilement ! Je n’en dis pas plus, vous m’en voudriez. La chute est écrasante d’originalité, la nouvelle est traversée de bout en bout par un suspense à plein régime. Le style est alerte, simple et nourri d’humour. Le moment à n’en pas douter le plus agréable du livre.

La nouvelle de Yves Meynard, « L’Enfant des mondes assoupis » est excellente, bien que je n’aie pas tout compris. Sans doute ai-je la comprenette un peu dure, mais la toile de fond, sur laquelle se déroule l’histoire, regorge de détails qui l’embrouillent plutôt que de l’éclairer, comme si l’auteur avait voulu créer un univers complet en l’espace de quelques pages. Un Prince, encore humain « malgré deux cents ans de dérive génétique » (allez savoir à quoi il ressemble), quitte sa planète pour rechercher son origine sur Merre (notre Terre, si j’ai bien compris) d’où sa race – en exil et à la mémoire assoupie – serait issue. Son pèlerinage tournera mal, prendra des allures christiques, et… je n’en dis pas plus ici non plus, par crainte de trahir une histoire que mon intelligence ne me permet pas de saisir. L’écriture de Meynard est belle, polie à souhait, et m’a fait un peu oublier les chemins tortueux qu’il emprunte.

« La Part de sable » de Michel Lamart, s’inspire directement de la guerre du Golfe dont il imagine une conclusion autrement plus tragique que celle qu’elle a connue en réalité. Que l’on me comprenne bien : cette guerre, aussi tragique qu’elle ait été, n’a pas dégénéré en apocalypse terrestre jusqu’à pousser les humains à s’enterrer comme des taupes dans les entrailles de la planète pour s’acharner à y poursuivre des combats insensés. Voilà bien ce que l’imagination de Lamart entrevoit derrière cette obstination qu’ont les hommes à s’entretuer. Comme on a oublié la raison qui anime ces combats, on a envoyé une « sonde humaine » dans le passé pour comprendre le futur qui s’y prépare. En vérité, cette histoire ne m’a pas dit grand-chose.

Pierre Sormany avec « Les Univers parallèles d’Everett ou comment faire l’amour sans jamais se rencontrer » montre le rapport amoureux sous un jour scientifique en invoquant la théorie des « univers parallèles » du physicien américain Hugh Everett : l’univers serait divisé en deux réalités distinctes, en deux versions de lui-même, vouées à ne jamais se rencontrer. C’est précisément ce qui arrive à Brigitte et Alain qui se fréquentent passionnément, sans recevoir de la réalité des images concordantes, comme s’ils avaient vécu dans deux mondes différents, dont l’histoire respective aurait divergé jusqu’à devenir étrangère l’une de l’autre. Cette idée de départ est pleine de promesse, mais n’aboutit ici à rien d’autre qu’à elle-même. On la voit venir de si loin (en fait, dès le titre !) qu’elle tombe à plat. Le plus grand défaut d’un texte littéraire, n’est-ce pas celui de porter son évidence en lui-même ?

Enfin, la nouvelle de Guy Bouchard, qui ouvre tant bien que mal, plus mal que bien, ce recueil. « La Chute » est l’histoire d’une étudiante étrangère en transit qui a maille à partir avec son amant, un salaud de fonctionnaire qui cherche à profiter de sa vulnérabilité dans un pays qui n’est pas le sien. C’est surtout un prétexte à prospecter un Québec indépendant avec le faisceau de problèmes que ça déploie : les autochtones, la dénatalité, la montée d’idéologies extrémistes, etc. Discours féministe et discours politique alternent tour à tour. Je cherche du littéraire, et c’est un essai qui montre le bout de son nez ; j’ai le goût d’une histoire, et on me sert des analyses que j’aurais aussi bien pu rencontrer dans le journal.

Ce recueil offre peu à se mettre sous la dent : je retiens Renaud et Meynard. Le reste, dois-je le dire, m’a ennuyé au-delà du possible. Devrais-je couper court à mes lectures de Calvino et de Paul Auster, de manière à tomber de moins haut ?

Fabien MÉNARD

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