Lectures 139

Exclusif au supplément Web (Adobe, 859Kb) de Solaris 139, automne 2001

 

Marie Jakober
The Black Chalice

Calgary, Edge, 2000, 460 p.

Edge est un nouvel éditeur canadien de science-fiction et de fantastique, et son premier livre publié démontre un goût et un professionnalisme prometteurs pour l’avenir.

Dans le genre de la fantasy historique, The Black Chalice suffit à élever son auteure au rang de Guy Gavriel Kay. Jakober oeuvre toutefois dans une veine un peu différente. Des créatures surnaturelles interviennent dans l’intrigue de manière plus ouverte que dans les romans récents de Kay. En revanche, Jakober conserve un cadre approximativement historique, celui du Saint Empire romain germanique à l’aube du douzième siècle, alors que Kay a fait le choix du travestissement de ses modèles afin d’atteindre à l’universel.

La différence la plus évidente découle du choix du contexte. Depuis Tigana, Kay favorise des époques et des lieux caractérisés par des empires sophistiqués, des cours brillantes, des sociétés à leur apogée. En choisissant l’époque de la Première Croisade et une Allemagne encore un peu païenne, Jakober a préféré un monde plus sauvage et plus brutal.

Le roman débute d’ailleurs sur la visite d’un château enchanté par les hommes du comte Karelian, qui est devenu un des nobles les plus puissants de l’Empire suite à sa participation à la croisade qui a pris Jérusalem aux Musulmans. Comme dans un roman de chevalerie de la matière de Bretagne, Karelian et son écuyer Paul assistent à des prodiges dont les autres gens d’armes ne se souviendront pas. Cependant, la coupe noire du titre, qui est adorée en ce château, n’est pas le Saint-Graal, et serait plutôt l’anti-Graal, car c’est la forteresse de la magicienne d’Helmardin, qui représente les anciens dieux bannis par les prêtres chrétiens.

Le jeune Paul, un fervent croyant, voit avec incrédulité son maître accepter les avances de la belle magicienne. Mais Karelian est un chrétien des plus tièdes, dégoûté par le sac de Jérusalem et le massacre sanglant commis par les Croisés. Cependant, Karelian résiste à la tentation et demeure loyal au duc Gottfried du Reinmark, son suzerain.

Il faudra des événements dramatiques et la décision de Gottfried de briguer la royauté universelle, au mépris de ses propres serments, pour que Karelian accepte l’alliance de la magicienne d’Helmardin. Meurtres, batailles et vengeances s’ensuivent, jusqu’à ce que le sort de l’Empire soit remis au jugement de Dieu par les armes.

Jakober a signé une histoire riche en rebondissements, en personnages colorés, en conflits déchirants. Elle en profite pour stigmatiser l’esprit de domination et les politiques répressives de l’église. Le jeune Paul, par exemple, est horrifié par son attirance homosexuelle pour le beau Karelian. L’inspiration féministe de l’auteure frise cependant l’anachronisme. Aux sources de l’église catholique, il y avait une surprenante égalité des sexes et la marginalisation des femmes par l’église peut aussi s’expliquer par le fait que le machisme romain a fini par rattraper, au terme d’un bon millénaire, l’église catholique romaine. Tandis que le panthéon païen n’était pas exactement égalitaire et qu’il est loin d’être clair comment la société agraire des Saxons aurait pris le tournant de l’urbanisation si Charlemagne n’était pas intervenu. L’évangélisation de l’Allemagne a tout de même donné des figures féminines comme Hildegarde de Bingen…

La principale faiblesse du livre, c’est peut-être de noircir tellement le tableau. Il ne fait aucun doute que la vie médiévale était rude et brutale, et souvent écourtée, mais Jakober insiste d’abord sur les aspects les plus misérables de l’existence médiévale. De plus, dans la première moitié du livre, rédigé en partie par un Paul vieillissant, la narration force un peu la note en prédisant des catastrophes à tout bout de champ afin de susciter un certain suspense, au risque de dégoûter le lecteur d’une histoire qui s’annonce aussi peu réjouissante. C’est qu’on ne se rend pas tout de suite compte que Paul est loin d’être un narrateur entièrement fiable, même lorsqu’il est condamné à la véracité…

Roman d’une rare intensité, The Black Chalice intéressera tous les amateurs d’aventures, d’exploits et d’amours dans un contexte de fantasy historique. [JLT]

 

J. A. Cullum
Lyskarion: The Song of the Wind

Calgary, Edge, 2001, 342 p.

