Jean-François Somcynsky, Les Visiteurs du pôle Nord (SF)

Jean-François Somcynsky

Les Visiteurs du pôle Nord

Montréal, Pierre Tisseyre (Anticipations), 1987, 320 p.

Les éditions Pierre Tisseyre (Le Cercle du Livre de France) possèdent maintenant leur collection « Anticipations » et plusieurs titres parus antérieurement paraîtront dans cette collection. Le diable du Mahani du même auteur, Le Plan Rubicon, traduction d’une oeuvre en anglais de Dennis Jones et L’Étrange Monument du désert libyque, de Claude d’Astous, dont nous avons déjà parlé dans cette chronique. Les Visiteurs du pôle Nord constitue, à ma connaissance, le premier titre qui porte véritablement la mention de cette collection. Pour l’instant, pas de maquette uniforme, sinon un même format pour Les Visiteurs du pôle Nord et L’Étrange Monument du désert libyque mais la collection est encore bien jeune. Les Visiteurs du pôle Nord est un beau livre, malheureusement rempli de coquilles qui viennent quelque peu gêner la lecture.

Quant au roman de Somcynsky, le sujet ne manque pas d’intérêt : pendant que de multiples petites guerres échauffent plusieurs points de la Terre, tandis que les deux principaux dirigeants du monde tentent de parvenir à une difficile entente, sept extraterrestres font naufrage au pôle Nord. Aussitôt, l’une des grandes puissances s’empare de quatre des naufragés encore en état de choc, alors que les Canadiens, hôtes des visiteurs, réussissent à garder sous leur protection les trois autres membres de l’équipage. On s’attend à des magouilles politiques, et surtout à ce que les visiteurs deviennent en quelque sorte les otages des puissances qui les gardent sous leur coupe. Jean-François Somcynsky ne déçoit pas le lecteur sur ce point et nous avons droit à une vaste fresque internationale où défilent un nombre impressionnant de personnages. Il faut beaucoup d’attention pour ne pas s’y perdre.

Les toutes premières pages mettent en place un décor fascinant, celui d’une base scientifique canadienne située au pôle Nord lieu clos et isolé où l’on s’attend à voir naître les passions. Mais on ne reste que très brièvement parmi les habitants de la base : dès l’apparition des extraterrestres et le kidnapping de certains d’entre eux, on commence à voyager, que dis-je, à jouer à saute-mouton à travers le monde. Parallèlement à l’histoire des extraterrestres, l’auteur nous présente sa vision de l’avenir politique de la Terre. L’URSS n’est plus, l’ours s’est scindé à la frontière qui sépare l’Asie de l’Europe. Et les deux blocs qui mènent le monde sont désormais Orient contre Occident. Les chefs des deux blocs se rencontrent pour assurer la paix ou se partager le monde ? Ils sont gentils, ils sont bons, mais l’un d’entre eux a de mauvais conseillers…

Plus originales sont les pages décrivant l’accueil officiel réservé aux visiteurs par le Canada, chez le Gouverneur-général, par exemple. L’auteur démontre alors sa bonne connaissance du monde diplomatique. Il nous présente entre autres un savoureux personnage, celui du chef de protocole. J’ai beaucoup ri, ne pouvant m’empêcher d’évoquer le passage des Shin-gounzs à Inverloch Castle dans Les Spectres d’Inverloch de Mézières et Christin. Cela vous laisse imaginer la touche d’humour qui vient ponctuer les grands affrontements entre chefs d’États.

Mais rien de tout cela ne touche le véritable propos de Jean-François Somcynsky Les petites guerres, le risque d’un conflit mondial, la lourde menace qui plane sur notre pauvre planète, la présence des extraterrestres venus faire du tourisme ne servent finalement que de toile de fond. L’histoire, la vraie, c’est une histoire d’amour. Des histoires d’amour(s). Nous suivons surtout les trois extraterrestres demeurés au Canada où ils découvrent la Terre et les Terriens, nos coutumes et… nos habitudes sexuelles. Les extraterrestres sont humanoïdes : malgré leur peau verte, leur pilosité développée et leurs doigts palmés, ils nous ressemblent. Au point de pouvoir « partager » avec les Terriens – partager, c’est-à-dire avoir avec eux des relations sexuelles. Rien de scandaleux ici, on est loin des Amants étrangers de Philip José Farmer Trois couples se forment, offrant un éventail d’amours mixtes.