Après avoir publié une réussite incontestable avec The Black Chalice, Edge offre un ouvrage nettement moins achevé. C’est le début d’une nouvelle série de fantasy, «The Chronicles of the Karionin». Or, malgré toute l’indulgence qu’on doit à une nouvelle auteure, le monde n’avait pas vraiment besoin d’une énième série de fantastique épique, surtout lorsque celle-ci ne se démarque pas vraiment du tout-venant dans ce genre.

Janice A. Cullum nous invite à découvrir le monde de Tamar, que partagent neuf espèces humanoïdes dont la morphologie et les talents magiques diffèrent. Lyskarion est un cristal vivant, une des huit pierres magiques – les Karionin – créées par les mages de Tamar au temps de leur grandeur. Les Karionin ont participé à la dévastation du Fléau déchaîné par les mages de Tamar lors du terrible conflit qui sonna le glas de leur suprématie.

Des siècles plus tard, les Karionin s’animent peu à peu, guidant les événements pour attirer les mages susceptibles de maîtriser la puissance des cristaux vivants et de leur donner une âme. Lyskarion jette son dévolu sur Errin Yar, homme-dauphin et prince de la mer. Cependant, Errin Yar aime depuis longtemps Elise de l’île d’Adun, depuis leur enfance commune. Elise est humaine et portée à se méfier des hommes-dauphins. La fusion d’Errin et Lyskarion éloignera d’abord Elise, effrayée par la puissance du cristal vivant.

Bref, leurs amours sont difficultueuses et leurs relations ne s’amélioreront que lorsqu’ils uniront leurs efforts pour conjurer la menace de Gandahar. Entre autres, ils participeront à la formation du jeune Jerevan Rayne, un mage récalcitrant victime d’un sort jeté par le plus puissant des mages de Tamar afin de le forcer à développer son talent. Comme Gandahar veut étendre son hégémonie sur les états riverains de la mer Thallasséenne, il est plus que temps pour les mages de protéger la liberté des humains menacés par les armées de Gandahar.

Malheureusement, l’écriture de Cullum n’est pas à la hauteur de l’ampleur de son thème. L’intrigue est plutôt épisodique: les péripéties s’enchaînent sans jamais générer de véritable suspense. Les personnages s’évitent au lieu de s’affronter. Le style est platement descriptif, mais rarement évocateur. Le tout reste bien en deçà des attentes suscitées par The Black Chalice et n’intéressera sans doute que les novices en matière de fantasy. [JLT]

 

Sylvie Miller et Philippe Ward
Le Chant de Montségur

Paris, Cylibris, 2001, 261 p.

Troisième roman de Philippe Ward et premier de Sylvie Miller, Le Chant de Montségur a lieu en pays cathare, comme son nom l’indique. Après avoir signé deux autres romans de fantastique qui se déroulaient dans la région pyrénéenne, Ward ne pouvait éviter de s’intéresser aux mythes et légendes de son propre coin de pays. Comme à son habitude, il évoque avec talent la vie de l’arrière-pays lorsque les touristes sont partis, le passé jamais enfoui loin de la surface et l’intrusion dans le quotidien moderne de créatures issues des croyances anciennes.

Peire Aicart est un chanteur qui a autrefois illustré la cause de l’occitan, mais il vient d’être frappé durement par la mort de sa femme lorsque le roman débute. Sans s’en rendre compte, il devient peu à peu le pivot d’une lutte mystique pour le trésor des Cathares, perdu depuis la chute de la forteresse de Montségur, des siècles plus tôt. Beaucoup de monde tourne autour de la forteresse aujourd’hui ruinée et des grottes décorées de pentagrammes…

Les Dominicains, ces Chiens de Dieu qui furent jadis l’âme de l’Inquisition, ne sont pas les seuls en lice. Il y a aussi Elke Ströder, l’héritière directe ou indirecte des nombreux ésotéristes allemands autrefois fascinés par l’espoir de retrouver le Saint-Graal. La Société del Gai Saber conserve un peu de l’esprit cathare et veille sur Peire Aicart, mais elle cache le reste de son jeu. Jordanne, quant à elle, est moins secrète: elle aime Peire depuis longtemps et espère le moment venu pour elle de se faire aimer. Le plus énigmatique est sans doute Kyot, fantôme insaisissable qui incarne la Mémoire du trésor de Montségur. Et le Drac, surnom local du diable longtemps maîtrisé par d’anciens sortilèges, est aux aguets…

Le nombre de factions en présence complique quelque peu l’action. Le suspense dépend un peu trop du mutisme de ceux qui savent et des violences erratiques du Drac. La révélation finale de la nature du trésor est du coup plutôt inattendue et, faute de préparation adéquate, n’est pas entièrement convaincante. Bref, si le roman demeure intéressant par son évocation de lieux encore sous l’emprise du passé, l’intrigue emprunte de trop nombreux détours pour nous passionner de bout en bout. [JLT]

 

Philippe Heurtel, dir.
Rêves d’Altaïr

Paris, L’OEil du Sphinx, 2000, 231 p.

L’annulation in extremis de l’anthologie «Escales 2002» par le Fleuve Noir aura sans doute marqué la fin d’une brève floraison d’anthologies de science-fiction francophone, surtout au Fleuve Noir. Comme au Canada, où la dernière anthologie d’inédits en date (Transes lucides) a été le fruit de la micro-édition, les auteurs français doivent maintenant se rabattre sur des débouchés de moindre envergure.

Même si ce n’est pas dit et même si ce n’était peut-être pas voulu, Philippe Heurtel a réuni ici une anthologie de jeunes auteurs dont c’est souvent la première publication. (Leur moyenne d’âge, exception faite de la seule femme dont on tait galamment ce détail, était de 33 ans en 2000.) Rêves d’Altaïr constitue donc un banc d’essai pour la plupart des participants et il faut tenir compte de cette dimension de l’ouvrage au moment d’apprécier le résultat.

L’anthologie regroupe dix-sept textes par quatorze auteurs, y compris un Catalan dont la nouvelle a été traduite de l’anglais. En gros, on peut distinguer trois sortes de textes.

Tout d’abord, il y a les nouvelles à chute. Si l’idée du Catalan Roger Espel Llima est déjà rebattue, Albert Aribaud et Pierre-Alexandre Sicart tirent leur épingle du jeu en misant sur l’humour. Et Arnaud Chéritat signe une réussite mineure pour mathématiciens du dimanche avec «Fourmiland». En revanche, «La Voix des étoiles» d’éric Legloahec et «Temps de chien» de Marc Seassau, n’arrivent pas à étayer leurs chutes, pourtant intrigantes, avec des récits véritablement intéressants.

Ensuite, on retrouve plusieurs textes néo-classiques, qui renouent avec des thèmes connus. Dans cette veine, François Rebufat signe deux réussites, en particulier «à son image», qui met en scène cinq grands criminels transportés sur une plate-forme isolée par une puissance inconnue. Les nouvelles de Lionel Ancelet et Hervé Martin sont des efforts plus appliqués, mais prometteurs de la part de débutants. La nouvelle «Guerre sans faim» de Dominik Vallet est un demi-échec fascinant, tandis que Jean-Louis Bec, Fabrice Neyret et Marc Seassau («Animal») signent des ratages qui ne remplissent pas leurs promesses. Quant à «Star Stress» de Chéritat, dans le genre de la pochade humoristique, difficile de faire mieux.