Le premier couple vit une passionnante aventure : une Terrienne sans pudeur, et en cela très proche des visiteurs, accepte de tenter l’expérience avec un partenaire extraterrestre qui cumulera par la suite de nombreuses autres aventures.

Le second couple, qui cherche une relation plus calme, est formé d’un Terrien et d’une visiteuse qui tombera enceinte, preuve de la parfaite compatibilité entre nos deux espèces.

Le troisième couple est le plus intéressant puisqu’il est le seul à créer des liens à la façon terrienne : amour profond et exclusif qui mènera à un mariage secret. La femme, cette fois terrienne, se retrouvera également enceinte.

Ces histoires d’amour permettent à Jean-François Somcynsky de se lancer dans de belles descriptions d’ébats sexuels, qui n’atteignent cependant pas la poésie que j’avais trouvée dans La planète amoureuse car le récit en lui-même est assez froid. À plusieurs reprises, j’ai cru lire un reportage plutôt qu’un roman, encouragée dans cette impression par la dénomination des chapitres : de simples dates qui situent l’action dans le temps, comme le ferait le calepin d’un journaliste. D’ailleurs, Jean-François Somcynsky se contente souvent de nous rapporter (entendre : comme un reporter) des événements, indiquant par exemple que telle date monsieur Chose ou madame Unetelle a fait ceci ou cela. Ce style reportage, s’il est efficace pour raconter rapidement les actions de différents personnages, rend la lecture fastidieuse. Il a fallu que je sois bien déterminée, voire même entêtée, à poursuivre ma lecture pour passer au travers des cinquante premières pages. Par la suite, j’ai été récompensée de ma persévérance par l’établissement de relations « humaines » entre Terriens et étrangers, ce qui donne un récit plus chaleureux et donc plus intéressant. Mais tous les lecteurs auront-ils ma patience ?

Les Visiteurs du pôle Nord a donc pour plus grand défaut sa longueur et l’ennui que suscite le style « reportage » adopté par Jean-François Somcynsky du moins au début du récit. Par contre, sa plus grande qualité réside précisément dans le traitement du sujet, lorsque l’auteur abandonne un peu le reportage pour nous faire vivre des relations avant tout humaines entre ses personnages. Les extraterrestres sont présentés également d’une manière assez intelligente. Si on oublie leur physique exotique (pourquoi des doigts palmés quand il n’y a pas d’eau sur leur planète ?), le reste de leur personne fait un pied de nez au cliché du superman venu de l’espace. Ces étrangers ne sont pas des surhommes, ils ne cachent pas de pouvoirs surnaturels dans leur manche. Ce sont des gens ordinaires, pour ne pas dire « des hommes de la rue ». Comme vous et moi, ils savent utiliser un ordinateur sans être des experts en informatique, sans savoir non plus comment fabriquer le moindre des appareils sophistiqués dont ils se servent dans la vie courante. Les autorités militaires, qui auraient bien voulu utiliser les visiteurs pour prendre une avance technologique sur leurs adversaires, se retrouvent le bec à l’eau. Les extraterrestres ne seront exploitables que lorsqu’ils se mettront à donner des conseils de stratégie tout à fait farfelus. Mais ils ne seront jamais exploités, puisqu’ils se serviront alors des Terriens pour leurs propres fins.

En bref, Les Visiteurs du pôle Nord est un roman riche, surtout lorsque l’auteur ne se contente pas de nous livrer des informations factuelles et qu’il aborde le plan humain.

Francine PELLETIER

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