Enfin, il faut noter quelques textes qui se démarquent par leur originalité, notamment «Terrêve» de Stéphanie Lebeau et «L’Entropie est une salope!» d’Hervé Jubert. Lebeau décrit très systématiquement, mais non sans fantaisie et humour, un monde aquatique dont les habitants rêvent la Terre. Et Jubert signe un autre texte sur les mondes que la fiction construit et emmêle; s’il se tire de ce labyrinthe métaphysique par une pirouette, il subsiste quand même un reste d’ivresse…

Bref, nous avons affaire ici à une relève de passionnés, mais pas de révolutionnaires. Certains auteurs se détachent déjà du peloton et les amateurs de voix nouvelles peuvent légitimement s’attendre à voir certains d’entre eux passer à une vitesse supérieure. [JLT]

 

Julie Czerneda
In the Company of Others

New York, DAW, 2001, 565 p.

Il s’agit carrément du meilleur roman de Czerneda jusqu’à maintenant. Les relations entre les personnages restent empreintes du romanesque qui caractérisait ses livres précédents, mais Czerneda a construit une intrigue haletante et pourtant équilibrée. Le suspense en vase clos, qui a de quoi rendre claustrophobe, rappelle certains romans de C. J. Cherryh.

La Terre avait entamé la terraformation de nombreuses planètes extrasolaires lorsque la catastrophe a frappé. Une maladie aux causes insaisissables – le Quill – a tué les colons et entraîné l’évacuation des survivants. Mais lorsque la Terre, craignant une contamination fatale, refoule les fuyards, ceux-ci sont obligés de se réfugier à bord des stations spatiales qui servaient de simples escales aux vaisseaux en route pour les nouveaux mondes de l’humanité…

Des années plus tard, la situation est au bord de l’effondrement. Les stations surpeuplées sont sur le point d’exploser et la Terre menace de plus en plus de se replier sur le système solaire en abandonnant les réfugiés à leur sort. C’est alors que la Station Thromberg accueille un astronef scientifique en provenance de la Terre, sous les ordres de la chercheuse Gail Smith. Celle-ci veut retrouver un certain Aaron Pardell, qui a survécu comme nouveau-né au contact du fléau Quill. Mais les guerres intestines de la Station Thromberg pourraient bien faire dérailler cette quête de la dernière chance…

Czerneda, biologiste de formation, imagine avec soin une forme de vie aux capacités très particulières. Cet élément scientifique manquait peu ou prou aux romans précédents de Czerneda, mais l’action de celui-ci repose bel et bien sur une hypothèse minutieusement approfondie. La richesse des rapports humains, traités avec un brin de romantisme attendri, et l’habile conjugaison de protagonistes variés aux intérêts divergents achèvent de faire de ce livre une aventure de space opera plus que satisfaisante pour les amateurs.

Jean-Louis TRUDEL

 

Lisa Goldstein
Roi de l’été, fou de l’hiver

Paris, J’ai lu, 2000, 318 p.

Je n’ai rien à priori contre les séries, mais certaines d’entre elles sont interminables, surtout lorsque chaque tome fait 700 ou 800 pages. Je pense à Robert Jordan, Terry Goodkind ou Tad Williams, entre autres. De quoi décourager un lecteur qui n’aurait pas suivi depuis le début. Je ne peux m’empêcher de penser que les intrigues sont indûment étirées, avec un luxe exagéré de détails. Ces auteurs croient-ils paraître ainsi plus sérieux, ou est-ce seulement le succès et l’argent qui les motivent, en pressant le citron au maximum?

C’est pourquoi il est plaisant de découvrir des écrivains qui ont encore le goût de la concision. C’est le cas de Lisa Goldstein avec ce roman, qui l’est parfois un peu trop, concis. Par exemple, les deux personnages principaux, Valemar et Taja, effectuent un peu rapidement et aisément leur retour au pays des Shai. L’auteure les délaisse pendant quelques pages et les voilà qui réapparaissent soudainement alors qu’on aurait pu s’attendre à ce qu’ils connaissent davantage d’épreuves. Mais peut-être suis-je moi-même à ce point habitué aux gros romans mentionnés plus haut que je reste surpris quand j’aborde un roman de fantasy qui fait moins de 400 pages et ne s’inscrit pas dans une série.

Roi de l’été, fou de l’hiver raconte une histoire comme je les aime: intrigues de cour, trahisons, souverains éphémères, héritier royal inconnu, fantômes, guerre, invasion, révolution et combats magiques. Tout ça avec un petit côté Trois Mousquetaires. Lisa Goldstein a inventé une mythologie assez simple en vérité mais efficace et originale, qui semble ne contenir que trois dieux dont une déesse-mère qui a créé le monde. L’Univers et la société sont symbolisés par une échelle, et notre position sur cette échelle représente notre position dans la société, avec ses avantages et ses inconvénients. à Etrara, en une seule journée (c’est du moins ce que croient les habitants de cette cité), vous pouvez descendre ou monter sur l’échelle selon que la destinée vous favorise ou non. Mais cette croyance ne s’incarne pas de la même façon pour tous. Chez les Shai, au contraire, la position de chacun est définitive, et si on tente de bouger sur l’échelle, on en paie le prix. Goldstein pose aussi une importante question existentielle: les dieux sont-ils indifférents ou non au sort de l’humanité? Nous ont-ils créés uniquement pour servir leurs propres desseins ou éprouvent-ils une sympathie sincère pour les pauvres êtres humains que nous sommes? L’auteure nous laisse sur ces interrogations sans prendre parti. D’ailleurs, la conclusion n’en est pas vraiment une, car ce roman donne l’impression de n’être qu’un épisode dans l’histoire d’un royaume et dans la saga théologique de Sbona, la déesse-mère, et de ses deux fils dont chacun doit à tour de rôle vivre comme un humain pendant la moitié de l’année. C’est un des éléments de l’intrigue, le fait que Callabrion, le dieu de l’été, ne soit pas remonté au ciel auprès de sa mère, ce qui entraîne une prolongation indéfinie de l’hiver qui risque d’entraîner la fin du monde, comme s’en inquiète Narrion, disciple de Scathiel, le dieu de l’hiver.

Bref, Goldstein réussit à injecter dans un récit au demeurant sans prétention une profondeur historique et philosophique, et je ne doute pas que si elle le voulait elle pourrait facilement écrire une suite. Mais je ne le souhaite pas car ce roman se porte très bien comme ça. [DJ]

 

K. W. Jeter
Blade Runner 2

Paris, J’ai lu, 2000, 317 p.

J’ai de solides préjugés envers les romans dérivés de films ou de séries télévisées. C’est presque toujours mauvais: aucune imagination, aucune recherche stylistique, les personnages ne sont souvent que des caricatures. Les livres basés sur Star Wars sont particulièrement insupportables. Je le sais et malgré cela je finis toujours par me faire avoir à lire un de ces bouquins, en me rappelant les réussites du genre (les adaptations de Star Trek par Vonda McIntyre, par exemple), poussé par la curiosité et l’espoir, par une petite voix qui me dit que cette fois-ci, ce sera peut-être différent. Ainsi, tout récemment, j’ai lu Les Voix Psy de John Vornholt, en me disant qu’un roman inspiré d’une aussi bonne série que Babylon 5 ne pouvait pas être entièrement pourri.

Naïf que j’étais…

Mais ça reste plus fort que moi, je désirais malgré toutes mes préventions lire Blade Runner 2 pour savoir quelle suite Jeter avait bien pu imaginer à ce qui a été un des grands films de science-fiction des années 80, quelles que soient les réserves que l’on peut garder envers lui.

Et il faut dire que si Jeter n’a certainement pas mis au monde un chefd’oeuvre, loin de là, il nous offre un honnête roman noir futuriste qui respecte bien l’atmosphère du film – étant entendu qu’il faut avoir le film présent à l’esprit pendant notre lecture pour en saisir toutes les allusions. L’auteur est également parvenu à ajouter quelques complications que je qualifierais de dickiennes, ce qui est bienvenu car c’était là à mon avis une des principales lacunes de Blade Runner: les décors sont extraordinaires, comme dans tous les films de Ridley Scott que j’ai pu voir, mais le scénario est simpliste comparé à Do Android Dream of Electric Sheep?, le roman dont il est inspiré. C’est ce que je reproche au cinéma américain; son refus obstiné de créer autre chose que du clinquant et du spectaculaire. Rares sont les adaptations supérieures au roman d’origine, comme dans le cas de Soylent Green; en général, qu’il s’agisse de Blade Runner ou Starship Troopers, les films ne valent pas les livres. Les réalisateurs semblent d’abord intéressés à mettre leurs capacités et leur propre vision en valeur, au détriment d’un scénario subtil et intelligent. Ils ne veulent pas se faire voler la vedette par des scénaristes qui ne sont probablement de leur point de vue que des ouvriers spécialisés au même titre que les maquilleurs ou les cameramans, un mal nécessaire en quelque sorte.

Parmi les complications «dickiennes» mentionnées se trouve le fait que dans la version de Jeter il n’est plus certain qu’il soit possible de différencier les réplicants des humains grâce à un test. Pire, il laisse même entrevoir la possibilité que les blade runner soient eux-mêmes des réplicants. Comme le roman le souligne ironiquement, quoi de mieux que de construire des chats mécaniques pour attraper des souris mécaniques? Malheureusement, la fin, quelque peu décevante, laisse croire qu’il n’en est rien, ce qui rétablit la normalité, alors que nous aurions préféré rester dans le délire et le doute, comme si souvent chez Dick.

Je ne sais pas si l’intention originale derrière l’écriture de ce roman était de produire une suite cinématographique à Blade Runner. Cela résulterait en un film assez bavard quoique certaines scènes comme la fuite de Roy Batty de l’hôpital ou celle de Deckard à travers le mur de la salle de douches sont invraisemblables et sentent le scénario hollywoodien à plein nez. Jeter a aussi un peu trop tendance à répéter des scènes du film de Ridley Scott: le roman commence aussi par un meurtre, nous avons un autre combat entre Deckard et Batty (le vrai

Batty, l’humain qui a servi de modèle au réplicant). Nous avons là le même phénomène que dans des séries comme les films de James Bond ou celle de Alien: au lieu de faire progresser les intrigues d’un épisode à l’autre, on se contente de faire du repiquage, chaque nouvelle réalisation devenant en réalité un remake de l’oeuvre originale. Cela entraîne bien entendu l’obligation de sauver la vie du héros, ce qui dans ce roman particulier pose un problème de crédibilité car on ne comprend pas pourquoi Holden vient en aide à Deckard qu’il semble détester tout au long du récit.

Tout ceci étant dit, Blade Runner 2 se laisse lire quand même, mais sans qu’il y ait de quoi téléphoner à sa mère. [DJ]

 

Michael Shea
La Revanche de Cugel l’astucieux

Paris, J’ai lu, 2000, 254 p.

On se demande comment Shea a pu obtenir de Vance la permission de reprendre un de ses personnages. Ce dernier n’est certes pas du genre à vendre ses univers romanesques comme l’ont fait d’autres auteurs connus, le tout donnant naissance à des suites bien moins intéressantes que les oeuvres originales. Heureusement, La Revanche de Cugel l’astucieux n’a pas inauguré une nouvelle tendance chez Vance; c’est plutôt une exception considérant que la version originale anglaise du roman date de 1974.

C’est une oeuvre très légère et je ne me suis pas ennuyé une seule minute à cette lecture. Comme c’est souvent le cas dans ce genre d’histoires, l’intrigue suit un groupe de plusieurs personnages unit dans une quête. Le titre anglais est plus significatif à cet égard – A Quest for Simbilis – et certainement plus ironique si on considère la conclusion. Comme c’est généralement le cas chez Vance, les personnages ne s’aiment pas du tout, ils collaborent à leur corps défendant parce que les circonstances les y obligent, mais leurs objectifs et philosophies individuelles sont loin d’être partagées, ce qui donne lieu à des situations plutôt comiques. Toujours comme chez Vance, Shea se montre imaginatif en ce qui concerne les sociétés et décors présentés et il manifeste une bonne dose de cynisme concernant la condition humaine. Je pense par exemple à cette scène mémorable où nos héros doivent traverser des dunes de verre brisé à bord d’un chariot dont les roues avancent grâce à des bêtes qui y sont enfermées et qui menacent de mort le conducteur. Et comme il se doit, les personnages usent d’un langage ampoulé même quand les pires dangers les menacent. Bref, un pastiche assez convaincant. [DJ]

 

Dan Simmons
Les Voyages d’Endymion: Endymion I & II
L’éveil d’Endymion I & II

Paris, Pocket (Science-Fiction), 2000

Cet énorme roman, car il s’agit bien en fait d’un seul roman de 1500 pages, publié en quatre tomes dans la collection Pocket, m’abasourdit et pas seulement à cause de sa longueur, mais plutôt à cause de son ampleur, de sa vision. Tout y est: science, religion, littérature, métaphysique; Les Voyages d’Endymion est comme un fleuve nourri et gonflé par la rencontre de plusieurs affluents.

Il s’agit d’une suite au passionnant dyptique Hypérion Cantos (Hypérion et La Chute d’Hypérion) qui a fait date et que j’avais littéralement dévoré. J’avoue dependant avoir lu Les Voyages d’Endymion avec un peu moins d’intérêt, le délaissant à quelques reprises pour le reprendre plus tard. On y trouve des longueurs surtout dans les deux premiers tomes où l’intrigue aurait mérité d’être plus resserrée; dans les deux derniers tomes, par contre, plusieurs trames parallèles se tissent et cela devient alors vraiment échevelé. On dirait que l’auteur avait besoin de 680 pages pour se réchauffer avant d’entreprendre avec dynamisme un sprint de 5000 mètres! Non, Simmons ne manque pas de souffle.

L’action se déroule quelques siècles après la finale d’Hypérion Cantos. Loin de nous servir du réchauffé comme on le fait souvent dans les séries, il nous peint un tout autre tableau, celui de l’empire galactique de la Pax, qui a remplacé l’Hégémonie et ne lui ressemble en rien – le lecteur n’a jamais l’impression que Simmons a écrit une suite uniquement pour capitaliser sur un succès précédent. Et pourtant tout s’emboîte si bien qu’on a l’impression que tout était planifié l’avance (ce qui est bien possible). Les points demeurés obscurs dans l’oeuvre précédente sont éclairés ici et, contrairement à ce qu’affirme le narrateur au début (Raul Endymion lui-même), on finit par apprendre ce qui est arrivé à chacun des pèlerins des Tombeaux du Temps. L’auteur réussit même à faire revenir certains personnages qui étaient morts – ceux-ci ne jouant cependant qu’un rôle secondaire.

Certaines ramifications un peu trop complexes m’ont perdu. Par exemple, pourquoi le gritche, véritable monstre sanguinaire dans la première partie, devient-il le protecteur d’énée? Il faudrait que je relise le tout pour tout saisir. Par ailleurs, je ne suis pas certain que tout soit cohérent d’un point de vue scientifique. J’ai des doutes concernant le passage de Raul dans l’atmosphère supérieure d’une planète géante; quoique je n’ai rien contre le fait qu’un écrivain refuse de se conformer aux diktats de la vraisemblance scientifique du moment.

D’autant plus que le roman possède ses aspects jouissifs, n’ayant rien à envier aux space opera et time opera que je lisais dans mon enfance. On y retrouve de bonnes vieilles batailles spatiales, des combats au corps à corps et des dangers auxquels les héros n’échappent que par un cheveu. Simmons a injecté dans son roman une dose de sense of wonder que les lecteurs blasés de SF ne sont plus habitués de recevoir. Ajoutons à tout ceci quelques éléments d’horreur, un territoire familier à Simmons. Certaines scènes sont particulièrement cruelles, toute l’oeuvre baigne dans une atmosphère de destin fatidique inéluctable qui pèse sur les épaules des êtres humains. Des concepts, originaux en soi, font dresser les cheveux sur la tête, comme ces vaisseaux archanges dont l’accélération est telle qu’ils réduisent les passagers en bouillie avant de les ressusciter à l’arrivée. Et que dire des horribles cruciformes? Attendez de découvrir à quoi ils servent réellement.

Ce qui n’empêche pas Simmons de succomber à une certaine mièvrerie par l’importance qu’il accorde au sexe et à l’amour, ce dernier étant une force qui régit l’univers au même titre que la gravité. Au fond, je préfère ça au nihilisme et au pessimisme absolus, une tendance chez certains auteurs modernes.

Il est peut-être un peu tôt et risqué de classer Hypérion Cantos et Les Voyages d’Endymion comme des chef-d’oeuvre ou de grands classiques, mais il y a quelque chose d’assez définitif dans ces romans. Ce sont des jalons dans l’histoire de la science-fiction, je ne vois pas comment on peut faire plus grandiose. [DJ]

 

S. p. Somtow
Vanitas

Paris, J’ai lu (Ténèbres), 2000, 447 p.

L’intrigue de ce roman, surtout dans les trois premiers quarts, est plutôt banale. Dans cette conclusion d’une trilogie vampirique comprenant également Vampire Junction et Valentine (que je n’ai pas lus, mais je n’ai eu aucune peine à suivre l’histoire), Somtow nous sert l’habituel cocktail sexe et sang. L’auteur étant d’origine thaïlandaise, il épice un peu le mélange en situant une partie de l’action à Bangkok, les croix étant remplacés par des statuettes de Bouddha, la théorie étant que c’est la foi de la personne qui donne du pouvoir à l’objet saint, que les objets ne possèdent pas de puissance intrinsèque. Ce n’est pas une idée neuve même si elle est transposée par Somtow dans l’univers des spiritualités bouddiques et amérindiennes. Effet de mode ou conviction personnelle de la part de l’auteur? Personnellement, je trouve qu’il y a un peu de bouillie pour les chats là-dedans, mais que voulez-vous, l’herbe paraît toujours plus verte chez son voisin.

C’est un roman assez éclaté, la vraisemblance n’étouffant pas Somtow. Tous les personnages semblent engagés dans une forme ou une autre de quête spirituelle, sauf le personnage du pasteur défroqué devenu acteur qui se fait d’ailleurs avoir par des vampires femelles. Plus on avance dans la lecture et plus cela devient surréaliste – je ne m’en plains pas, les cinquante dernières pages étant ce que j’ai préféré. Il s’y déploie une imagerie qui frappe l’imagination, comme ce tableau géant d’une femme morte peint avec le sang vaporisé du peintre McCandless. Comme dans tous les romans de vampires modernes, on rencontre dans ce livre une véritable obsession pour le sang. L’hémoglobine coule à flots, les morts-vivants sont gloutons, ils ont faim, ils n’en ont jamais assez.

Malgré ces réserves, j’admire tout de même l’écriture de Somtow, un style subtilement poétique qui transparaît bien qu’il s’agisse d’une traduction. C’est la manière qui, au bout du compte, rend le roman supportable, presque agréable à lire. Les monologues intérieurs et les dialogues sans tirets donnent un petit cachet expérimental que Somtow n’a pas inventé, mais qu’il a su employer avec talent… et à bon escient.

Daniel JETTé

 

Mise à jour: Novembre 2001 –

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